Retour sur l’affaire préfabriquée de Vital Kamerhe

Ambiance festive le vendredi 4 mai 2019. Au « Rond-point Pompage », une ville-pays située dans l’âme la commune de Ngaliema, dans l’Ouest de Kinshasa, des engins de la société chinoise CREC 8 déboulent, dans l’idée de commencer un immense chantier, une nouveauté en République démocratique du Congo. On y parle alors, pour la première fois, du jargon « saut-de-mouton », que beaucoup, y compris du côté des constructeurs, auront du mal même à orthographier. L’événement se veut faste. L’enthousiasme aussi. Quelques jours avant, le 2 mars, le président Félix Tshisekedi a déplacé la gotha politique vers le somptueux Échangeur de Limete. 

Sous ce symbole des prétentions illusoires du régime de Mobutu, Félix Tshisekedi étale ses ambitions, dans un programme chrono de 100 jours. En somme, le nouveau président vise surtout à « impacter » les esprits. Le programme ne cherche pas tant que ça à résoudre les problèmes prioritaires. Non, il veut monter ce nouveau Chef d’État contesté, dont certains doutent de la légitimité, y compris du pouvoir, en train de « faire quelque chose ». « C’est un problème crucial. Nous venions d’arriver et il y avait tant à faire, alors que le pays avait un gouvernement démissionnaire, sachant en plus que les négociations autour de la formation du gouvernement allaient perdurer. Le Chef de l’État ne pouvait pas rester les bras croiser et attendre. Il y avait urgence d’agir », explique vivement Vital Kamerhe à POLITICO MAGAZINE. 

Aussi, de l’autre côté de la ville, en mai, la société chinoise CREC 8 démarre les travaux de construction d’un saut-de-mouton au rond- point Pompage. Ces travaux, explique-t-on, consistent en la construction d’un viaduc devant assurer la diffusion du trafic dans cinq sens vers Mbudi, Brikin, Maman Yemo, Nzolantima et Saint Mukasa, en vue d’éliminer les embouteillages constatés souvent aux heures de pointe dans cette partie de la capitale. Sur place, les Chinois ouvrent la voie pour l’Office des voiries et drainage (OVD) à qui le gouvernement confie la supervision de neuf ouvrages à construire. Mais cet endroit et son ouvrage resteront le symbole d’un fléau qui s’abattra bientôt sur Kinshasa.

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Les sauts-de-mouton ne sont pas les seuls ouvrages de ce programme qui se veut « ambitieux ». Partout, à travers le pays, des constructions sont prévues, notamment des routes, des ponts et autres infrastructures. Le Chef de l’État congolais voit également grand dans le secteur de l’éducation, en initiant un programme gigantesque de gratuité de l’enseignement, coûtant au moins 2 milliards de dollars l’an. 

La santé également est prise en charge, avant d’en arriver au secteur de l’habitat, logement, eau et électricité, secteurs levier du développement et de la croissance. Des constructions des maisons pour des militaires et des policiers sont prévues. Il y aura également des programmes dans le secteur de l’agriculture (pêche et élevage). Les intentions sont bonnes, reste à trouver le financement. Félix Tshisekedi chiffre le budget de son programme à environ un demi-milliard de US$ (US$ 488.145.106,00 précisément) dont US$ 206.637.351,00 provenant du Trésor public – les caisses de l’État -, US$ 27.363.657,00 du Fonds National d’Entretien Routier, FONER en sigle et US$ 70.096.734,00 du Fonds de promotion de l’Industrie, FPI. Mais encore faut-il trouver et disponibiliser ces fonds. D’autres programmes, comme celui de la gratuité de l’Enseignement, ont un budget non pris en charge dans ces projections et consomment au moins 20% du budget sortant. 

Les jours passent et la capitale congolaise est plongée dans une véritable anarchie de circulation. Sur les sites où les sauts-de-mouton sont en construction, des colonnes de véhicules empoisonnent la circulation, dans une ville de 12 millions d’habitants environ, et où la conduite au volant est déjà une véritable épreuve.  Des tas de tôles encerclent les sites de travaux, cachant l’évolution, créant de plus en plus la frustration de la population qui ne voit rien progresser. En juillet, la Présidence congolaise s’énerve. 

« Les sauts-de-mouton devant libérer Kinshasa de ses interminables embouteillages sont devenus un cauchemar pour les automobilistes kinois. Que se passe-t-Il ? Le président [Félix Tshisekedi] va se rendre sur les différents chantiers…. Là où rien n’est fait, les tôles bleues seront démontées. Les sites, rouverts à la circulation et les régies des travaux passeront à la caisse, rembourser l’argent perçu », vocifère Kasongo Mwema Yamba Yamba, le porte-parole du président Félix Tshisekedi.

Accompagné de Vital Kamerhe, son directeur de cabinet très présent sur ce projet, Félix Tshisekedi descend sur le terrain, le 17 juillet 2019. Il commence sa tournée par le symbolique site de Pompage, dans la commune de Ngaliema. Il ira visiter également celui de « Socimat » aux portes de la Gombe, reliant la très huppée commune de Ngaliema au centre-ville de Kinshasa. Ici, le président constate « une lenteur ».  

Mais loin des proclamations de son porte-parole, le Chef de l’État terminera sa visite en sourire. Rien n’est alors fait, les travaux, explique-t-on, vont globalement bien.

Mais voilà. Les jours avancent et des tôles bleues qui encerclent des sites entiers sur des rues congolaises de plus en plus impraticables, ne surgissent toujours pas les fameux « sauts-de mouton ». Le symbole de « Pompage », annonce même une inauguration en novembre 2019. Rien n’est fait. Pire, en décembre, Félix Tshisekedi y rencontre l’aventure de sa vie.  Ce lundi-là, le Chef de l’État congolais commence sa journée en lançant l’inauguration d’un pavillon décimé, il y a 5 mois et actuellement réhabilité, de la clinique Ngaliema, dans la commune de la Gombe. Il ira ensuite poser la première pierre pour la construction du complexe industriel de traitement d’eau potable au quartier ozone, dans la commune de Ngaliema. Le clou du spectacle, selon la présidence, il est prévu que le président inaugure le saut-de-mouton de Pompage.

Seulement, ce jour-là, alors que le tapis rouge et le vacarme qui va avec envahissaient les alentours du « saut-de-mouton de pompage », le président Félix Tshisekedi sera le grand absent.  L’inauguration n’a pas lieu. Aucune explication officielle n’est fournie sur le champ.  Mais le constat sur place est éloquent :  Tshisekedi a failli inaugurer un ouvrage inachevé. L’ouvrage « qui est quasiment prêt », avait encore besoin de quelques ajustements, notamment la construction des voies adjacentes. Ces dernières devaient permettre aux véhicules et autres usagers de circuler normalement en dessous du saut-de-mouton pour déboucher sur les autres artères, permettant de résoudre la problématique des embouteillages à ce niveau, l’objet de cet ouvrage. Si ces voies n’étaient pas encore toutes prêtes jusqu’au lundi 23 Décembre 2019, il y a surtout les parkings qui n’ont pas été aménagés, et des tonnes d’immondices entreposés au pied et dans les côtés en bas du viaduc.

La polémique éclate. Les rumeurs aussi.  Si la présidence reste silencieuse, Benjamin Wenga Basubi, Directeur de l’OVD, est annoncé aux arrêts, avant de se libérer et confirmer l’avancement des travaux, sans expliquer le ratage. L’intersyndicale de l’OVD monte au créneau sur les antennes de Radio Top Congo FM : “Nous prions le président, chef de l’État, qui a toujours écouté la Base, mais aussi les autres composantes sociales de daigner réceptionner cet ouvrage et de pouvoir l’inaugurer avant la Saint-Sylvestre pour alléger la souffrance des habitants de Kimbwala, Malueka, Mbudi, CPA, Kinsuka, Don Bosco, Lutendele et Pompage“. Une nouvelle promesse qui ne sera pas respectée.

Entre-temps, un gouvernement est mis en place, à l’issue d’intenses négociations. Sylvestre Ilunga en est le Premier ministre et hérite du programme. Toutefois, si, jusque-là, les violons s’accordaient entre Félix Tshisekedi et son directeur de cabinet, Vital Kamerhe, autour de la gestion commune de ce projet, des discordances apparaissent à la fin de l’année 2019. Les réajustements budgétaires, mais également les conflits politiques et le manque d’argent sont passés par là.  En janvier 2020, la colère monte au volant. Les Kinois n’en peuvent plus. La situation économique sérieuse et tendue rencontre le souffre des embouteillages, faisant chuter la côte de popularité de Félix Tshisekedi. Mais le président est concentré dans sa tournée internationale, ou une étrange joute verbale avec ses alliés Kabilistes.  Étrangement, c’est son Directeur de cabinet, Vital Kamerhe, qui monte cette-fois au créneau. L’homme présente un bilan flatteur, à l’occasion de l’an un du pouvoir du président Félix Tshisekedi. Vital Kamerhe lâche une bombe. D’abord que les « sociétés qui exécutent les travaux son asphyxiées ». Il provoque la colère de l’internet congolais. Et le stoïque bras droit du président se hasarde encore à annoncer une date pour la fameuse inauguration pour le 30 janvier.

 Le dieu des dates n’étant pas congolais, encore moins Tshisekediste. Le 30 janvier, le site « pompage » est de nouveau séché par le président Félix Tshisekedi. Comme avant, le Chef de l’État a encore raison. Les travaux n’ont rien à voir avec les maquettes vendues. Vital Kamerhe se retrouve avec une corde au cou. Car, le Directeur de cabinet du président avait osé annoncer que les travaux, dans leur ensemble, avaient atteint 70% de taux d’exécution. Le ministre des Finances, issu du camp de Kabila, Sele Yalaghuli, le guillotine. L’argentier national annonce que ces travaux, qui ont certes reçu un décaissement largement supérieur, sont « en deçà de 50% » d’exécution. 

Au lendemain du fiasco de « Pompage », des récupérations et polémiques, l’OVD sort les détails. Dans un tableau distribué à la presse, la société de l’État en charge de l’ouvrage donne des précisions à mettre les choses au clair. Tenez, les travaux des « saut-de-mouton » sont évalués à hauteur de 45,5 millions de dollars.

 À ce stade, le gouvernement a fait des paiements cumulés autour de 21,2 millions de dollars, soit près de 46% du taux de décaissement. 

Les travaux, estime ce document de l’OVD, sont exécutés à hauteur de 41%. En détails, sur les neuf sauts-de-mouton, deux restent symboliques : ils ont reçu un paiement de 40%, mais ont un taux d’exécution de 0%. À POLITICO.CD, l’OVD renseigne que le paiement a servi à l’achat de matériaux de construction. « À ce stade, nous avons toujours le matériel pour ces deux sauts-de-mouton, mais il manque des ressources pour débuter les travaux », explique un cadre de la société de l’État. Le décor du fiasco est planté. Le sentant venir, les proches du président Félix Tshisekedi montent au créneau et pointent déjà un coupable : Vital Kamerhe, le directeur de cabinet omniprésent. Jean-Marc Kabund, président de l’UDPS, initie une étrange tournée, le vendredi 6 février matin, pour en savoir plus. Dans l’Est de la ville, où les travaux stagnent le plus, des chantiers sont à l’arrêt. Ici, dans un ouvrage confié à la société SAFRICAS, le personnel est en congé depuis le 27 janvier pour des “contraintes logistiques”. Il enfonce le clou, en déclarant que les travaux des sauts-de-mouton sont exécutés à peine à 30%. Les semaines suivantes, Kabund et son Secrétaire général donnent un meeting au Stade des martyrs où ils réclament ouvertement la démission de Vital Kamerhe. 

Le Direcab est bel et bien l’architecte du programme de 100 jours de Félix Tshisekedi. Parmi les projets retenus, la plupart sont récupérés d’anciennes initiatives mises en place durant les derniers jours de Joseph Kabila. Arrive alors un projet des maisons préfabriquées. En 2018, le Libanais Jammal Samih gagne un marché de construction de 900 maisons préfabriquées pour 27,6 millions de dollars. Il signe un contrat avec l’État congolais, représenté par le ministre du Développement rural de l’époque, Justin Bitakwira. Mais avec les élections qui arrivent, l’État ne pourra pas honorer ses engagements.  Félix Tshisekedi arrive au pouvoir et Jammal Samih voit son projet être reconduit dans le programme de 100 jours. Au lieu de 27,6 millions de dollars, il reçoit 57 millions de dollars, ainsi qu’un contrat supplémentaire du même moment, dont l’État va payer jusqu’à 2 millions de dollars. Cependant, les travaux ne sont pas livrés. Et le procès de Vital Kamerhe a prouvé que le paiement de 57 millions de dollars a été fait sans que le contrat ne soit validé. Vital Kamerhe s’en défend tout au long du procès. Mais plusieurs éléments troubles viendront tant témoigner en sa défaveur que jeter un flou autour du procès. 

DE NOUVEAUX MAGISTRATS TOUT FEU TOUTE FLAMME 

Le mois de février 2020 restera un mois symbolique en République démocratique du Congo. Si, pour l’œil profane, les événements autour du procès de Vital Kamerhe semblent soudains, un léger regard en arrière montre comment les choses se sont entremêlées pour aboutir à ce qui pourrait être une affaire de justice bien préfabriquée. Tenez. Le vendredi 31 janvier 2020, alors que le programme de 100 jours stagne, notamment à cause du manque de financement, Félix Tshisekedi procède à la nomination des membres du bureau du Conseil supérieur de la magistrature, les plus importants magistrats du pays.  Flory Kabange Numbi s’en va. Victor Mumba Mukomo, un vieux routier de la justice congolaise, le remplace.  Jean-Paul Mukolo est, lui, nommé procureur général près la Cour constitutionnelle. « Il est réputé compétent et intègre », commenteront des proches du Président. Il a été pendant longtemps avocat général au niveau du Parquet général de la République. De son côté, Dominique Thambwe, lui, a été nommé premier président de la Cour de cassation en remplacement de Jérôme Kitoko.

Le 7 février 2020, la nature s’énerve. Très tôt, le matin, une giboulée s’abat sur la capitale congolaise. Le vent violant qui y découle, s’acharne sur les sauts-de-mouton. Partout, à travers les 7 points de construction de ces ponts à Kinshasa, des tôles bleues qui cachaient des travaux immobilisés sont emportées. Stupeur sur les réseaux sociaux. Le peuple avait raison. Après près d’un an de travaux, les ouvrages sont loin d’être terminés. La colère s’empare des téléphones insolents en RDC. Rapidement, un groupe de jeunes dames lance une pétition, qui vise à « voir clair » dans cette affaire qui énerve.  

Car, en effet, partout où les sauts-de-mouton sont construits, ils entraînent des gigantesques embouteillages dans une ville où la conduite au volant est une véritable épreuve. Le hasard fait bien les choses. Quelques semaines avant, un homme, d’une détermination de Gladiateurs et d’une confiance de dieux, affirmait qu’un des ouvrages, dans l’ouest de la capitale, serait prêt le 30 janvier. Mais à la date, Vital Kamerhe, le directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, déchante. Il est désillusionné. Les ouvrages sont loin d’être terminés. En colère, ce 30 janvier-là, des jeunes gens « inaugurent » eux -mêmes l’ouvrage toujours en construction. Le mal est fait. « VK » s’adjuge l’étiquette du coupable idéal dans ces travaux qui trainent.

Aussi, lorsque la pluie emporte les tôles, Jean-Marc Kabund, président contesté de l’UDPS et son Secrétaire général Augustin Kabuya, deux adversaires de Kamerhe, en profitent pour enfoncer le clou. Casques sur tête. Dès le lendemain, dans l’est de la ville, les deux « ingénieurs » inspectent les sites de construction. Ils sont sans équivoque. Les travaux n’ont même pas atteint les « 30% ». Contrairement aux « 70% » qu’avait annoncé Vital Kamerhe.  « Nous avons entendu quelqu’un dire à la radio que les travaux du programme des cent jours sont déjà réalisés à hauteur de 70% », a-t-il lancé, faisant référence aux propos tenus quelques jours plus tôt par Vital Kamerhe.  » Mais ce projet-là [de construction des sauts-de-mouton] n’est même pas à 30% en termes de réalisation »

KAMERHE, LE COUPABLE IDÉAL

Félix Tshisekedi, ancien internaute engagé, a surement suivi les débats. Le voilà dos au mur. D’une manière assez téléphonée, à la suite de la sortie combinée de Kabund et Kabuya, le président congolais fait savoir au Conseil des ministres sa décision de lancer un audit sur l’utilisation des fonds débloqués pour ces chantiers. Il finit par visiter lui-même les travaux sur le terrain. Le même jour, la nouvelle justice congolaise se saisit du dossier. Elle ouvre une enquête sur l’utilisation des fonds alloués à l’exécution de ces travaux.  Cette instruction judiciaire est lancée par le parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Matete.  

Le procureur de Kinshasa/Matete, Adler Kisula demande au vice-Premier ministre et ministre du Budget, Jean Baudouin Mayo Manbeke, de lui transmettre les copies de tous les bons d’engagement établis en faveur des sociétés exécutant les travaux de 100 jours ainsi que les numéros de dossiers relatifs en urgence. Le ministre des Finances, José Sele Yalaghuli, est prié de transmettre les copies des ordres de paiements informatisés et/ou toutes les lettres de paiements d’urgence établies en faveur de toutes les entreprises retenues. 

Il doit également transmettre l’exécution du plan de trésorerie et de décaissement de fonds en faveur de ces entreprises. Le lendemain, face à l’ampleur des critiques portées par l’exécutif de l’UDPS, le Premier ministre Sylvestre Ilunga convoque une réunion interministérielle à laquelle ont notamment participé les représentants du Budget. « Nous demandons à la population kinoise de prendre son mal en patience. Si les sauts-de-mouton n’ont pas évolué, c’est parce que les finances étaient un peu difficiles à gérer », tente pourtant de plaider le vice-Premier ministre Jean-Baudoin Mayo Mambeke, issu du parti de Vital Kamerhe, à l’issue de la rencontre.

TOUT S’ENCLENCHE ÉTRANGEMENT

Les choses s’accélèrent.  Des convocations sont envoyées aux patrons des sociétés qui exécutent les travaux. David Blatner, directeur général de la société Safricas est retenu à l’issue de son audition, le 19 février.  « Il lui est reproché sa mauvaise gestion (…). Est-ce que ce sont des détournements ? Est-ce que ce sont des abus de confiance ? C’est le juge qui va le déterminer », a expliqué le ministre de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende. 

Le 24 février, Jammal Samih, patron des sociétés Samibo SARL et Husmal SARL, passe à l’attrape. Étrangement, le Libanais n’était pas concerné par les sauts-de-mouton. 

Le 27 février, le directeur général de l’office des routes (OR), Mutima Sakrini est arrêté et placé en détention préventive dans la prison de Makala comme les autres. Ils seront suivis de Benjamin WENGA, Directeur Général de l’Office des Voiries et Drainage (OVD) et surtout du Directeur général de la Rawbank, Thierry Taeymans. Mais voilà. Si tout part des sauts-de-mouton, la justice finit par y découvrir une véritable boite de Pandore. À côté de ces ponts de Kinshasa, un autre projet, beaucoup plus coûteux, celui des logements sociaux, est visé par les investigations. C’est d’ailleurs ce dernier projet qui vaut l’arrestation à Jammal Samih, le Directeur général de SAMIBO, qui avait gagné le marché. Mais un homme arrive finalement à tomber dans les filets de la justice : Vital Kamerhe, le Directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi.

Le 5 avril, une étrange invitation est envoyée au directeur de cabinet du président congolais. Il est convoqué au passé, le 6 mars. Le lundi 06 avril, ce dernier se rend à la Cité de l’Union Africaine pour s’entretenir avec Félix Tshisekedi. Le président le conseille de ne pas se rendre à Matete, où il s’avère finalement être convoqué le 08 avril. Têtu, le président de l’UNC annonce qu’il va s’y présenter. Il n’en sortira plus. Il est écroué ce mercredi-là dans la soirée.  Le jour suivant, il est rejoint par Fulgence Bamaros, le Directeur général du Foner. 

À l’est du pays, Modeste Makabuza, un des puissants opérateurs économiques de Goma, est également aux arrêts. Il est transféré vers Kinshasa où l’attendaient les autres prisonniers. Mais à la lecture de ses événements, à Kinshasa, nul n’ose alors croire que les événements sont si spontanés. Car Makabuza, Wanga, Blatner, Taeymans, Samih, Mutima et autres, sont tous réputés être des proches de Vital Kamerhe. 

UN PROCÈS PUNITIF ET EXPÉDITIF

Du 11 mai au 20 juin. La justice n’a pas chômé. Comme jamais avant, elle a dévoré les procès de Vital Kamerhe et ses co-accusés, dans une vitesse expéditive. Alors que le verdict final va être disputé autour d’un deuxième procès, son déroulement laisse néanmoins un goût d’inachevé. Le Parquet de Matete a monté plusieurs affaires en rassemblant des pièces accusatrices et emprisonnant tous ceux dont la tête était réclamée par une population en colère. Pour autant, dans ce procès qui va s’ouvrir, le directeur de cabinet du président congolais comprend rapidement qu’il est la principale cible. Alors qu’il était d’abord accusé dans le fiasco des constructions de sauts-de-mouton, Kamerhe voit le parquet lui coller deux affaires : celle des maisons préfabriquées, et une certaine affaire TRADE Plus. Sans rire, le procureur de Matete affirme que Kamerhe a fait acheter des médicaments périmés à l’État, auprès d’une quincaillerie pour une valeur de 10 millions de dollars. Mais c’est mal connaître la justice congolaise. 

L’affaire disparaîtra au procès : Eteni Longondo, ministre de la Santé et proche du président Tshisekedi, en plus d’être haut cadre de son parti, l’UDPS, y est cité. D’autres disparitions étranges interviennent dans cette affaire. D’abord, celle d’un acteur clé : Thierry Taeymans. En effet, au tout début des enquêtes, la justice avait fini par mettre rapidement la main sur ce banquier belge.  Le 12 mars 2020, le Parquet de Matete convoque Thierry Taeymans pour l’interroger au sujet des transactions et des transferts en lien avec Jammal Samih et le gouvernement congolais dans le cadre d’un projet du programme d’urgence de 100 jours. Le Directeur général de la Rawbank finira par être arrêté. Il est alors placé en détention, puis transféré à la prison centrale de Kinshasa.

Le 20 mars, Thierry Taeymans est libéré. Mais non sans « coopérer » avec la justice. Ainsi, selon des informations de POLITICO.CD, la libération du banquier belge s’est faite dans des conditions strictes. Outre le paiement d’une caution de 10.000 dollars américains, il s’est notamment engagé à coopérer avec la justice dans le dossier concernant l’homme d’affaires libanais, Jammal Samih.  Selon deux sources judiciaires proches du dossier, Thierry Taeymans s’est engagé, au nom de sa banque, à rembourser au Trésor public la somme de 35 millions USD présumée disparue. 

TAEYMANS NÉGOCIE 

Lire le Grand Angle sur l’ex-Directeur général de la Rawbank ici.

En outre, la Rawbank devra rembourser au Trésor public l’argent perçu par le Libanais Jammal « si les travaux ne sont pas achevés par son client ».    Par ailleurs, ce « dépôt » de 35 millions de dollars est confirmé par le ministre en charge de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende. Dans une lettre envoyée au Procureur général près la Cour d’appel de Gombe et celui de Matete, le 1er avril 2020, le vice-Premier ministre congolais confirme en effet que Thierry Taeymans a payé au Trésor Public la somme de 35 millions de dollars « à titre de garantie ». Et pendant que Vital Kamerhe demandait des preuves du détournement dont il est accusé en audience foraine à Makala, Thierry Taeymans, en liberté provisoire, quitte la RDC, en plein état d’urgence, alors que les frontières du pays étaient fermées. Le banquier belge n’est nullement interpellé, ni poursuivi.  

Par ailleurs, il n’est, jusque-là, même pas convié en tant que témoin, alors qu’une dizaine de personnalités, dont des ministres, d’anciens ministres, des membres du comité de gestion du programme de 100 jours et conseillers du président Tshisekedi, se sont relayés à la barre durant le procès.

D’autres sources évoquent cependant un « marché » entre Thierry Taeymans et la justice congolaise. 

« C’est en effet très étrange de voir la justice écarter toute poursuite contre lui, alors qu’il est au cœur de l’affaire. N’oubliez pas que la justice dans ce pays reste celle des riches. En plus des 35 millions payés, Taeymans a surement obtenu le fait qu’il ne soit pas poursuivi », explique un cadre politique, proche de la coalition du président Félix Tshisekedi. Vital Kamerhe est seul à la barre, accompagné, tel Jésus le Christ, de ses deux larrons. Jammal Samih et Jeannot Muhima ont du mal à savoir pourquoi ils sont là. D’un côté, le Libanais admet avoir reçu les fonds et veut poursuivre les travaux. Quant au retard incroyable occasionné, il brandit alors un contrat : celui signé avec l’État, et donc Vital Kamerhe, qui stipule que Jammal Samih n’est pas responsable du dédouanement des maisons préfabriquées. Celles-ci sont effectivement arrivées à Matadi et même à Dar es Salam.

Jeannot Muhima, responsable d’import et export à la présidence congolaise, est dépêché pour opérer le dédouanement. L’État congolais tente alors de respecter ses engagements. Mais arrivés sur place, les 1.3 million qui lui ont été confiés pour le dédouanement ne sont pas suffisants. Il fait, à sa manière, et apporte des pièces justificatives. Mais le procès de Vital Kamerhe n’est pas là pour comprendre. D’autant plus que, comme le malheur ne vient jamais seul, le juge-président du procès, Raphaël Yanyi, meurt d’une bien étrange des manières. 

UN JUGE ASSASSINÉ

Le 16 juin, le ministre congolais de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende, crée l’émoi à Kinshasa. Dans un communiqué, il affirme que le magistrat Raphaël Yanyi, décédé dans la nuit du 26 au 27 mai, est mort « des suites d’une hémorragie intracrânienne résultant d’un traumatisme cranio-encéphalique ». Le rapport d’autopsie, rendu public le même jour, révèle que Raphaël Yanyi a reçu des coups « à un endroit très sensible du crâne », explique Célestin Tunda Ya Kasende, et que ces coups « ont provoqué une coagulation du sang au niveau de la tête et qu’ils sont la cause principale de la mort ». Le ministre a donc annoncé « l’ouverture d’une enquête judiciaire devant permettre d’élucider les circonstances de ce meurtre, d’en identifier les auteurs et de les sanctionner avec toute la rigueur de la loi ».

Pour autant, comme il a souvent traîné la malchance ce dernier temps, Vital Kamerhe était pointé du doigt, du moins pas ouvertement, pour avoir promis, la veille du décès du juge et en procès public de « mettre le feu ». C’est en tout cas ce qu’affirme Coco Kayudi, l’avocat de la défense, qui croit avoir entendu le directeur de cabinet du président Tshisekedi dire cela, alors que la partie civile venait de suggérer la convocation de son épouse comme renseignant au procès.  Cela était suffisant, dans un procès où l’opinion publique revancharde, qui n’a jamais réellement aimé Kamerhe, trop populaire à l’est du pays, pour que le leader de l’UNC soit, une fois de plus, le coupable idéal. Mais les révélations du ministre Tunda ne viennent pas seules. Plusieurs sources ont confirmé à POLITICO.CD que le juge a été « convoqué » à la présidence congolaise la veille de son décès. 

Raphaël Yanyi a rendu l’âme la nuit du 26 au 27 mai, peu de temps après avoir été admis au Centre hospitalier Nganda, à Kinshasa, vers 2 heures du matin. La veille, le juge était rentré chez lui aux alentours de 15 heures. Plusieurs personnes se trouvaient alors à son domicile, situé dans le quartier Bisengo-Bandalungwa : son épouse et ses enfants, mais aussi une femme de ménage, un agent de sécurité privé et les policiers chargés de sa protection. 

Selon nos informations, Raphaël Yanyi s’est rendu à au moins deux rendez-vous avec des officiels. Le premier a eu lieu au Palais de la nation. Raphaël Yanyi a rencontré un membre du cabinet du président Félix Tshisekedi. Le second rendez-vous l’a conduit dans un lieu que nous ne sommes pas pour l’instant parvenus à identifier. Le juge s’y est entretenu avec un autre cadre haut placé au sein de la présidence. Si les réseaux sociaux affirment qu’il s’agissait bel et bien de François Beya, l’intéresse, via ses proches, dément. « C’est une intox, une de ces fake news distillées par des officines obscures qui veulent créer la confusion dans les hautes sphères de l’État. »

Le juge ne serait donc pas le premier à mourir mystérieusement après des entretiens à la présidence congolaise. Le général Delphin Kahimbi, chef des renseignements militaires, est décédé mystérieusement après des interrogatoires à la présidence, par des services dirigés par François Beya. Les enquêtes autour de son décès sont toujours en cours. 

DES JUGES ET AVOCATS ANTI-VK  RÉCOMPENSÉS À L’ISSUE DU PROCÈS

Le 20 juin à Kinshasa, Vital Kamerhe est condamné plusieurs fois à l’issue d’un procès expéditif. Le directeur de cabinet du président Tshisekedi ne se faisait aucune illusion.  « La messe est déjà dite », avait-il dit le dernier jour de son plaidoyer.  Alors que ses avocats ont soulevé plusieurs exceptions, voyant même la Cour constitutionnelle réclamer l’arrêt du procès et le transfert du dossier ; le juge-président Pierrot Bankenge Mvita n’en a eu cure, prononçant son jugement au bout d’une attente, certes insoutenable. Certes aussi, ce fameux jugement était déjà diffusé sur les réseaux sociaux plus d’un quart-d ’heure avant qu’il ne soit lu par le juge. Vital Kamerhe a écopé de la plus lourde peine de 20 ans des travaux forcés et plusieurs amandes. Ses biens, ceux de son épouse Hamida Chatur et même de ses enfants, devront également être saisis. Jammal Samih et Jeannot Muhima en prennent aussi pour leurs comptes. Mais comme Kamerhe, la population congolaise restera sur sa faim à l’issue de ce procès. Aussi, lorsqu’un bon week-end, des querelles éclatent entre Félix Tshisekedi et ses alliés au pouvoir, notamment la coalition de Joseph Kabila, la donne change drastiquement, alors que Vital Kamerhe venait de faire appel à sa condamnation et qu’un procès en appel se dessinait. 

D’un côté, le PPRD, le parti de Kabila, a admis publiquement qu’il a été à la base du procès de Kamerhe. De l’autre, l’homme, qui s’est vanté d’une telle réalité, Célestin Tunda Ya Kasende, n’est plus vice-Premier ministre et ministre de la Justice. Il a été forcé à la démission par le président Tshisekedi.  À ce revirement spectaculaire, il faudra noter également les étranges promotions, par le Chef de l’État congolais, de ceux qui ont poursuivi Vital Kamerhe durant le premier procès. Dieudonné Kaluba Dibwa, l’avocat de la partie civile qui a traqué Kamerhe, a été promu juge à la Cour constitutionnelle. Pierrot Bankenge Mvita, juge-président du Tribunal qui l’a condamné, est, quant à lui promu président du Tribunal de grande instance de la Gombe. Avec le temps donc, l’affaire Kamerhe commence à dévoiler ses dessous politiques, loin des strictes poursuites judiciaires .

Stéphie MUKINZI

3 comments
  1. Desole mon clavier n’est pas francais.
    A vous lire il semble que vous etes bien payE par VK. Bien que vous reconnaissait certaines irregularite qui se sont deroule avec le payment de SAMIBO, les declarations selon lesquelles les travaux etaient execute a 70%,… et j’en passe. Cependant vous cherchais a montrer que les actions de la justice sont d’allure politique.
    Certaines fois on se demande si le congolais comprend les sommes d’argent qui sont en jeu. Partout dans le monde quand quelqu’un coopere avec la justice il beneficie de certaines disposition. Certains grand detourneur ont meme etait engage dans des services speciaux si vous ne le savez pas.
    La realite est que toute personne qui a suivi ce proces a remarque que avant meme qu’un project ne soit acheve la totalite avait deja ete paye. Dans n;importe quel pays serieux c’est une infraction
    D’ailleurs dans les pays serieux une compagnie doit recevoir meme des amendes quand elle delivre le projet en retard
    Que le proces soit politique ou pas il y a toujours un point de depart pour redresser les choses dans un pays. Si le monsieur se retrouve comme le point de depart c’est triste mais que vous le vouliez ou pas pour les gens qui vivent a l’etranger c’est deja une grande etape qui commence a donner la confiance aux investisseurs.
    Un investisseur ne connait pas la politique du pays mais il veux etre sur que l’argent qu’il met dans un projet peux etre tracE

  2. Article Un peu Oriente et teinte de partiality.
    Le parti pris et la subjectivite insidieuse risquent de decredibiliser ce bon feuillet.
    Dommage

  3. Un bon article chronologiquement mais avec de lagunes sur une analyse de qualité et interprétation des faits. Aussi déficient de principe d’une bonne moralité de l’auteur qui laisse une tache sur la réputation du site. L’histoire est tellement riche des évènements et évidences chacun peut se permettre d’oriente ses conclusions selon son appartenance Socio-politique et promouvoir sa thèse du complot ou de chasse au sorcier pour justifier l’innocence des uns bien qu’il a été établi le denier publique a été belle et bien détournée de tresor.

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