L’histoire d’une alternance pacifique au Congo

Henri Mova Sakanyi saluant Mgr Gérard Mulumba à Kinshasa, le 23 avril.

Janvier 2018, la tension est à son comble en République démocratique du Congo où les Catholiques sont descendus dans les rues pour réclamer l’application de l’accord de Saint-Sylvestre, signé un an plutôt, et qui prévoyait, outre le départ du président Kabila à l’issue des élections, des mesures de décrispation et un gouvernement de large union. Le Comité Laïc de Coordination (CLC), une association née à la suite de ces revendications, accuse alors le pouvoir congolais d’avoir violé cet accord. Dos au mur, Joseph Kabila est appelé à agir ; d’autant plus que dans les rues, les manifestations sont réprimées dans le sang, faisant plusieurs victimes.

Kabila-Tshisekedi, les dessous d’un rapprochement

Kabila opte alors pour un dialogue, mais dans les coulisses. Il reçoit, dans sa résidence privée du GLM, dès début février, le Cardinal Monsengwo Pesinya, le Chef de l’Eglise catholique en RDC. Rien ne filtrera de cet entretien, ni même son existence officielle ne sera confirmée. Cependant, bien avant la rencontre, en mi-janvier, une mission très particulière commence du côté de Limete, commune du centre de Kinshasa, traditionnellement attribuée au parti d’Etienne Tshisekedi. Un téléphone sonne, c’est celui d’un des collaborateurs de Félix Tshisekedi. Au bout du fil, un émissaire de Maître Jean Mbuyu, lui-même à l’époque proche conseiller du président Kabila.

Il demande à parler à Félix Tshisekedi. «Le président Félix [Tshisekedi] refuse de vous parler aussi longtemps que son père ne sera pas enterré », répond alors l’interlocuteur après quelques secondes d’attente. C’est fut-là, le début plus ou moins d’une série d’échanges dissimulés entre le fils d’Etienne Tshisekedi et le camp du président Joseph Kabila.

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Les jours passent. Les contacts se poursuivent dans les coulisses. Ce qui n’était qu’une « rhétorique » devient la base des discussions. Le pouvoir, par le biais d’émissaires qui rencontreront plusieurs fois des proches de Félix Tshisekedi durant ce mois de janvier, fait alors savoir sa volonté d’apaiser la tension. Gilbert Kankonde, Kin-Kiey Mulumba et des proches de Jean Mbuyu y mèneront la danse. On parle dès lors d’un retour dans les accords de la Saint-Sylvestre. Concrètement, que Félix Tshisekedi endosse le poste de Premier ministre qui lui a été refusé.

Plusieurs sources, dont un proche de Félix Tshisekedi qui livre l’information, attestent que du côté de l’UDPS, l’idée séduit, bien que « dangereuse ». Car dans le fond, une arrivée de Félix Tshisekedi à la Primature éloignerait le pays des élections, et donc du départ du président Kabila. Pire, pendant que les échanges s’éternisent, la nouvelle commence à devenir public. « Moïse Katumbi a fini par l’apprendre. Et a fait une énorme pression sur Félix Tshisekedi pour qu’il refuse. Cela n’allait pas dans ses intérêts. Une alliance entre Kabila et Félix n’arrangerait pas sa situation », confie cette source sous le sceau de l’anonymat.

Mercato pour la Primature avorté

L’accord autour des funérailles de Tshisekedi signé en avril 2018 fut la base de discussions entre Tshisekedi et Kabila

Entre-temps, les négociations se poursuivent. Félix Tshisekedi fait demander un « signal » du côté du pouvoir, qui lui promet alors un « accord public sur les funérailles d’Etienne Tshiskedi ». Pour donner du poids à ce discussions, le président Joseph Kabila nomme, le 15 février 2018, Jean Mbuyu au poste de Conseiller spécial en matière de Sécurité. Il est ainsi fortifié, y compris sa mission de ramener Félix Tshisekedi dans des discussions formelles. Cependant, Kabila veut voir plus loin que la Primature. A en croire un proche, le président veut « réellement apaiser la situation ». Une vision pour une coalition à long terme y serait née.

Lire cet article publié en 22 avril 2018: « Les dessous de l’accord sur les funérailles de Tshisekedi »

Dès mars, les choses s’accélèrent. Des soupçons s’installent entre Katumbi et Tshisekedi fils. Le premier part en Afrique du sud où il crée sa propre coalition électorale, alors que le second commence sérieusement à envisager la Primature proposée par Kabila. Le samedi 21 avril 2018, un communiqué conjoint annonçant une reprise des négociations pour les funérailles d’Etienne Tshisekedi a lieu au centre-ville de Kinshasa. Au Kin Plaza Arjaan by Rotana, l’accord signé ne va pas du tout aboutir automatiquement aux funérailles de Tshisekedi. “Il faut à présent discuter des modalités. Organiser les choses pour aboutir à une situation d’apaisement total. L’UDPS avait fait des exigences autour de ses funérailles, il est temps de les prendre en compte», confie une fois de plus une source au pouvoir. Entendez par là qu’il faut revenir au début de l’affaire, où le parti de Tshisekedi avait notamment exigé qu’un Premier ministre issu de son rang soit nommé pour « accueillir » la dépouille de Tshiskedi.

Mais le fils Tshisekedi ne mord pas à l’hameçon. Il sied de rappeler qu’un certain Vital Kamerhe a tenté de se rabibocher avec Kabila, avant d’être surpris de voir le poste qui lui revenait être confié à Samy Badibanga. L’histoire tournera court. Mais les contacts ne seront jamais rompus. Des proches de Jean Mbuyu seront toujours bienvenues à Limete, jusqu’au soir d’un certain mercredi 2 janvier 2019.

2 Janvier 2019, le jour où tout a basculé

Nul au Congo ne saura  vraiment si Joseph Kabila comptait réellement remporter cette Présidentielle. Toujours est-il qu’en choisissant Emmanuel Ramazani Shadary comme candidat de sa coalition, le désormais ancien Chef de l’Etat a créé des sceptiques même au sein de son camp. Ce jour-là du 8 août 2018, dernier jour de dépôt de candidatures, Tryphon Kin-kiey Mulumba, épris pourtant du désir de voir Kabila s’éterniser au pouvoir, alla déposer sa propre candidature pour le succéder.

Mais loin de ces épisodes de doute, c’est au 2 janvier 2019 que tout bascula au cœur du Front Commun pour le Congo (FCC). Pourtant, 24 heures avant, le pouvoir s’active. Des proches de Kabila sont sûrs de leur fait. Emmanuel Shadary doit être déclaré vainqueur, sans tenir compte des résultats. Peu avant midi, un haut cadre de la Commission électorale, ayant le cœur un peu trop au FCC, appelle POLITICO.CD,  pour nous faire parvenir des ébauches des résultats qui pourraient être annoncés.

Le FCC veut faire proclamer Shadary vainqueur

Pendant ce temps, le Congo, tendu, attend fermement les résultats des élections du 30 décembre.  « J’ai vu des chiffres venant notamment des procès-verbaux du Tanganyika, Lualaba, Maniema, Haut-Katanga, Tshopo, Lomami, et plusieurs coins. Shadary est largement en tête. Ces PV sont sans équivoque, le candidat du FCC va largement l’emporter. Il n’y a plus aucun doute. », note ce haut responsable de la CENI, demandant l’anonymat.

Le lendemain, les autorités décident de couper unilatéralement les communications par internet et les SMS, accentuant des accusations de fraude en préparation. “La CENI pourrait également communiquer les résultats bien avant, et même dans une totale surprise“, ajoute notre source. Bien avant cette coupure, l’opposition, notamment la coalition de Martin Fayulu annonçait rapidement avoir recueilli le un tiers de résultats, donnant son candidat largement victorieux. De son côté, la coalition de Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe accusait le pouvoir congolais d’avoir coupé la connexion internet pour faciliter la fraude, alors que le dépouillement des résultats est toujours en cours.

“Nous sommes dans notre central, nous continuons la collection des données. Malheureusement, depuis qu’on nous a coupé l’internet, le flux s’est réduit, mais on le fait maintenant par voie téléphonique“, explique l’avocat Jacquemain Shabani, responsable de la Cellule électorale de la coalition CACH, qui soutient la candidature de Félix Tshisekedi,

Kabila annonce la défaite à ses cadres

Mt Shabani affirme par ailleurs, en citant des résultats en possession de sa coalition, que le candidat du pouvoir arrive largement derrière les deux principaux opposants en lice dans cette Présidentielle. « Par rapport aux résultats que nous sommes en train de recueillir, notre candidat se comporte très bien. Le candidat Shadary est en troisième position un peu partout, avec des faibles résultats. C’est ce qui explique cette coupure d’internet, on craint maintenant un coup de forme ».

Pendant que chaque camp s’apprête à réclamer sa victoire, et loin du plan du FCC qui veut annoncer celle de Shadary, Joseph Kabila convoque au soir du 1er janvier ses très hauts cadres, notamment ceux des renseignements, de l’armée et de la coalition politique. Dans sa ferme privée de Kingakati, le Chef de l’Etat congolais annonce l’hécatombe à ses cadres. « Nous avons perdu », lâche-t-il devant l’assistance hébétée. « Qu’allons-nous alors faire ? » lui demande un autre. « Il faut parler avec celui qui a gagné », lui rétorque Kabila. La réunion se termine sans que rien ne soit décidé.

Le lendemain, le 02 janvier, une journée marathon commence. Rapidement, Jean Mbuyu, Conseiller spécial de Joseph Kabila en matière de sécurité, qui était présent à la rencontre du 1er janvier, est prié d’entrer en contact avec des proches de Félix Tshisekedi. « C’est tôt le matin que j’ai reçu un appel pour le Président [Tshisekedi]. On me demandait de lui passer le téléphone. Je ne savais même pas qui était de l’autre côté », explique un proche de l’actuel président. Avant midi, les premières équipes de deux côtés se rencontrent et harmonise un meeting au sommet entre les deux leaders, Félix Tshisekedi et Joseph Kabila. « A ce moment-là, rien n’était clair sur le pourquoi de la rencontre », expliquera un proche du FCC.

Désillusion et colère

C’est en début de soirée que Félix Tshisekedi rencontrera Joseph Kabila seul d’abord à Kingakati. Rien ne filtrera de cette rencontre. Mais vers 23h, le même jour, Tshisekedi et Kamerhe reviennent de nouveau à la ferme privée de Kabila. Cette fois, ils ne sont pas seuls. En face d’eux, Joseph Kabila, aux côtés d’Emmanuel Shadary, Gabriel Amisi (dit Tango Four), John Numbi, Jean Mbuyu et quelques collaborateurs.

 Le président congolais annonce alors la signature d’un accord de coalition avec le camp de Tshisekedi. « C’est eux qui ont gagné la Présidentielle », dira Kabila. Hébétée, toute la salle reste calme. Avant que tout à coup, un homme ne se lève en colère. Il s’agit d’Emmanuel Shadary. « Il était tout rouge. Il ne voulait même pas en entendre parler. Il a tellement protesté que le Chef a demandé qu’on le mette dehors », raconte un des collaborateurs.

Il était 2h du matin du 3 janvier quand la rencontre prend fin. En sortant de là, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe ont le souffle coupé. Ils sont sur le point de réussir leur pari de succéder à Kabila. Par la suite, l’accord signé ce jour-là fera la une des journaux. Kabila deviendra l’allier de Tshisekedi, sans jamais que personne ne sache réellement ce qui y a été signé. Mais le Congo lui, avait obtenu, avant même la publication des résultats officiels, une assurance d’une transition du moins pacifique au Palais de la nation .

Fin de l’histoire.

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