RDC: La mainmise de l’IGF sur la presse congolaise

Ce deuxième acte de l’enquête de POLITICO.CD expose la mainmise de l’Inspection Générale des Finances (IGF), dirigée par Jules Alingete, sur la presse congolaise, révélant une série de pratiques douteuses visant à museler les médias. Sous couvert de contrats de « diffusion de contenu », l’IGF verse des paiements réguliers à plusieurs médias et journalistes, conditionnant ainsi leur loyauté ou leur silence sur des affaires sensibles. Des journalistes autrefois critiques se sont transformés en défenseurs zélés de l’IGF, attaquant ceux qui remettent en question son intégrité.

À Kinshasa, les rédactions ne tremblent pas au rythme des scoops ou des révélations fracassantes, mais sous le poids d’une chape de plomb imposée par l’Inspection Générale des Finances (IGF) et son chef, Jules Alingete. C’est une guerre silencieuse, faite de pressions subtiles et d’arrangements moins avouables, qui se joue dans l’ombre des bureaux feutrés et des couloirs du pouvoir. C’est du moins ce que révèle l’enquête de POLITICO.CD. Plusieurs médias et journalistes de premier plan, sous couvert de contrats de « diffusion de contenu », perçoivent des paiements réguliers de l’IGF. Ces transactions, bien que légales et déguisées en opérations de sponsoring ou de partenariat éditorial, tiennent davantage du musellement que de la collaboration médiatique. Chaque mois, des sommes conséquentes changent de mains, assurant la loyauté des médias ou, du moins, leur silence sur certaines affaires délicates.

Plus troublant encore, certains journalistes, jadis fiers hérauts de l’investigation, se sont mués en véritables « gardes médiatiques » pour l’IGF et Alingete. Leur rôle ne se limite plus à diffuser les informations favorables à l’inspection mais aussi à attaquer et discréditer ceux qui osent remettre en question l’intégrité de l’IGF. L’attaque coordonnée contre POLITICO.CD suite à la publication de la première partie de notre enquête en est un exemple flagrant.

Des journalistes et médias sous contrat lynchent un média confrère

En effet, début avril, Litsani Choukran, le Directeur général de POLITICO.CD, s’y attendait. Avant même la publication de la première partie de l’enquête explosive sur le patron de l’Inspection Générale des Finances, l’éditorialiste congolais avait pris le soin d’avertir, via son très actif compte X (ex-Twitter), qu’il serait bientôt au cœur des attaques médiatiques. « Dans les prochaines heures, je serai fortement insulté. Journalistes, influenceurs, mendiants et toute sorte de godillots me tomberont dessus pour défendre un homme. Je redeviendrai le journaliste le plus corrompu pour les uns et ceux qui m’ont insulté hier vont se taire. Mais comme d’habitude, ils auront les faits face à eux », a-t-il promis dans cette publication du 5 avril.

À peine quelques heures après la publication de cette enquête citant Jules Alingete, c’est une vague sans précédent d’attaques qui s’est déferlée contre le journaliste congolais et le média POLITICO.CD. D’abord un communiqué au souffre, le qualifiant de tous les noms, étrangement relayé à l’unisson par une ribambelle de médias en ligne, dont certains n’ont pas hésité à faire leurs les paroles de ce communiqué.

De l’autre côté, sur les réseaux sociaux, des images sont montées, d’abord avec la mention « FAKE NEWS » sur les publications de POLITICO.CD, ensuite sur la personne de Litsani Choukran lui-même. « Scandale à la presse congolaise. Voici un autre journaliste recruté par des criminels financiers pour discréditer l’Inspecteur Général des Finances—Chef de service Jules Alingete », peut-on lire sur l’un de ces pamphlets publié par Litsani Choukran, qui va jusqu’à remercier les auteurs d’avoir néanmoins choisi une belle photo de lui. Dans les coulisses, les menaces d’emprisonnement pleuvent. “Tu vas aller occuper la cellule laissée vide par Stanis Bujakira”, a lancé un responsable de l’IGF en appelant directement M. Litsani.

Des médias en ligne n’ont pas hésité à rapporter tantôt que l’enquête de POLITICO.CD était fausse, tantôt que le média, via son Directeur général, aurait présenté son « mea culpa », peut-on lire sur le site netic-news.net, visiblement créé pour l’occasion. Dans les propos, venant uniquement du Communiqué de l’IGF, il est question de remettre en cause l’authenticité des documents publiés par POLITICO.CD. Pour autant, le média congolais n’a pas seulement cité les documents, mais également les propos des intéressés, à savoir M. Youssouf et une association congolaise qui n’a pas hésité à saisir la justice. Aucune explication par ailleurs n’est fournie, quant à savoir pourquoi, sur une des décharges, le nom de la belle-sœur de M. Alingete s’est retrouvé, pendant que M. Youssouf, expulsé en Inde, continue de clamer que les documents sont vrais, se disant prêt à témoigner.

Le jour suivant, c’est sur le plateau d’une chaîne de télévision populiste de fortune que POLITICO.CD et son enquête sont victimes d’une véritable campagne de dénigrement et de diffamation. Le présentateur va jusqu’à annoncer qu’il aurait été contacté par des détracteurs présumés de Jules Alingete pour diffuser le même contenu. Lui aussi, à son tour, relaie la ligne de défense soigneusement conçue par les services de communication de l’IGF.

Des attaques qui ont poussé POLITICO.CD à réagir officiellement, une première dans le pays. Dans un communiqué publié ce mardi 9 avril, la Direction de POLITICO.CD a dénoncé ces attaques, promettant de continuer ses enquêtes. « Dans un revirement surprenant, nous observons aujourd’hui une réaction synchronisée d’une coalition de journalistes, relayant un communiqué de l’IGF qui, outre les accusations sans preuves contre notre travail, est marqué par une nouveauté déplorable : des insultes ciblées et orchestrées à notre encontre, une première dans notre profession », fait savoir ce communiqué publié sur X (Twitter). « Ce comportement, loin des normes éthiques du journalisme, révèle une tentative manifeste de discréditer notre enquête par des moyens non journalistiques. De plus, ces mêmes confrères ont tiré des conclusions hâtives, se basant exclusivement sur le communiqué de l’IGF, sans aucune investigation supplémentaire. Cette démarche soulève des questions sérieuses sur leur impartialité et leur dévouement à la vérité », enfonce-t-il.

200 à 300 USD par publication

Comment alors toute une clique de journalistes et médias peuvent-ils attaquer directement des confrères et un autre média, se mettant tous à défendre un officiel congolais ? POLITICO.CD a enquêté autour de cette question et le résultat démontre la mise en place, au sein des services de Communication de l’IGF, des mécanismes qui ont conduit à la mise sous tutelle de la presse locale.

Tout commence le 30 juillet 2021, Peter Tshiani, journaliste congolais très proche de l’opposant Moïse Katumbi, contacte Litsani Choukran, directeur général de POLITICO.CD, dans un message via l’application « Whatsapp ». « Salut Bro, Ça marche », tel est son introduction, suivie d’un communiqué consulté par la rédaction et d’un message demandant à M. Litsani de le relayer sur Twitter (devenu X depuis). « Tu peux aussi modifier à ta manière en gardant l’esprit de la Communication (…) Je t’ai donné l’exclusivité avant tout le monde », dit-il.

Le communiqué émane de l’IGF et vante les réalisations présumées de Jules Alingete. Fait étrange, alors que M. Litsani accepte de publier le contenu à titre informatif, le journaliste Tshiani enverra la somme de 200 USD via la messagerie financière mobile M-PESA le jour suivant. Autre fait étrange, de manière assez synchronisée, le même communiqué est relayé par l’ensemble des journalistes de premier plan sur les réseaux sociaux en RDC, avec le même message, retouché ici et là. Selon les informations de POLITICO.CD, c’est une cinquantaine de journalistes qui sont ainsi placés sur la liste des “Influenceurs” de l’IGF.

Toutefois, l’IGF n’est pas la seule institution en RDC à payer les publications en ligne ou à disposer d’un réseau de relais. « Il n’y a vraiment pas de violation des lois à ce niveau. Toutes les institutions ont le droit de communiquer sur leurs activités et les médias peuvent percevoir de l’argent pour la diffusion », explique un spécialiste de la communication politique en RDC, joint par POLITICO.CD.

Néanmoins, c’est la suite qui va se compliquer et révéler une véritable volonté de l’IGF et de ses dirigeants dans le but de museler la presse. Des contrats de non-diffamation ont été proposés à plusieurs médias influents, conditionnant leur financement à la non-publication de contenus jugés « nuisibles » par l’IGF. Ces accords stipulent explicitement que tout contenu potentiellement défavorable à l’IGF doit recevoir une approbation préalable avant publication, sous peine de sanctions financières ou légales.

Des contrats pour contrôler journalistes et médias

En effet, en mars 2023, le téléphone de la Responsable d’Administration de LEOPARDS GROUP SARL, société éditrice de POLITICO.CD basée à Kinshasa sonne. Au bout du fil, un ancien journaliste de Télé50 se présente comme un responsable au Service de Communication de l’IGF, qui aimerait “parler avec Litsani Choukran”. “J’ai un contrat ici pour POLITICO.CD, il faut venir signer”, dit-il à M. Litsani, une fois qu’il aura reçu ses coordonnées téléphoniques. Ce dernier lui demande cependant de passer par les services commerciaux de la société pour “toute signature de contrat de publication (relais) de communiqué de l’IGF.” “Je lui ai fait savoir qu’il devrait d’abord envoyer la copie du contrat à nos services pour qu’ils en prennent connaissance et qu’ils sachent si ce dernier ne va pas à l’encontre de notre ligne éditoriale”, explique M. Litsani à POLITICO.CD.

Cependant, chose étrange, le responsable de l’IGF, qui a requis l’anonymat après avoir été contacté par POLITICO.CD pour expliquer son attitude de l’époque, refuse d’envoyer la copie. “Personne ne peut voir ce document. Il va venir à nos bureaux et ça doit être signé par Litsani Choukran en personne”, dit-il. Le 02 mars 2023, un assistant de M. Litsani est reçu sur invitation au service de Communication de l’IGF au centre-ville de Kinshasa où un contrat lui est présenté. Une fois de plus, il lui est interdit d’emporter la copie. « On lui a fait savoir qu’il fallait que le DG vienne signer sur place. »

Le fameux contrat avait pour but officiel de permettre la couverture des activités de l’IGF ainsi que la diffusion de communiqués de l’inspection pour un paiement mensuel de 2000 USD. Cependant, plusieurs clauses y ont été insérées dont celle qui interdisait au signataire la publication de contenu « nuisible à l’IGF et à son patron M. Jules Alingete ». D’autres clauses exigeaient également du média de faire envoyer tout contenu « nuisible » pour obtenir « autorisation de publication » à l’IGF. Et le média n’aurait par ailleurs pas le droit de relayer des publications qui « attaqueraient Jules Alingete », au risque de perdre son contrat et d’être susceptible de poursuites.

L’IGF ayant refusé de laisser l’assistant de M. Litsani Choukran récupérer une copie du contrat pour analyse, le média refuse alors de signer un tel contrat avec l’inspection. Néanmoins, de nos informations, la quasi-totalité des médias congolais, principalement en ligne, ont tous signé ce contrat-là. Par ailleurs, le même type de contrat a été fait signer à des « journalistes — influenceurs ». « Après cela, Litsani Choukran est considéré comme un mouton noir au sein de la communication de l’IGF », explique une source au sein des services de l’Inspection congolaise.

Mais l’IGF ne contrôle pas les journalistes seulement à ce niveau, révèlent plusieurs sources à POLITICO.CD. En République démocratique du Congo, le gendarme des finances s’est arrogé le pouvoir de surveiller les dépenses des institutions publiques et parfois même  de les valider. Étrangement, selon plusieurs sources au sein des institutions, l’IGF valide systématiquement les paiements liés aux activités de presse et de communication « sans broncher ». « Une circulaire qui a été envoyée à plusieurs ministères et entreprises publiques a demandé aux responsables financiers de libérer plus activement les factures de la presse », révèle une source au sein de la société publique OGEFREM à POLITICO.CD. « Cela est fait dans le but de rendre la presse congolaise redevable à l’IGF et donc d’être sympathique vis-à-vis de Jules Alingete », explique notre source.

Malgré nos multiples tentatives de contact avec l’Inspection Générale des Finances (IGF) pour obtenir leur réaction à ces allégations, aucune réponse n’a été reçue de leur part. Cette absence de réaction soulève des questions supplémentaires sur la transparence et la responsabilité de l’IGF vis-à-vis du public congolais.

Ces révélations soulignent les défis majeurs auxquels est confrontée la presse en République démocratique du Congo. La pauvreté des médias, combinée à la corruption généralisée dans le domaine de la presse, crée un environnement propice à la manipulation et à la censure. Les pratiques de l’IGF, en muselant des journalistes et des médias au service de Jules Alingete, privent le pays de la transparence nécessaire autour de sa gestion financière.

Cependant, ces enquêtes ne sont que le début d’une série d’expositions sur la gestion de Jules Alingete. Restez à l’écoute pour le troisième acte, où de nouvelles révélations pourraient éclairer davantage le paysage politique et médiatique de la République démocratique du Congo.

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