Crise humanitaire dans l’Est : « la situation va de mal en pis » (E. Lampaert, représentant MSF)

Observée depuis début février dernier, la flambée des violences dans l’Est de la République démocratique du Congo, au Nord-Kivu précisément, n’a laissé qu’une traînée conséquences dévastatrices sur la situation sécuritaire qu’humanitaire avec le nombre de déplacés qui migrent vers Goma, capitale de la province.

Cette semaine, plus de 100.000 civils ont été contraints de fuir leurs localités à Rutshuru après seulement deux jours de combats entre l’armée congolaise et les terroristes du M23 épaulés par le Rwanda.

De retour de Goma, après avoir effectué une ronde autour des sites de réfugiés, Emmanuel Lampaert, représentant de Médecins Sans Frontières (MSF) en RDC, a accordé une interview exclusive à POLITICO.CD ce jeudi 07 mars à Kinshasa.

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L’homme qui travaille depuis près de 20 ans chez MSF est revenu sur l’aperçu de la situation, l’intervention de ses équipes ainsi que l’apport des autorités congolaises dans cette crise.

POLITICO.CD (PCD) : Vous avez été récemment à Goma où arrivent en masse des milliers de populations qui fuient les atrocités dans les autres territoires du Nord-Kivu. Pourriez-vous nous présenter l’aperçu de la situation humanitaire dans cette ville ?

Emmanuel Lampaert (EM) : Ce que j’ai pu constater en me baladant dans plusieurs sites informels autour de Goma, ce que nos équipes nous rapportent de Kibirizi, de Minova et autres… reflète une situation qui va de mal en pis. Je peux citer les conséquences directes de ce cycle de violences. C’est-à-dire de nouvelles vagues de déplacés internes : une estimation de 100.000 suite à l’intensification des combats vers Nyanzale et Kibirizi, sans réponse pour le moment. J’ai pu constater comment les déplacés autour de Sake dans les camps de fortune se sont versés dans les camps déjà existants ou des extensions formées autour de Goma.

Donc le cap se creuse davantage entre le secteur des besoins et la capacité de réponse. L’évolution, la dynamique du conflit, sans parler d’autres conséquences directes de ce cycle de violences qui est le nombre de blessés. Il y a une hausse du nombre de blessés de guerre que nos équipes stabilisent. Nos structures frôlent le débordement. En général, la situation va de mal en pis. Et c’est là où nous tirons la sonnette d’alarme.

PCD : Dans cette situation qui va de mal en pis comme vous le dites, qu’a déjà fait MSF ou est en train de faire pour ces populations vivant dans des sites informels ?

EM : Il faut d’abord noter que MSF est présent dans la sous-région… dans le Nyiragongo, dans le Rutshuru et dans le Masisi, depuis plusieurs années. Vu les besoins en lien avec parfois les conflits entre communautés, entre différents groupes armés non étatiques. A cela depuis bientôt deux ans s’est ajouté le conflit avec la prise de Bunagana, l’afflux des déplacés sur l’axe nord, vers Kanyaruchinya et puis y a eu une deuxième et troisième vagues le long du lac.

MSF, très rapidement, s’est mobilisé, comme par exemple aujourd’hui, pour offrir des soins primaires pour la santé des enfants, des femmes enceinte, des victimes des violences sexuelles dans le camp comme Kanyaruchinya mais également Bulengo et le reste. N’oublions pas la partie nord du Sud-Kivu. Nous répondons clairement aux besoins, avec peut-être pas encore le dénombrement au tour de Minova, avec bien évidemment à ce point aussi la stabilisation et la référence des blessés de guerre qui affluent.

PCD : Lors de votre dernière interview que vous avez accordée au média suisse RTS, vous avez avoué que ce qui passe à Goma peut être qualifié « d’échec humanitaire ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cet échec ?

EM : Échec humanitaire ou certains d’entre nous ont parlé de cimetière : cimetière de la dignité de la vie humaine. Aujourd’hui plusieurs se mobilisent. Nous avons constaté cette semaine que le gouvernement se mobilise autour du FONAREV, du ministre des Affaires sociales et des actions humanitaires ; MSF se mobilise face à l’évolution, à l’augmentation des besoins. Face à la dynamique du contexte la réponse n’est pas à la hauteur des besoins qui ne continuent que d’augmenter.

Je crois que c’est là que nous devons toujours nous interpeller, nous remettre en question, comment avec plus de rapidité, avec plus de réactivité, avec peut-être des choix déchirants à faire, nous pouvons répondre aux besoins. À défaut, nous allons assister à ce qui sera peut-être le cimetière de l’humanité, c’est-à-dire cet échec. C’est énormément défiant cette évolution rapide, les besoins qui ne cessent d’augmenter. Nous avons certainement le devoir de rester, d’être présents et au mieux de répondre.

Intensification, adaptation, priorisation… des grands mots mais aujourd’hui il est clair que les standards minimums ne sont pas respectés. La capacité de s’adapter dans le temps et face au volume des besoins n’est pas à la hauteur. Voilà, je crois que cette interpellation est pour nous mais aussi pour les parties prenantes qu’elles soient non gouvernementales ou gouvernementales, qu’elles soient au sein de la société… qu’elles se mobilisent déjà sur terrain.

PCD : Vous avez une expérience de terrain. Vous avez travaillé à Goma en 2007 et 2014, est-ce que l’apport du gouvernement vous est favorable ? Et à quelle dimension intervient cet apport par rapport aux attentes des besoins qui se veulent urgentes ?

EM: Il y a deux aspects : le côté des facilités, là il y a clairement des signaux qui ont été envoyés ce dernier temps, notamment pour l’ensemble de MSF. Ils veulent nous encourager à maintenir et à continuer dans le respect de notre identité.

Après, en termes de parties prenantes, dans la délivrance des soins, dans la délivrance de la réponse humanitaire, quand cela se fait en apport aux structures existantes : des hôpitaux, des centres de santé de référence… Certes, je crois que nous avons pu voir cette semaine cette donation qui a été faite pour 20.000 déplacés. Nous avons aussi rappelé certains dénominateurs depuis la dernière vague d’intensification fin 2023.

Propos recueillis par Odon Bakumba

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