Spécial Mapping : Quand les services de sécurité de Mobutu commettaient des crimes contre les opposants au régime

Massacres des populations civiles, messages d’incitation à la haine et à la violences, pillages et destruction des biens des populations, voilà quelques faits répertoriés dans un rapport du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les violations des droits de l’homme et des droits internationaux commises en République Démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003. Le rapport a été rendu public depuis 2010, mais les auteurs des crimes, jusqu’à ce jour, se la coulent douce en RDC, certains en Occident, sans être inquiétés par la Justice. Politico.cd vous propose une édition spéciale sur ce rapport.

L’échec du processus de la démocratisation du Zaïre (actuellement RDC) entre mars 1993 et juin 1996 va désormais caracteriser le pouvoir du tout puissant dictacteur Mobutu. En effet, au début des années 1990, sur pression de la population et des bailleurs de fonds, le Président Mobutu a été contraint de rétablir le multipartisme et de convoquer la Conférence Nationale Souveraine (CNS).

Cependant, au fil des mois Mobutu a réussi à déstabiliser ses opposants et à se maintenir au pouvoir en usant de la violence, de la corruption et en manipulant les antagonismes tribaux et régionaux.

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Ses actions ne seront pas sans conséquences puisque cette stratégie coûtera cher au Zaïre qu’il aura beau construit depuis des années. La destruction des principales infrastructures, effondrement économique, déportation forcée de populations civiles au Katanga, violences ethniques au Nord-Kivu, exacerbation du tribalisme et banalisation à travers tout le pays des violations des droits de l’homme, telles sont les conséquences liées à cette stratégie du solitaire Président Mobutu qui voudrait à tout prix conserver le monopartisme avec son « Mouvement Populaire pour la Révolution » (MPR). Quatre ans plus tard, soit en 1994, après des mois de paralysie institutionnelle, partisans et adversaires du Président Mobutu ont fini par s’entendre sur la désignation par consensus d’un Premier Ministre et la mise en place d’un Parlement de transition.

Bien que l’accord ayant été signé, ce dernier ne suffira pas pour régler la crise politique, à enrayer la criminalisation des forces de sécurité ni à engager le pays sur la voie des élections. Au cours de cette période, Kinshasa sera le symbole de la répression brutale contre les opposants politiques au
régime de Mobutu, de nombreux actes de pillages, l’impunité généralisée des tortures et viols contre des civils ainsi que les exécutions sommaires et extrajudiciaires commis par les forces de sécurité sur lesquelles, le maréchal Mobutu exerçait un contrôle direct.

Selon le rapport Mapping de l’ONU, les organes des forces de sécurité les plus impliqués dans les violations du droit à la vie comprenaient la Division spéciale Présidentielle (DSP), la Garde civile, les Forces d’action spéciale (FAS), les Forces d’intervention spéciale (FIS) et le Service national d’intelligence et de protection (SNIP).

Ce rapport indique que la Brigade spéciale de recherches et de signalement (BSRS) et le Service d’action et de renseignements militaires (SARM) ont également été impliqués dans les violations graves du droit à la vie. Il renseigne qu’une cellule spéciale créée au sein de la DSP et dénommée « hibou » était plus spécifiquement chargée de semer la terreur au sein de la population en organisant des exécutions sommaires et en enlevant des opposants politiques mais aussi des militaires et de simples citoyens.

« Les opposants étaient détenus le plus souvent dans les cachots du quartier général de la Garde civile situé sur l’avenue Victoire dans la commune de Kasavubu, le cachot de la Garde civile/IBTP, les locaux de la 11e circonscription militaire (CIRCO), les différents cachots du SNIP disséminés à travers la capitale et ceux des camps militaires Lufungula, Kokolo et Tshatshi. Certains étaient emprisonnés dans des lieux de détention secrets», lit-on dans ce rapport.

La flagellation, les électrochocs, la suspension par les pieds, les coups de fouet et les abus sexuels étaient les méthodes les plus souvent utilisées.

Les conditions de détention s’apparentaient elles-mêmes à des traitements cruels, inhumains et dégradants, propres à entraîner des décès à grande échelle, les victimes étaient entassées en grand nombre dans des cellules exiguës, sans aération ni installation sanitaire, dans lesquelles elles ne recevaient ni nourriture ni soins médicaux.
Entre mars 1993 et juin 1996, plus d’une trentaine de communications concernant des cas à Kinshasa ont été envoyées au Gouvernement à travers les mécanismes prévus par la Commission des droits de l’homme, parmi lesquels le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Groupe de travail sur la détention arbitraire.

Voici ici quelques violations graves répertoriées par les experts de l’ONU, documenté dans le rapport Mapping :

  • En avril 1993, à Kinshasa, des éléments des forces de sécurité ont arrêté arbitrairement et torturé plus de 20 civils parmi lesquels des opposants politiques, des syndicalistes et des journalistes.
    -Le 4 mai 1994, des éléments des forces de sécurité ont exécuté 15 personnes au camp Tshatshi.
    Les forces de sécurité, notamment celles de la BSRS, avaient enlevé les victimes deux jours auparavant lors d’une marche de protestation organisée par l’opposition. Cinq autres personnes qui avaient été enlevées et transférées à la CIRCO ont été libérées suite aux protestations des organisations de défense des droits de l’homme.

En date du 27 mai 1994, l’opposition avait organisé à Kinshasa une opération « ville morte » afin de réclamer le retour du leader de l’UDPS, Étienne Tshisekedi, à la primature. Cette marche avait été violemment réprimée par des éléments de la Garde civile qui ont exécuté 6 militants de l’UDPS.

D’après ce rapport, les corps de ces militants auraient été mis dans un bateau puis jetés au milieu du fleuve. Ils avaient été enlevés le jour même par la BSRS et conduits au centre de formation Mangengenge de la Garde civile.

  • Le 29 juillet 1995, des éléments de la Garde civile et de la gendarmerie ont tué au moins sept militants du Parti Lumumbiste Unifié (PALU) lors d’une manifestation contre la prorogation de la période de transition. Aussi beaucoup d’autres militants ont été arrêtés et transférés dans les cachots de la Garde civile, de la CIRCO et du camp militaire Kokolo. Le même jour, vers 4 heures du matin, la Garde civile et la gendarmerie ont violé des femmes et roué de coups des militants du PALU à la résidence du président du parti, Antoine Gizenga, dans la commune de Limete.

À cette occasion, les forces de sécurité ont pillé et saccagé la résidence qui servait aussi de siège social au PALU.

Au total, l’équipe Mapping estime qu’au cours de cette période, les membres des forces de sécurité zaïroises opérant en uniforme ou en civils auraient tué plus d’un millier de personnes à Kinshasa. Durant cette période, certaines provinces ont connu un processus de démocratisation chaotique accompagné d’une montée de la xénophobie qui s’est soldée par des persécutions contre les « non-originaires » et des actes de violences à l’encontre des opposants.

Il s’est installé un bras de fer politique entre le Président Mobutu et Étienne Tshisekedi de l’UDPS et la manipulation du sentiment régionaliste et tribaliste par les acteurs politiques locaux ont donné lieu à de nombreux abus et actes de violences à l’encontre des opposants et des non originaires dans les différentes provinces.

Le mouvement se poursuit dans d’autres provinces, en l’occurrence la province du Bas-Zaïre (Bas-Congo) et celle du Kasaï Occidental.

Dans la province du Kasaï occidental

Le Zaïre s’enfonçait de plus en plus dans la crise économique suite au lancement, par le Gouvernement Birindwa en octobre 1993, d’une réforme monétaire et introduit une nouvelle devise, le « Nouveau Zaïre ».

Cependant, une opposition se dresse contre l’utilisation de cette monnaie. Cette opposition est soutenue par le leader de l’UDPS, Étienne Tshisekedi et l’Église catholique. Ensemble, ils ont mobilisé la population des deux provinces des Kasaï pour faire échec à cette réforme monétaire.

Pour arrêter le mouvement, le Président Mobutu va recourir à des méthodes sévères de répression en envoyant des renforts militaires dans la province du Kasaï occidental, occasionnant une nième fois des morts et des actes de pillage.

Au Bas-Zaïre (Bas-Congo)

En 1994, le Gouverneur de la province du Bas-Zaïre de l’époque, Bieya Mbaki, a tenu plusieurs réunions publiques, en particulier au mois de septembre, incitant les autochtones de la province à se débarrasser de tous les « non originaires » occupant des postes importants dans la région.

Suite à ces discours teintés des slogans xénophobes et incitant à la haine ethnique, le Gouverneur et les autorités locales auraient expulsé
plusieurs ressortissants des Kasaï et ont lancé un ultimatum aux « non originaires » afin qu’ils quittent la province avant le 24 novembre 1994 (date d’anniversaire du coup d’état de Mobutu, le 24 novembre 1965). On peut citer à titre d’exemple de cette campagne de persécution les deux incidents allégués suivants:

En juillet 1994, l’entreprise publique Régie des Voies Maritimes a licencié plusieurs employés « non originaires ». Au cours des mois suivants, la population a chassé deux magistrats « non originaires » parmi lesquels le Président du tribunal de paix de Luozi.

Le 15 octobre 1994, des éléments des forces de sécurité zaïroises ont expulsé 14 familles « non originaires » parmi lesquelles des Baluba (des Kasaï) et des Bangala (de l’Équateur) de la province du Bas-Zaïre.

Carmel NDEO (@NdeoCarmel)

2 comments
  1. Nous étions tous vivants! Vous savez vous-même les raisons de l’exagération dans votre article. Ne nous faites pas croire que les experts de l’ONU sont des incorruptibles ou des intègres. Bref, nul n’ignore que Mobutu était un dictateur tout comme les dirigeants qui s’activent en ce moment de 2021 pour conserver leur pouvoir au Tchad, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Congo Brazzaville, mais de là à nous dire que le Zaïre sous Mobutu était un enfer, vous exagérez tristement. Comparons alors l’enfer Mobutien et le paradis congolais d’aujourd’hui! Bonne chance!!!

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