« Que Dieu pardonne nos péchés »: Sindy, les réseaux sexuels, Tinder et Kifaru

L’envers du décor des nuits kinoises n’est pas ignoré. Récemment un célèbre DJ de la capitale a été arrêté puis traduit en justice pour des accusations de proxénétisme. Dans cette histoire-là, il était bien question d’aller « vendre » des filles dans la ville de Brazzaville voisine, où encore, d’autres histoires à dormir assis fusent et où, à chaque fois, la jeune Kinoise, souvent mineure, défraie la chronique. Un autre Tippo Tip. Il y en a tout une flopée dans la capitale. Mais quelle plume pourrait-elle tout percer ? Sans doute pas ma modeste main. A l’issue du premier acte du dimanche dernier, préparez-vous pour cette suite, dans un monde aux mille visages.

En revenant chez moi, je me suis fait le vœu de compter Sandra et John parmi mes amis, maintenant le projet de livre. Mais le même soir, ma foi en la jeunesse congolaise allait être sérieusement titillée. Tenez, à l’ère des réseaux sociaux, les portes closes des téléphones renferment bien des réalités. WhatsApp, Twitter, Facebook, ou encore Instagram et Tiktok restent les principales applications utilisées en RDC. Mais pour ceux qui voyagent, d’autres outils sont utilisés. Et beaucoup reconnaîtront sans doute Tinder. Bienvenue au cœur d’une chute avec frasque de notre billet.

2006. Pour la petite histoire, je suis à Kinshasa, au cœur de la jeunesse. Passionné par le web et les innovations, je développe un site de rencontres nommé « Lovende.com ». Certains à Kinshasa le reconnaitront. Une véritable réussite, mais sans apporter le succès financier. Il est fermé en 2012, avec près de 80.000 membres. Deux ans plus tard, me voilà immigré en Afrique du sud où je m’installe à Johannesburg. J’y découvre alors Tinder, une application de rencontres, souvent sans lendemain et très puisée. Le temps de l’installer, le tester et d’y oublier ainsi un profil en ligne.

Retour au présent. Alors que je venais de me séparer de John et Sandra au bout d’échanges riches en informations, je reçois une alerte : « vous avez un message sur Tinder ». Curiosité oblige, je tombe nez à nez avec un autre monde. Car alors que Tinder est souvent utilisé à l’étranger pour des rencontres de tout genre, les profils kinois renferment d’étranges similitudes. Des photos de profils souvent très osées, y compris avec des vidéos. Et mon fameux message venait d’une certaine Sindy. « Salut, ça va ? », me lance-t-elle. Mais Sindy n’avait pas envie de savoir comment je me portais. Tout de suite, elle me proposa alors ses services. 150 USD dans un hôtel ou 200 USD chez elle. Elle habite le centre-ville de Kinshasa, d’après ce qu’elle dit. Nous voilà alors devant un phénomène.

Tinder, le marché Kinois de sexe en ligne

D’autres messages arrivent. Les plus explicitent vont jusqu’à envoyer des vidéos de démonstration. Filles dénudées, expressives, je vous passe les détails.  Et en faisant un peu semblant, en se comportant un peu comme un potentiel client, nous voilà devant des offres à couper le souffle : au lieu d’une seule dame, vous pouvez avoir deux au même moment, il vous suffira de doubler la mise, qui se situe souvent entre 100 et 300 dollars américains. Sindy sera l’heureuse élue. Elle m’envoie rapidement son numéro Whastapp. Elle a Angel, son « amie », qui veut être de la partie. Pour 300 dollars, j’aurais, promettent-elles, le plus beau jour de ma vie.  Et si les deux ne me conviennent pas, est aussi une Tippo Tip.

Sindy attire mon attention pour une raison tout à fait spéciale que vous allons découvrir. Le lundi 6 juillet, nous avons rendez-vous à l’Hôtel Pyramide, sur l’avenue Nguma, dans la commune de Ngaliema. A 10h de la matinée, autour du restaurant de l’hôtel, vers une petite piscine suavement décorée, deux demoiselles sont assises, les yeux rivés dans leurs portables. « Litsani ! » s’écrit l’un d’elle. C’est Sindy. La surprise est totale, proportionnelle au gène occasionné. Angel, l’amie, est aussi hébétée. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » m’interroge Sindy. « C’est avec moi que tu as rendez-vous », la réplique la terrasse !

Un flash-back s’impose. Institut du Mont-Amba, à l’Université de Kinshasa.  Neveu du professeur Pierre Makambo Lisika, ou plutôt son fils,  je viens de reprendre l’école, après trois ans d’arrêt, faute d’argent. Agé de 13 ans, j’entre à  l’IMA 3 du Mont-Amba, dans une classe de 3ème Scientifique de l’après-midi. Si « les enfants des » professeurs et ceux de l’élite de cette école réputée étudient le matin, nous autres devrions nous contenter d’un second gon, les après-midis. Mais au moment de pointer mon nez dans la salle, j’entre en transe. La peur se mêlant à la honte, m’envahissent tout à coup. Car je vais devoir m’assoir aux côtés de mes anciens clients de crème glacée ! 

En effet, pendant que j’avais arrêté les études, j’ai été obligé de faire le petit boulot, me faisant embaucher par la femme du professeur Mayola, comme vendeur. Mais la vente se fera au Mont-Amba et à des écoles environnantes ! Et donc, après avoir économisé durant trois ans, me voilà tentant de devenir condisciple de mes anciens clients. Dans la salle, les regards insistants sont braqués sur l’ancien vendeur que beaucoup ont vite reconnu. Alvin Kwete, un voisin du quartier, ami, frère, et qui va jusqu’à me ressembler, me reconnaît rapidement. Mais son banc est rempli. Me voilà obligé de m’assoir du côté des filles. Et l’une d’elle, ma voisine de banc, c’est donc Sindy ; qui deviendra, durant les 8 mois que je côtoierai cette classe, avant de m’en aller pour d’autres horizons, une de mes rares amies.   Et Sindy non plus n’avait pas trainé. Je n’eues plus aucune nouvelle d’elle, jusqu’au jour où je vois sa photo sur un profil Tinder, me proposa donc des services….

Autour de la piscine de l’Hôtel Pyramide, qui ignore sans doute l’énormité des affaires de ses clients tous majeurs, la conversation peine à décoller. Le temps des mémoires, celle du fameux professeur Diaz de dessin scientifique, ou encore de quelques condisciples comme la brillante Atibu Bahati ou Dabby Kasendwe, le phénomène Vincent Mbila … Mais nous n’étions pas là pour la camaraderie, l’amour et les affaires pressent. « Alors, c’est quoi le deal ici ? », le gars de la Mongala que je suis prend le dessus. « Je t’aie amenée Angel », l’offre change. Les vieux amis ne se bouffent pas visiblement. « Donc tu est Tippo tip ?» Sindy sourie et comprend que je maîtrise le milieu. Mais la conversation ne va pas plus loin. La trentaine dépassée, déjà « chaude » à l’époque des études, Sindy me doit bien d’explication. Que s’est-il passé ? D’autant plus que dans ses offres sur Tinder, elle a bien été obligée de m’envoyer des vidéos dénudées d’elle…

La condisciple devenue « Tippo tip »

Derrière, c’est une autre version de Sandra. Une femme que la rue a attrapée par la pointe des pieds. Nièce d’un professeur de l’Université de Kinshasa, à la beauté d’un soleil, elle n’a eu que des propositions dès sa tendre innocence. Des dragues aux sorties, en passant par des cadeaux, la voilà voulue et donc rebelle ! Les nuits l’embrassent, elle débarque à Gombe, pour ne plus revenir au Plateau des professeurs, notre concon qui nous protegéa tant de toute immoralité. Sindy s’en va, elle se noie et noie sa jeunesse dans une quête du vent. Elle se retrouve à Brazzaville, s’adonnant à des soirées torrides et aux dignitaires qui se la passent entre les jambes. Mais la femme ne vendra que son innocence. La voilà dans la vingtaine, mais déjà vieille pour le milieu. La nouvelle génération arrive, celle qui a encore les tétons au garde à vous.  Maligne, tel un joueur de football, elle anticipe sa carrière et se reconvertie en véritable «Tippo tip ».

Aujourd’hui, Sindy est une professionnelle du milieu. Son bureau est sur les réseaux sociaux et son téléphone est une foire. Coups de file, messages, rendez-vous, elle gère tout. Son temps est compté. Son avantage est dans le recrutement et la « confiance », explique-t-elle. « Moi, ce que je fais, je rends services à mes amis. Ces vieux savent qu’ils peuvent me faire confiance et moi à mon tour, je prends contact avec des petites filles pour les encadrer », dit-elle. Mais on ne parle pas d’un encadrement spirituel ici. Il s’agit, le plus souvent, de repérer des jeunes fêtardes de la nuit, qui échappent à peine au contrôle parental et qui sont encore aux portes de la perdition. D’autres font semblant d’avoir la vie de Gombe, sans en avoir les moyens. Et enfin, celles qui sont avides d’expériences…. Et cette dame, Sindy, amie d’école, qui a un esprit bien en place et un sourire d’ange, est bien celle qui les précipitent vers les abimes.

Alors seule la quête de la plume m’oblige à rester là, à l’écouter. Aussi, Sindy s’est vite rendue compte qu’on ira pas plus loin avec Angel. Mais il me faudra débourser 100 dollars américains pour découvrir les dessous de son monde et, surtout, pour son déplacement. « Je n’ai fais que trouvé un moyen pour survivre. J’ai été entraînée dans ce monde qui m’a tout pris. Les téléphones et toutes sortes de choses que je recevais me trompaient, alors qu’ils [les vieux payeurs] me prenaient tout mon avenir », se justifie-t-elle.  Mais la plaidoirie entre à gauche et sort à droite. Autant Sandra et John étaient sympathiques et me paraissaient assumer leurs actes, la tentative de dénouement me parait ici hypocrite.  Rares sont ceux qui sortent de cette classe de 3ème scientifique du Mont-Amba et finissent au trottoir. Filles ou garçons, c’était une armée des génies, des vies toute autant compliquées, mais qui ont réussi à défier la fatalité.

Certes, je la comprends. Et nous sommes là pour découvrir. Aussi, la balle est posée à terre, et le sourire fait semblant. Comment se passent les affaires ? Que gagne-t-elle réellement ? Les réponses seront parfois farfelues. Mais lorsque vous naviguez sur les réseaux sociaux et voyez des belles dames mettre leurs arguments en exergue, sans bien sûr céder à la paranoïa et à la chosification de la femme congolaise, largement victime de dénigrement d’une société machiste, vous êtes peut-être sur des profils « gérés » par la bande à Sindy. Des « teaseuses » sur Facebook, Tiktok ou Tinder, des « Story » Instagram ou Whastapp torrides, et même des simples groupes de discussions sur les messageries Whatsapp dessinent alors des transactions commerciales bien cachées.

Il y a également le monde réel. Lors des soirées, dans des « resto », les coins parfumés, d’une épaisse couche de font de teint, rigolant et prenant des selfies, sont peut-être des stands des propositions. Et les Mukala ! Oui, ceux qui cherchent, traquent et recherchent pour leurs « boss ». Ils connaissent aussi les Sindy, car elle n’est pas la seule. Loin de là. Les Tippo Tip courent les téléphones et les réseaux sociaux à Kinshasa. Ils vendent la nuit et passent leurs journées à récupérer ou à longer les murs d’écoles et universités où ils recrutent et agrandissent leurs équipes. Les agents de la FIFA s’y reconnaîtront.

Parmi les offres de Sindy, que mes 100 USD ont fini par étaler, la « Partouse », ou le fait de s’offrir plus d’une fille à la fois, est la plus puisée. « Beaucoup de filles sont des copines et louent ensemble. Aussi, c’est très facile pour elles de faire l’amour à un homme ou même à plusieurs au même moment. Tout dépend des moyens », explique-t-elle. Tout dépend donc du Roi dollar ! Oubliez vos stéréotypes ! On parle des femmes insoupçonnées et qui ne portent pas toutes des tatouages. Certaines se cachent dans leurs chambres, surveillées par des parents qui ne manquent visiblement de rien. Pour celles-là, c’est avant toute une perdition : plaisir, bien matériels, mais surtout : EXISTER ! Oui ! Être ou ne pas être ! William Shakespeare se retrouve à Kinshasa. Jamais, les raisons ne pourront être comprises, ni justifiées. Et n’osez même pas chercher à savoir comment font-elles pour sortir. Pour un père de trois filles comme moi, j’en appelle au miracle Divin pour échapper à tout ceci.

Tramadol, Codéine et Kifaru: le cocktail mortel de renforcement des capacités

Puis, un autre détail. Qu’en est-il de la consommation? Car il ne suffit pas de payer pour « s’éclater », au risque de se briser. Encore faut-il assurer. Il faut également en avoir la tête. L’alcool restera un allié, mais lorsqu’il ne suffit pas, nos professionnels font recours à d’autres forces. « Je me suis déjà drogué plusieurs fois », avoue Sindy. La drogue, dans le jargon congolais, fait référence à de la poudre blanche. Mais nul ne saura s’il s’agit de l’héroïne ou de la cocaïne. Retenez que les plus souples prennent de la marihuana.  Mais pour les performances sexuelles ou même seulement pour oublier et ne pas être là, certaines font appel à l’industrie moderne de la pharmaceutique.

 Dans leur armoire à pharmacie, il y a les plantes traditionnelles, de la fameuse poudre « Ankoro », ou encore la Tramadol et la Codeine, qui règnent sur cette jeunesse. Homme et femme. Dans les pharmacies kinoises, qui délivrent souvent des médicaments sans ordonnances, les jeunes, mais également les vieux clients de Sindy en raffolent. Et mon ex-amie va plus loin. Elle met sa main dans le sac et me sort une boite noire, sur laquelle on peut lire. « Kufaru 100K ». Il fait partie de l’arsenal des belles dames pour le renforcement des capacités. Je le découvre alors. Le temps de m’informer, il est en vente libre pour seulement 700Fc (0,36 USD), et regorge toute une histoire. Un pharmacien m’expliquera plus tard que ce médicament est particulièrement puisé par la jeunesse kinoise, alors qu’il est prescrit à l’origine pour des troubles érectiles. Mais la potion magique n’est pas sans danger.

Composée au « sildenafil » à l’image du célèbre viagra, elle vient avec son lot d’effets secondaires et de conséquences pour une prise à long terme et un mauvais dosage ; sans oublier qu’il n’est prescrit qu’en cas de troubles érectiles.  Tout comme la consommation du Tramadol et autres codéines sont prescrites qu’en cas des douleurs chroniques, tout en évitant une prise prolongée. Sindy et Angel n’ont sans doute pas le temps de lire la posologie. A l’heure des réseaux sociaux, un monde souterrain se développe sous nos yeux à Kinshasa où les apparences ne disent plus la vérité.

A trop vouloir vivre dans un monde imaginaire, où il faut certes en avoir les moyens, voilà toute une génération qui bascule vers une quête de facilité et d’échanges de services qui pourrait partir des simples galipettes à des conséquences et pratiques dépravantes.   De Nathy à Sandra en passant par John, c’est dans la fleur de l’âge que la jeunesse congolaise chavire, certains par fatalité de la vie, d’autres par facilité. Mais au finale, la même conséquence : celle d’une perte des repères et des valeurs. Et comme le disait mon amie Sandra : « Que Dieu pardonne nos péchés ».

Dans cette enquête « Que Dieu pardonne nos péchés »:

Litsani Choukran.

Avec la participation de Rudy Ndony, Thierry Nfundu, Fiston Mahamba et Merveille Kiro

NB : les prénoms ont été changés pour protéger l’anonymat des intervenants.

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