Procès Kamerhe : le réveil de la Justice congolaise

Le mois de février 2020 restera un mois symbolique en République démocratique du Congo. Si, pour l’œil profane, les événements actuels autour du procès de Vital Kamerhe sont soudains, un léger regard en arrière montre comment les choses se sont entremêlées pour aboutir à ce qui pourrait être qualifié d’un « début de renaissance de la justice congolaise ».

Tenez. Le vendredi 31 janvier, Félix Tshisekedi procède à la nomination des membres du bureau du Conseil supérieur de la magistrature, les plus importants magistrats du pays.  Flory Kabange Numbi s’en va. Victor Mumba Mukomo, un vieux routier de la justice congolaise, le remplace.  Jean-Paul Mukolo est lui nommé procureur général près la Cour constitutionnelle. « Il est réputé compétent et intègre », commenteront des proches du Président. Il a été pendant longtemps avocat général au niveau du Parquet général de la République. De son côté, Dominique Thambwe, lui, a été nommé premier président de la Cour de cassation en remplacement de Jérôme Kitoko.

Des nouveaux magistrats tout feu toute femme

 Le 7 février 2020, la nature s’énerve. Très tôt, le matin, une giboulée s’abat sur la capitale congolaise. Le vent violent qui y découle s’acharne sur les sauts-de-mouton. Des ouvrages en construction dans la cadre du programme de 100 jours de Félix Tshisekedi. [Lire l’acte II ici pour mieux comprendre ]

Partout, à travers les 7 points de construction de ces ponts à Kinshasa, des tôles bleues qui cachaient des travaux immobilisés sont emportées. Stupeur sur les réseaux sociaux. Le peuple avait raison. Après près d’un an de travaux, les ouvrages sont loin d’être terminés. La colère s’empare des téléphones insolents en RDC. Rapidement, un groupe de jeunes dames lance une pétition, qui vise à « voir clair » dans cette affaire qui énerve.  Car en effet, partout où sauts-de-mouton sont construits, ils entraînent des gigantesques embouteillages dans une ville où la conduite au volent est une véritable épreuve.

Le hasard fait bien les choses. Quelques semaines avant, un homme, d’une détermination de Gladiateurs et d’une confiance de dieux, affirme qu’un des ouvrages, dans l’ouest de la capitale, sera prêt le 30 janvier. Mais à la date, Vital Kamerhe, le directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, déchante. Il est désillusionné. Les ouvrages sont loin d’être terminés. En colère, ce 30 janvier là, des jeunes gens « inaugurent » eux -mêmes l’ouvrage toujours en construction. Le mal est fait. « VK » s’adjuge l’éthique du coupable idéal dans ces travaux qui trainent.

Aussi, lorsque la pluie emporte les tôles, Jean-Marc Kabund, président contesté de l’UDPS et son Secrétaire général Augustin Kabuya, deux adversaires de Kamerhe, en profitent pour enfoncer le clou. Casques sur tête. Dès le lendemain, dans l’est de la ville, les deux « ingénieurs » inspectent les sites de construction. Ils sont sans équivoque. Les travaux n’ont même pas atteint les « 30% ». Contrairement aux « 70% » qu’avait annoncé Vital Kamerhe.  « Nous avons entendu quelqu’un dire à la radio que les travaux du programme des cent jours sont déjà réalisés à hauteur de 70% », a-t-il lancé, faisant référence à des propos tenus quelques jours plus tôt par Vital Kamerhe.  » Mais ce projet-là [de construction des sauts-de-mouton] n’est même à 30% en termes de réalisation« 

Matete passe à l’action

Félix Tshisekedi, ancien internaute engagé, a surement suivi les débats. Le voilà dos au mur.  Le même jour de la sortie combinée de Kabund et Kabuya, Félix Tshisekedi fait savoir au Conseil des ministres sa décision de lancer un audit sur l’utilisation des fonds débloqués pour ces chantiers. Il finit par visiter lui-même les travaux sur le terrain.

Le même jour, la nouvelle justice congolaise se saisit du dossier. Elle ouvre une enquête sur l’utilisation des fonds alloués à l’exécution de ces travaux.  Cette instruction judiciaire est lancée par  le parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Matete.  Le procureur de Kinshasa/Matete, Adler Kisula demande au vice-Premier ministre et ministre du Budget, Jean Baudouin Mayo Manbeke, qu’il lui transmette les copies de tous les bons d’engagement établis en faveur des sociétés exécutant les travaux de 100 jours ainsi que les numéros de dossiers relatifs en urgence.

Le ministre des Finances, José Sele Yalaghuli, est prié de transmettre les copies des ordres de paiements informatisés et/ou toutes les lettres de paiements d’urgence établies en faveur de toutes les entreprises retenues. Il doit également transmettre l’exécution du plan de trésorerie et de décaissement de fonds en faveur de ces entreprises.

Le lendemain, face à l’ampleur des critiques portées par l’exécutif de l’UDPS, le Premier ministre Sylvestre Ilunga a convoqué une réunion interministérielle à laquelle ont notamment participé les représentants du Budget. « Nous demandons à la population kinoise de prendre son mal en patience. Si les sauts-de-mouton n’ont pas évolué, c’est parce que les finances étaient un peu difficiles à gérer », tente pourtant de plaider le vice-Premier ministre Jean-Baudoin Mayo Mambeke, issu du parti de Vital Kamerhe, à l’issue de la rencontre.

Il suffisait de regarder

Les choses s’accélèrent.  Des convocations sont envoyées aux patrons des sociétés qui exécutent les travaux. David Blatner, directeur général de la société Safricas est retenu à l’issue de son audition le 19 février.  « Il lui est reproché sa mauvaise gestion (…). Est-ce que ce sont des détournements ? Est-ce que ce sont des abus de confiance ? C’est le juge qui va le déterminer », expliqué le ministre de la Justice Célestin Tunda Ya Kasende.

Le 24 février, Jammal Samih, patron des sociétés Samibo SARL et Husmal SARL, passe à l’attrape. Etrangement, le libanais n’était pas concerné par les sauts-de-mouton. Le 27 février, le directeur général de l’office des routes (OR), Mutima Sakrini est arrêté et placé en détention préventive dans la prison de Makala comme les autres. Ils seront suivis de Benjamin WENGA, Directeur Général de l’Office des Voiries et Drainage (OVD) et surtout du Directeur général de la Rawbank, Thierry Taeymans.

Mais voilà. Si tout part des sauts-de-mouton, la justice finit par y découvrir une véritable boite de Pandore. A côté de ces ponts de Kinshasa, un autre projet, beaucoup plus coûteux, celui des logements sociaux, est visé par les investigations. C’est d’ailleurs ce dernier projet qui vaut arrestation à Jammal Samih, le Directeur général de SAMIBO, qui avait gagné le marché. Mais un homme arrive finalement à tomber dans les filets de la justice : Vital Kamerhe, le Directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi.

A suivre au prochain Acte IV.

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