Dominique Migisha fait le point sur le plan national du numérique, 6 mois après sa validation

Politico.cd: Bonjour monsieur le conseiller, après bientôt un an dans la conduite de la numérisation du Pays en tant que Conseiller Spécial du Chef de l’État en la matière, pouvons-nous avoir vos avis sur l’évolution du pays dans le domaine ?

Dominique Migisha: Depuis la fin des années 80, le pays a manqué de suivre la coordination des actions liées à l’informatisation et à son évolution jusqu’au Numérique. Avec l’arrivée du Chef de l’État, Son Excellence Felix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO tout a changé, il a fait du Numérique une de ses priorités et l’une de ses premières actions a été de nous nommer. Il a résumé sa vision en une : Faire du Numérique congolais un levier d’intégration, de bonne gouvernance, de croissance économique et de progrès social. Pour ce faire il nous a demandé de rédiger un plan traduisant sa vision avec une condition : qu’il soit inclusif afin que tous les congolais puissent se l’approprier.

C’est ainsi qu’un grand atelier rassemblant près de 400 personnes représentant le secteur public, les entreprises et les acteurs privés du secteur, l’écosystème technologique, la société civile, etc. s’est tenu du 03 au 05 septembre 2019. Cet atelier a abouti à la validation du tout premier Plan National du Numérique dénommé « Horizon 2025 ». Aujourd’hui grâce à l’impulsion du Président de la République les congolais ont pris conscience de l’importance de ce secteur et de nombreux projets ont commencé à voir le jour dans différents domaines. L’objectif étant que la transition numérique dans laquelle le Chef de l’État nous a engagé puisse à court terme impacter positivement la vie socio-économique du peuple congolais.

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Politico.cd: Puisque vous parlez du Plan National du Numérique qui a été validé en date du 05 septembre 2019. Qu’en est-il de son contenu, son financement et des axes stratégiques à développer à l’Horizon 2025 ?

Dominique Migisha: S’agissant du financement, comme le Chef de l’État l’a annoncé dans son discours à l’occasion de l’atelier de validation, ce plan sera financé en partie par l’État Congolais de manière progressive durant les cinq prochaines années, par les opérateurs privés dans le cadre des PPP et par les bailleurs de fonds qui ont eux aussi bien compris l’apport du Numérique dans le développement des pays.

En ce qui concerne le contenu, ce plan repose sur quatre axes stratégiques : les infrastructures, le contenu, les usages applicatifs ainsi que la Gouvernance et la Régulation. Les infrastructures car elles sont le soubassement et la fondation sur laquelle tout le Numérique se bâtit – infrastructure de transport de l’information (fibre, satellites et autres), infrastructure d’hébergement de l’information et des applications (Data Centers), etc.-. Le contenu, car l’exploitation des outils du Numérique induit la création par les entités utilisatrices du contenu qui devient de ce fait un patrimoine à protéger et à encadrer en assurant aux entités la capacité et les compétences nécessaires par la formation adéquate.

Il est important de noter que nous devons veiller à créer davantage de contenu congolais en particulier et africain en général pour faire en sorte que nous soyons de véritables acteurs de cette quatrième révolution industrielle où les données et leur contrôle sont le véritable or noir de demain. Le contenu ne se créant que via des applications, les usages applicatifs sont donc un pilier majeur de la transformation de nos habitudes dans le monde du travail, des études, des loisirs et plus généralement dans la façon dont nous allons interagir entre nous.

A titre d’exemple nos administrations publiques devraient être les premières bénéficiaires de cette modernisation à travers de nouveaux outils de traitement et de partage de l’information. Tout ceci ne pouvant être fait sans garantir un cadre légal et global de gouvernance adéquat, c’est pourquoi le pilier « Gouvernance et Régulation » se fixe pour objectif de bâtir l’architecture institutionnelle et légale afin de l’adapter à la réalité d’aujourd’hui et à la vision du Chef de l’État, son Excellence Felix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO.

Politico.cd: De ces axes, lesquels sont prioritaires et réclament un focus important présentement ?

Dominique Migisha: Deux axes émergent prioritairement ici : les infrastructures ainsi que la Gouvernance et la Régulation. Et nous nous réjouissons que le Plan d’Action du Gouvernement reprenne ces axes dans ses priorités. Il est en effet impératif que la RDC se dote d’une infrastructure adéquate et utile à la satisfaction de ses besoins en termes de backbone national Fibre Optique et des liaisons satellitaires impératives pour constituer une extension et une solution de remplacement l’un pour l’autre en plus d’assurer l’interconnexion des opérateurs Fournisseurs d’Accès Internet et des opérateurs Télécoms traditionnels.

Nous avons également besoin d’avoir des centres de données capables de couvrir les besoins d’hébergement des solutions gouvernementales et privées. Et les lois que notre pays doit établir selon les recommandations des diverses institutions locales et internationales et les avis des experts gouvernementaux appellent à un focus exceptionnel qui nous aidera à couvrir des domaines demeurés inexplorés et inexploités. Pour ce faire, une grande loi transversale sur le Numérique devrait être initiée pour rattraper notre retard et permettre aux différents acteurs du secteur de pouvoir évoluer avec des règles claires dans un cadre mieux défini.

Je salue les initiatives allant dans ce sens s’agissant de la protection des données et une loi sur les startups. De manière conjoncturelle, un des aspects du contenu et des usages applicatifs que sont les outils numériques d’aide à la gestion et au contrôle. En effet, dans sa lutte contre la fraude, le détournement et le coulage des recettes, le gouvernement a besoin en urgence des solutions informatiques et d’outils technologiques les plus appropriés pour permettre à l’État de lutter efficacement contre ces fléaux et accroître sensiblement ses revenus. De ce point de vue le Numérique est le meilleur allié du peuple congolais qui n’a jamais bénéficié de la richesse exploitée de son pays.

Politico.cd: Comment pensez-vous concrétiser ce plan avec le déficit énergétique que connaît notre pays ?

Dominique Migisha: Vous vous serez sans doute rendu compte que la problématique de l’énergie électrique est l’un des focus dont le Chef de l’État a fait le sujet de discussion avec les bailleurs internationaux (cas de la BAD), les opérateurs privés (General Electric, Bbox, …) et tous les fils du pays qui peuvent apporter des solutions dans ce domaine. Nous pensons que l’approche du gouvernement visant non seulement les grands projets tel Inga III mais aussi les projets moyens et les petits projets (microcentrales, hydroliennes, centrales photovoltaïques, …) tout en libéralisant le marché de la production, du transport et de la distribution de l’électricité plantent un décor propice au Numérique qui en soi, contrairement aux idées reçues, n’est pas une grande consommatrice d’énergie électrique.

Nous devons également mettre en place des politiques d’optimisation pour mieux distribuer l’énergie que nous produisons, de ce point de vue il faut généraliser l’installation des compteurs intelligents dans chaque foyer connecté dans chaque coin de la République. En effet l’exploitation de ces compteurs intelligents dans les différents réseaux offriront des moyens pour les distributeurs de mieux partager l’énergie et aux utilisateurs de payer ce qui a été effectivement consommé. Partout où ces compteurs sont installés on observe une diminution de la consommation car les utilisateurs sont responsabilisés et modifient leur comportement. Tout est donc mis en œuvre d’amont en aval pour que tous les coins du pays puissent jouir d’une énergie disponible, permanente et de qualité dont le profit irait en partie aux exploitations via le Numérique.

Politico.cd: le Plan National du Numérique se veut stratégique, quelle approche d’opérationnalisation permettra au Gouvernement d’assurer la mise en œuvre de la vision contenue dedans ?

Politico.cd: Effectivement la mise en œuvre du Plan National du Numérique, qui est un plan stratégique, nécessite premièrement une appropriation par l’organe d’exécution qu’est le gouvernement avec l’assistance d’un organe spécialisé que les délégués des diverses couches rassemblés lors de l’atelier de validation ont voulu voir en l’Agence du Développement du Numérique dont le déploiement est attendu au niveau national et au niveau des provinces.

La Présidence de la République a transmis au Gouvernement le projet de décret pour la création de l’ADN. On ne peut que se réjouir que le Gouvernement s’est approprié du Plan National du Numérique avec des projets lancés de part et d’autre. Mais cela comporte un grand risque de voir ces projets se déployer de manière non cohérente, éparse et sans approche transversale, ce qui aura comme conséquence une inefficacité et une inefficience comme tant d’autres projets, parfois très coûteux, qui ont été mis en œuvre depuis tant d’années. C’est pour pallier à cette absence de coordination qui a été tant préjudiciable au développement de notre pays que l’Agence du Développement du Numérique doit voir le jour pour permettre une meilleure opérationnalisation sans redondances inutiles, dans un souci de mutualisation des ressources surtout matérielles et une optimisation des aspects financiers qui seront sûrement bénéfiques pour la nation. Le projet de décret étant déjà sur la table de son Excellence Mr. Le Premier Ministre, nous espérons voir cette agence sur pied en vue d’assurer une évolution coordonnée de l’opérationnalisation du Plan National du Numérique et la création du Centre National des données et ses réplications répondant aux standards internationaux et dont notre pays a tant besoin.

Politico.cd: Des contraintes et des obstacles rencontrées ou envisagées dans cette mise en œuvre ?

Dominique Migisha: Le talon d’Achille de l’exercice de mise en œuvre demeure les moyens financiers. A première vue, nous ne disposons pas des moyens pour notre politique mais des approches expérimentées avec succès dans d’autres pays nous permettent de regarder avec optimisme l’avenir. En effet, des nombreux acteurs économiques dont certains de premier plan d’horizons divers ont exprimé leur volonté de nous accompagner dans cet exercice au travers de partenariat Public-Privé, de BOT – Build, Operate, Transfer –.

De plus, nos partenaires techniques et financiers tels que la BM, la BAD, l’UE aujourd’hui regroupés au sein d’un groupe inter-bailleurs dédié au Numérique nous ont déjà fait savoir leur intérêt d’accompagner la RDC dans la mise en œuvre de son Plan National du Numérique. C’est un plan quinquennal qui va pouvoir se réaliser progressivement, ce qui permettra à l’État accroître sa contribution dans les années à venir. La résistance au changement, en particulier dans les administrations publiques, est un fait mais tout sera mis en œuvre pour accompagner les fonctionnaires dans cette transition digitale.

Politico cd: L’Agence de Développement du Numérique, présenté comme l’organe de suivi et de coordination du Numérique en RDC, traîne à voir le jour. Qu’en est-il  et comment est prévu son fonctionnement ?

Dominique Migisha: Comme dit plus haut, l’existence d’une agence dédiée pleinement à la coordination, l’intégration et le maintien de la cohérence dans la mise en œuvre du Plan National du Numérique, stratégie nationale, est impérative et acceptée par tous, en particulier l’ensemble des acteurs de l’écosystème Tech de la RDC qui est bien conscient que l’avènement de cette agence va booster l’ensemble du secteur. La création de l’Agence passe par les exigences administratives, juridiques nécessaires pour qu’elle soit portée sur les fonds baptismaux.

Actuellement, sur la table du Premier Ministre, nous espérons voir bientôt le décret porté par les ministères spécialisés et discuté au Conseil des Ministres en vue de sa création. Tout va donc au rythme de l’exercice administratif mais nous espérons que l’urgence et la nécessité accéléreront sa création en vue d’un exercice coordonné et utile de la mise en œuvre du Plan National du Numérique.

La RDC a la chance d’avoir de nombreuses expertises de haut niveau dans ce secteur parmi lesquelles les membres de la commission scientifique qui ont joué un rôle prédominant dans tout le processus ayant amené à la validation du Plan National du Numérique. Il est souhaitable que l’ADN puisse mettre à profit cette ressource humaine, afin de lui donner tous les atouts pour réussir sa mission.

Le Ministère des PT-NTIC organise un forum dénommé e-RDC sur les investissements dans le Numérique. Que faut-il en attendre ?

Dominique Migisha: Avant toute chose, je tiens à saluer l’initiative du Ministre avec qui nous travaillons en étroite collaboration et qui comprends parfaitement tous les enjeux du Numérique et du Secteur dont il a la charge. Dès notre première rencontre, il m’a assurer qu’il s’inscrira dans la vision du Chef de l’État. Ce forum est une formidable opportunité pour mettre en avant les 68 projets prioritaires qui ont été identifiés par les 370 panélistes lors de l’atelier et qui ont été couchés dans le Plan National du Numérique et touchent aux quatre piliers.

Le Ministre et son équipe, la Directrice de Cabinet Adjoint qui a les PT-NTIC dans ses attributions, Mme Getty PANU PANU et le Conseiller Principal de son Collège, Freddy LUKASO ont réalisé un travail remarquable en ne ménageant aucun effort pour produire un schéma directeur des infrastructures qui devrait être présenté à cette occasion. Ce schéma, qui s’inscrit dans le cadre du Plan National Numérique, est une réponse à un des nombreux défis clairement identifiés dans le pilier «  Infrastructures ».

Politico.cd: Revenons au Plan, malgré l’absence de l’ADN, y a-t-il certains projets déjà en exécution ?

Dominique Migisha: Nous pourrons citer :

  • le Projet de la Mise en Œuvre du Registre National de la Population;
  • le projet de visa électronique,
    la préparation de l’ouverture d’accès Internet à un coût préférentiel pour les milieux académiques et universitaires,
  • la préparation d’un plan d’aménagement sur la fibre optique avec la tenue dès demain de la Conférence E-RDC qui permettra aux investisseurs numériques d’avoir une discussion sur les attentes de la RDC;
  • les plateformes éducationnelles tel Schoolap;
  • la mise en place des écoles du Code avec le lancement par exemple de Kinshasa Digital Academy.

Le Sommet « Africa Digital Story 2020 » qui sera organisé du 15 au 17 avril 2020 à Kinshasa et qui incarnera l’ambition formulée par le Chef de l’État de faire de la RDC le hub technologique de l’Afrique avec le thème « Open Innovation et Intégration Numérique Panafricaine, levier pour le développement de l’Afrique » permettra de fournir un espace aux acteurs agissant dans l’innovation afin d’exposer les approches de solutions numériques créées par des développeurs locaux, congolais et africains, aux différentes problématiques rencontrées par les entités publiques et privées.
Les projets de lois sectorielles soumises ou en cours d’élaboration.

Politico.cd: un mot de la fin…

Dominique Migisha: Notre pays accuse certes un retard dans le secteur du Numérique mais il a de nombreux atouts qui, pour n’en citer que deux : sa situation géographique au cœur de l’Afrique avec neuf (9) pays voisins et une ressource humaine formée à quasiment tous les métiers du Numérique dont certains extrêmement pointus, c’est d’ailleurs grâce à un groupe de vingt cinq (25) experts venus de différents horizons et animés d’un esprit patriotique que le draft du Plan a pu être élaboré et que l’Atelier qui l’a validé a pu être si bien organisé. Je saisis cette occasion pour leur rendre un hommage d’autant plus vibrant qu’ils n’ont à ce jour rien perçu pour leur formidable contribution à l’essor du Numérique dans notre pays.

Les actions entreprises jusque-là visent à construire l’avenir. Sachant que « Rome ne s’est pas bâtie en un jour », nous nous assurons de construire les fondations adéquates et de poser les jalons capables de conduire à ce Hub Technologique que nous voulons faire de notre nation. Nous assurons petit à petit la mobilisation de toutes les compétences(locales, de la Diaspora et de l’Étranger) et tous les moyens (publics, privés, internationaux) en vue de disposer de quoi matérialiser la vision du Chef de l’État de : « Faire du Numérique congolais, un levier d’intégration, de bonne gouvernance, de croissance économique et de progrès social ».

Par Thierry Mfundu

2 comments
  1. Il est vraiment entouré des rwandais monsieur Tshilombo, son conseiller c´est un rwandais que nous connaissons à partir de la Belgique, mawa mingi penza po na Tshilombo, il a ramassé des conseils de gens de la diaspora qui ne sont même pas des congolais, c´est triste pour ce monsieur qui a trahi toute une nation.

    1. Bonjour, je suis le frère de Dominique MIGISHA, nous sommes originaires de Jomba, dans le Nord Kivu. Nous sommes donc Congolais. Soyez rassuré sur ce point. Fraternellement., Philippe MIGISHA.

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