RAM : L’argumentation de la Banque Centrale du Congo est-elle exacte ? (Tribune)

Dans une lettre adressée le 10 janvier 2022 à la Fédération des Entreprises Congolaises (FEC) et circulant depuis peu sur les réseaux sociaux, la Banque Centrale du Congo (BCC) démontre que l’utilisation du crédit de communication comme moyen de paiement des frais d’enregistrement au Registre des Appareils Mobiles (RAM) n’est pas légale. Si la solution est juridiquement valable, certaines réserves peuvent être émises sur les arguments avancés par le régulateur de la monnaie.

Le crédit de communication n’est pas un instrument de paiement

Pour démontrer que le crédit de communication n’est pas un instrument de paiement, la BCC s’appuie sur deux arguments : le crédit de communication n’est pas un instrument de paiement mais une marchandise.

La lecture de l’article 3.19 de la Loi n°18-019 sur les systèmes de paiement et de règlement-titres du 9 juillet 2018 nous renseigne sur les instruments de paiement : « tout moyen, quel que soit le support utilisé, permettant à toute personne de transférer des fonds. Il s’agit notamment de: chèque, lettre de change, billet à ordre, ordre de virement, avis de prélèvement et carte de paiement; » (c’est nous qui soulignons). L’usage de l’adverbe « notamment » dans l’article précité enlève le caractère exhaustif de cette liste des instruments de paiement et donc nous pourrions supposer que le crédit de communication puisse y être inséré. Il n’en est rien. Pour pallier cela, la BCC affirme que « cette pratique érige les opérateurs de la téléphonie mobile en émetteurs de monnaie et de moyens de paiement, sans agrément dûment accordé par la Banque Centrale » (courrier précité).

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A ce stade de notre article, tout lecteur averti s’écrira : « et le mobile money ?!!! ». Nous pourrons lui répondre que les opérateurs de téléphonie mobile, quand ils n’agissent pas eux-mêmes, détiennent des sociétés titulaires d’agrément pour des opérations spécifiques et déterminées relatives à la monnaie électronique (Instruction n°24 relative à l’émission de monnaie électronique et aux établissements de monnaie électronique- BCC).

Le crédit de la communication n’est pas de la monnaie électronique
Il faut distinguer la monnaie électronique du crédit de communication. En effet, si les deux sont sous forme électronique, ils n’ont pas le même usage. La monnaie électronique est une créance sur l’émetteur, émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement et surtout acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique (article 3.23 de la loi précitée).

La BCC aurait pu s’appuyer sur cet argument pour démontrer que le crédit de communication est destiné à un usage exclusif des services de téléphonie de l’opérateur qui l’émet. Il ne s’agit pas d’acheter avec ce crédit de communication d’autres biens ou services que ceux proposés par l’opérateur émetteur.

Dans un deuxième mouvement, la BCC affirme que le crédit de communication est une marchandise, en d’autres termes « tout bien mobilier » si on se réfère à l’article 1.e de l’Acte Uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route. Il faut remarquer que la notion de « crédit de communication » ne fait l’objet d’aucune définition dans la Loi n°20-017 du 25 novembre 2020 relative aux télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication. La BCC fait preuve d’audace en empruntant au vocabulaire du droit du commerce général pour définir le crédit de communication en « marchandise » et entretient une confusion qui se matérialise par son argument sur le troc.

Pourquoi la Banque Centrale du Congo parle de troc ?

Dans sa démonstration pour étayer que le crédit de communication n’est pas un instrument de paiement, la BCC emploie un argument curieux : « le troc n’est pas prévu comme moyen de règlement de la dette envers l’Etat, les unités téléphoniques étant considérées comme une marchandise » (courrier précité). Pour rappel, le troc se définit comme un échange de biens matériels entre deux propriétaires, et dans le cas où les biens seraient de valeurs inégales, la différence de valeurs peut être monétisée et versée sous forme de soulte à la partie ayant le bien de moindre valeur.

Parler du troc suppose que si ce moyen était autorisé, il y aurait eu un échange mais lequel ? Plus précisément quel bien matériel serait entré dans le patrimoine du consommateur (débiteur) ? En suivant le raisonnement de la BCC, il faudrait comprendre que le bien échangé est le droit à être inscrit au RAM, droit par essence immatériel et n’entrant pas dans les caractéristiques du troc classique.

Il faut aussi préciser que le troc repose sur deux contraintes principales : d’une part, le bien obtenu par l’échange doit être désiré (contrainte d’intérêt) ; d’autre part, le bien obtenu doit être de valeur équivalente à celui cédé (contrainte de valeur). Il faudrait donc considérer que le prélèvement obligatoire des frais d’enregistrement du RAM suscite un intérêt pour les consommateurs et que l’échange soit considéré comme équivalent. Difficile à prouver en se souvenant des remous provoqués par le RAM à l’Assemblée nationale !

La BCC aurait rallié sans aucun doute les suffrages si elle avait présenté l’opération comme un paiement en nature au bénéfice de l’Etat d’une prestation et surtout que, dans le cas d’espèce, la procédure interdit ce mode de paiement.

Et quelles sont les conséquences possibles du courrier de la BCC ?

D’abord, il faut souligner que la Banque Centrale du Congo ne remet en cause ni le paiement des frais d’enregistrement au RAM par le détenteur, ou la détentrice, d’un téléphone mobile, ni le prélèvement obligatoire de ces frais d’enregistrement. La Banque Centrale du Congo déclare contraire à la loi le moyen utilisé, à savoir le crédit de communication, pour payer ces frais d’enregistrement.
Ensuite, l’Autorité de Régulation des Postes et des Télécommunications (ARPTC) peut changer la procédure de prélèvement des frais d’enregistrement au RAM ou simplement ne pas suivre l’avis de la BCC qui n’est pas en l’espèce contraignant. Cet avis peut susciter aussi des négociations entre la FEC et l’ARPTC sur la rémunération de la prestation RAM ainsi que son mode de perception. Enfin, cette question devrait amener à une harmonisation de la définition de la nature juridique du crédit de communication.

Il faut saluer le positionnement de la Banque Centrale du Congo sur la question du crédit de communication comme instrument de paiement même si des réserves sérieuses peuvent être émises sur son argumentation. Ce positionnement fait écho à celui de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) saisie le 09 octobre 2020 par la République du Cameroun sur la même question. Le régulateur monétaire de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) dans un avis du 29 octobre 2020 a déclaré : «Je vous prie de bien vouloir noter que les crédits de communication sont une marchandise, un produit ou un service, qui ne servent que pour des services de téléphonie et qui, même s’ils ont une valeur marchande, ne sont pas des moyens de paiement ou de la monnaie. En effet, ils sont créés par des entreprises qui ne sont pas des prestataires de services de paiement habilités à émettre et gérer des moyens de paiement. Les unités de crédit téléphonique ne sont donc pas, en l’état de la règlementation communautaire applicable, ni de la monnaie fiduciaire, ni de la monnaie électronique, ni un instrument ou moyen de paiement » (Abbas Mahamat TOLLI, Gouverneur de la BEAC – 29 octobre 2020).

Professeur Madimba KADIMA-NZUJI

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