Force régionale à l’Est: « La diplomatie régionale de Tshisekedi nous mène objectivement vers une aggravation de l’instabilité » ( Denis Mukwege)

Le prix Nobel de la paix 2018, Denis Mukwege a pour la énième réitéré son opposition face au déploiement à l’Est de la RDC, d’une force militaire régionale constituée des pays membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est. La nouvelle réaction du Dr Mukwege intervient alors que le processus du déploiement a déjà été déclenché et que les experts de cette organisation régionale ont débuté l’étude du terrain depuis la semaine derrière.

« La Nation est en péril. Notre pays fait l’objet pour la énième fois d’une guerre d’agression par procuration, menaçant la souveraineté nationale et l’intégrité de notre territoire », a-t-il lancé dans sa déclaration de ce mercredi 20 juillet.

Dans son argumentaire, le Dr Mukwege s’est appuyé notamment sur les propos tenus en date du 13 juillet par Bintou Keita, représentante spéciale du Secrétaire Général de l’ONU en RDC mettant en garde le Conseil de sécurité contre un embrasement de la situation à l’Est du pays.

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Lors de son allocution, Bintou Keita avait également souligné qu’« avec des capacités conventionnelles croissantes du M23, même la Monusco pourrait se trouver confrontée à une menace qui dépasse ses capacités actuelles.

Selon Denis Mukwege, ce constat dressé par la cheffe de la Monusco est alarmant. « La situation sécuritaire déjà fragile et volatile se dégrade chaque jour et les moyens alloués à la force onusienne, mandatée par le Conseil de Sécurité sur base du Chapitre VII, ne semblent pas être en mesure de contrecarrer ceux mis à la disposition du M23 par le Rwanda », a-t-il déclaré.

Pourtant, dit-il, la résolution 2612 du Conseil de Sécurité fixant le mandat actuel de la MONUSCO, dont les priorités sont la protection des civils et la stabilisation, autorise un effectif de 13.500 militaires, 660 observateurs militaires et officiers d’état-major, 591 policiers et 1050 membres de police constituées.

« La résolution du Conseil l’autorise à prendre toutes les mesures nécessaires pour s’acquitter de son mandat, ce qui inclut de mener, unilatéralement ou conjointement avec les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) des offensives ciblées et énergiques en vue de neutraliser les groupes armés et d’assurer une protection efficace, rapide, dynamique et intégrée des civils au moyen d’une brigade d’intervention », a-t-il révélé.

Au-delà de ce partenariat multilatéral déjà complexe avec la Monusco, Mukwege a fustigé la signature par Tshisekedi, d’une coopération militaire bilatérale avec l’Ouganda depuis plus de 6 mois et, plus récemment, un projet de coopération militaire régionale avec les Etats membres de la Communauté des États de l’Afrique de l’Est.

S’agissant de cet accord de défense et de sécurité entre la RDC et l’Ouganda signé fin 2021 et prolongé le 1er juin pour démanteler les rebelles du groupe Forces démocratiques alliées (ADF), D. Mukwege note que le nombre de victimes civiles est croissant selon un rapport du Groupe d’Etudes sur le Congo avec son partenaire de recherche Ebuteli et ce, en dépit de 2000 et 4000 militaires ougandais sur le sol congolais.

Ce rapport met également en lumière qu’outre la traque des ADF, qui est loin d’être achevée, des intérêts économiques, commerciaux et géopolitiques expliquent en grande partie l’intervention de l’armée ougandaise à l’Est du Congo.

En outre, à l’instar d’autres analystes, le Groupe d’Etude sur le Congo voit dans cette opération conjointe entre la RDC et l’Ouganda un facteur d’irritation pour le Rwanda ayant déclenché une escalade des tensions rwando-congolaises.

« Ce contexte explique en grande partie la réactivation de la rébellion du groupe armé M23 par le Rwanda, qui déstabilise à nouveau le Nord Kivu et la sous-région, provoquant une nouvelle catastrophe humanitaire dans une région déjà martyre », a soutenu D. Mukwege.

Ainsi, alors que se superpose déjà de manière difficile et peu efficace un partenariat multilatéral avec l’ONU et un accord bilatéral entre la RD Congo et l’Ouganda, l’homme qui répare les femmes signe et persiste,« la récente mission de reconnaissance d’une délégation des officiers militaires des pays membres de la Communauté des États de l’Afrique de l’Est en Ituri et au Nord Kivu annonçant le déploiement imminent d’une Force régionale ressemble à une chronique d’un chaos annoncé, d’autant plus que certains de ces Etats sont à la base de la déstabilisation, des cycles de violence et du pillage des ressources naturelles de l’Est du Congo ».

Denis Mukwege se pose une panoplie des questions sur le fond de cette décision validée par les autorités congolaises.

« Quelles seront les règles d’engagement de la nouvelle Force régionale ? Quel est son mandat, les objectifs de la mission et sa durée ? Comment harmoniser et coordonner les interventions sur le terrain entre les FARDC et ses partenaires onusiens, ougandais, et de la Force régionale ? Qui décidera de quoi ? Qui sera responsable politiquement et juridiquement? » s’est-il interrogé.

Pour lui, ces questions fondamentales ne trouvent que des réponses opaques car, « ces accords de coopération aux niveaux bilatéral et régional ont été peu transparents. La diplomatie régionale du Président de la RDC nous mène objectivement vers une prolongation et une aggravation de l’instabilité », a-t-il argué.

« A l’Hôpital de Panzi, qui malheureusement est devenu une sorte de baromètre de la situation sécuritaire à l’Est du Congo, nous avons observé qu’à chaque pic d’instabilité correspond un pic dans le nombre de femmes et de fillettes victimes de violences sexuelles que nous prenons en charge, et nous n’avons qu’une certitude: les femmes et les enfants seront à nouveau touchées, et seront les premières victimes de ce nouveau cycle de violence », a-t-il ajouté.

Denis Mukwege a ainsi invité les décideurs congolais et onusiens à mettre en avant les interconnexions étroites existant entre la prévention des conflits, la justice transitionnelle, la consolidation de l’état de droit et l’instauration de la paix.

Il a aussi, réaffirmé que la reforme profonde des FARDC, de services de sécurité et la lutte contre l’impunité sont les mesures les plus appropriées pour assurer la pacification et la stabilité durable de l’Est de la RDC.

Aussi, le fondateur de Panzi a, par la même occasion demandé aux dirigeants de revoir la diplomatie régionale en cours et faire avancer sans plus tarder la réforme du secteur de la sécurité en allouant les ressources financières nécessaires pour que le pays se dote d’une armée professionnelle, opérationnelle et responsable capable de défendre l’intégrité territorial et assurer la sécurité de la population.

Carmel NDEO

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