RDC: Kalumba, l’arête dans la gorge de Tshisekedi

L’enfer est pavé des bonnes intentions, dit-on. Jean-Marie Kalumba, Ministre congolais de l’Économie, vient de traverser une expérience tendant plus que jamais à prouver cette maxime. En effet, dès son arrivée à la tête de ce ministère au sein du gouvernement dit des « Warriors », l’homme entreprend de tout changer, alors que le président Félix Tshisekedi appelle son gouvernement à aller au « combat ». Ce gouvernement de « combattants » veut prendre le taureau par les cornes et régler la problématique des prix de denrées de première nécessité. Car depuis le début de la pandémie à Covid-19, les prix grimpent à Kinshasa la capitale.

Dès le mois de mars 2020, le déficit d’importations dû à une baisse de production mondiale mais également la latence du secteur agroalimentaire à l’intérieur du pays, déclenche les spéculations des prix sur le marché. Jusqu’en mai, dans les grandes agglomérations, les denrées manufacturées comme les farines de maïs et froment ; les boîtes de conserves, les produits charcutiers, pouvaient se négocier deux fois, voire trois fois plus cher par rapport au prix normal, avec des conséquences fâcheuses sur la sécurité alimentaire des ménages vulnérables. Félix Tshisekedi, qui a placé son mandat autour d’un slogan populiste : « le peuple d’abord », tient à ne pas perdre le combat de l’opinion publique, qui fustige de plus en plus sa politique embourbée dans les scandales de détournements.

Le populisme qui tue

C’est là que le ministre de l’Économie entre en scène. Ses idées sont simples. Les bonnes intentions qui vont paver l’enfer congolais du chinchard. Il veut tout simplement réduire drastiquement les prix de denrées alimentaires et ceux des billets d’avion. Le ministre peut s’appuyer sur des dénonciations qui affirment que les importateurs fraudent massivement à la douane. Jean-Marie Kalumba Yuma tombe sur une lettre écrite par Franck Tshibangu, Directeur général de la société privée EGAL, datant de novembre 2020. Celle-ci dénonce la fraude tant à la douane qu’au niveau de structures de prix qui laisse passer des fraudeurs. Intitulée « Concurrence déloyale sur le marché des biens de première nécessité », la lettre reprend le cas de la société SOKIN SARL.

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« Au mois de septembre 2020, l’une des sociétés du secteur a importé 3.265,400 tonnes de cuisses de poulet 10 kg couvertes par la Déclaration E 7489 au prix CIF de 0.35 $US le kg suivant la facture commerciale n°2049 du 15 août 2020 de la société libanaise AGATE Sal off-shore. De cette déclaration, il coule de source que d’après cette valeur en douane déclarée, le prix unitaire moyen de ce produit par carton est 2.3 $ US. Il reviendrait normalement à 6 ou 7 SUS maximum s’il est augmenté d’autres charges de la structure des prix. Grande est notre surprise que ce produit soit vendu dans les installations dudit Importateur à 14.5 $ US, voire 15 à 16 $ US, soit deux fois le prix normal. »

« De l’analyse desdites Déclarations, il ressort que les deux cargaisons sont arrivées avec des valeurs CIF moyen respectives de 6.82 $ US et 5.41 $ US/carton. Or, il est navrant de faire observer que dans les installations desdits importateurs le prix unitaire de vente d’un carton de MBONGO 30 kg est 63 $ US, alors qu’il devrait être de 22.72 $ US et 20.84 $ US suivant l’ordre des cargaisons tel qu’indiqué cl-haut. » poursuit M. Tshibangu avant d’ajouter : « Cependant, nous nous interrogeons sur les charges de la structure des prix entre Matadi et Kinshasa qui amèneraient la concurrence à commercialiser ce produit à deux voire trois fois plus que le prix qui devrait normalement être fixé en partant de ses valeurs CIF déclarées à la douane, soit 200 à 300% de surcharge ».

Kalumba embarque Tshisekedi vers un fiasco

Le cas illustré ici déclenche une fièvre chez le ministre congolais de l’Économie Nationale qui lance tout de suite une mission d’impression auprès des différents fournisseurs à l’étranger. Mais lire et comprendre est une science que Ngoy Kansanji n’est seul à ne pas maîtriser. Jean-Marie Kalumba va réunir tous les importateurs et les obliger unilatéralement à définir une nouvelle structure de prix, sur base du fait qu’ils auraient surfacturé.  Durant un conseil des ministres tenu en juillet 2021, il présente sa formule spéciale pour mettre fin à cette « surfacturation ». Selon les calculs faits par le Ministre de l’Économie, les prix suivants devraient être appliqués pour les produits importés sur le marché de Kinshasa :

  • Cuisses de poulet : moins de 10 USD par carton de 10 kilos contre 21 USD pratiqué (soit 4 200 CDF le kilo) ;
  • Poulet entier : autour de 10 USD par carton de 10 kilos contre 28 USD pratiqué (soit 5 600 CDF le poulet) ;
  • Côtes de porc : autour de 15 USD par carton de 10 kilos contre 22,70 USD pratiqué (soit 4 540 CDF le kilo) ;
  • Chinchards 16+ : autour de 17 USD par carton de 30 kilos contre 42,90

Problème, vendre aux prix fixés par le ministre de l’Économie ne règlerait le problème dont il est question ici.  Car, ces prix sont irréalisables. Des experts même du ministère de l’Économie attestent que Jean-Marie Kalumba n’a visiblement pas compris le problème. « Le ministre a cru que le prix réel vendu à Kinshasa est de 7 dollars pour ce cas de Cuisses de poulets surgelées. Or, c’était une illustration d’un cas où l’opérateur a minoré la valeur de sa marchandise pour ne payer la douane. À la fin, le prix de 7 USD est irréalisable pour ceux qui paient convenablement la douane. Même en ayant cette marchandise gratuitement aux États-Unis, il est impossible d’atteindre ces chiffres », explique une source autour des discussions entre le ministère et les importateurs.

Le fait est que durant sa tournée en Namibie, le ministre congolais, qui découvre le monde d’importation de chinchard, aurait confondu le prix du « droit de pêcher» en Namibie au prix final du chinchard à son arrivé dans l’assiette du Congolais. Le bras de fer avec les importateurs va se poursuivre. Les prix sur le marché restent inchangés. Et la fin de l’année approche. C’est la que le ministre de l’Économie va jouer sa deuxième partie : s’enfoncer dans la gueule du crocodile tout en le priant de la fermer ! Riche de ses informations reçues en Namibie, certes avec la même compréhension que Daniel Nsafu a sur la physique nucléaire, il prétend alors qu’il peut lui-même commander et livrer du chinchard au prix qu’il souhaite dans ses nouvelles structures. C’est ainsi que toute la Nation s’embarque dans un périple miraculeux où un ministre de l’économie devient opérateur économique et importateur de denrées.  Mais l’aventure ne tourne pas comme il aurait souhaité. Dans cette affaire, l’Etat perdra plusieurs dizaines de millions de dollars, camouflés dans une opération de communication du gouvernement Sama Lukonde. La deuxième partie de la « Pêche miraculeuse » à lire donc ce week-end sur le 1er média de la RDC.

Litsani Choukran,
Le Fondé

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