RDC : 43 millions USD disparaissent derrière un faux prêt attribué à la société EGAL

Le 29 octobre 2016, le journal belge LE SOIR publie un dossier exclusif des révélations dites « Lumumba Papers ». Les Lumumba Papers, explique le média belge, et la presse internationale qui va reprendre l’affaire à la Une, révèlent les activités suspectes de la banque BGFI RDC, filiale de la Banque Gabonaise et Française Internationale (BGFI) en République Démocratique du Congo, ainsi que son implication dans la corruption et le détournement de fonds publics. Largement basé sur des documents internes divulgués par l’ex-employé de la banque Jean-Jacques Lumumba, l’affaire révèle également, dans un de ses volets, l’affaire présumée de la société congolaise Egal SARL, présentée à l’époque comme proche de l’ancien président Joseph Kabika.

Selon ces enquêtes, la société spécialisée dans le commerce agroalimentaire aurait bénéficié, en 2013, de quatre versements pour un total de 43 millions de dollars sur un compte logé à la BGFI. « Or ces versements provenaient de la Banque centrale du Congo, institution publique dirigée par Deogratias Mutombo Nyembo. Un prêt direct à une entreprise est normalement interdit. D’autant plus que, selon le quotidien belge, la somme n’a jamais été remboursée », explique le journal belge Le Soir.

En juillet 2020, Félix Tshisekedi, qui a succédé à Joseph Kabila à la tête du pays, se lance dans une course anti-corruption. Le nouveau Président nomme Jules Alingete Key à la tête d’Inspection Générale des Finances, un service placé sous l’autorité directe du Président congolais et qui a la mission de contrôler les régies financières, les entreprises de l’État, les Administrations publiques, les comptables d’État, les Gouvernements provinciaux et toutes les dépenses de l’État y compris la Banque Centrale du Congo.

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Alingete connaît bien les rouages des Finances publiques en RDC. Il est Inspecteur des finances depuis janvier 1989, étant également expert comptable agréé, spécialiste en fiscalité et expert en matière du climat des affaires. Dès sa prise des fonctions, il se lance dans une véritable quête pour débusquer des affaires de détournement. C’est ainsi qu’il tombe alors sur les contours de Lumumba Papers.

L’Inspecteur général et ses équipes suivent d’abord la thèse officielle, la plus rependue notamment sur les médias et les réseaux sociaux. EGAL SARL aurait alors bénéficié de 43 millions de dollars venant directement de la Banque centrale pour financer ses activités. Dans une lettre du 8 février 2021, Jules Alingete écrit au Directeur général de la société EGAL pour lui demander des explications autour de ce prêt présumé, qui s’évaluerait à hauteur de près de 43 millions de dollars américains. « Il ressort des échanges que nous avons eus avec la BGFI Bank, que vous avez bénéficié de cette dernière, en décembre 2013, d’un paiement de 42.999.699,05 USD, paiement imputé au compte ouvert au profit de la Banque Centrale du Congo, auprès de cette même banque », dit l’Inspecteur en chef dans sa lettre, dont une copie exclusive est parvenue à POLITICO.CD. Selon la loi, un tel « prêt » qui proviendrait directement de la banque centrale, est illégale.

EGAL SARL disculpée par l’IGF

Dans ce dossier, il y a d’abord les explications de la banque BGFI BANK en 2016. Dans un communiqué, la banque congolaise affirme que la société Egal SARL « a régulièrement bénéficié, de la Banque, d’un crédit d’investissement à long terme garanti par les recettes générées par l’exploitation de son activité. » BGFI BANK affirme par ailleurs que les accusations selon lesquelles la Banque Centrale du Congo aurait financé cette activité, par des versements au travers de BGFI Bank RDC, sont donc fausses et sans fondements. « En revanche, la Banque Centrale du Congo détient régulièrement un compte bancaire dans les livres de la Banque qui exécute ses opérations bancaires internationales comme le font plusieurs autres banques de la place », dit ce communiqué, consulté par POLITICO.CD.

Julien Alingete et ses enquêteurs de l’IGF vont finir par avoir les mêmes conclusions, dans une certaine mesure. L’IGF découvre que sur la période allant du 18 juillet 2013 au 6 novembre 2013, un montant total de 42.999.699,05 USD, a été transféré de la Rawbank vers la BGFI Bank, par la Banque Centrale du Congo, pour être logé dans le compte 70010285011-72 intitulé « Banque Centrale du Congo Équipements » ouvert dans les livres de la BGFI Bank. Cet argent, renchérit l’IGF, a été par la suite viré du compte « Banque Centrale du Congo Équipements » au crédit du compte séquestre n° 45191026110-13 USD ouvert au nom de la société EGAL SARL, virement exécuté en quatre tranches, par les agents Kusombi Hervé et Diop Abdel Kader.

Si le compte est ouvert au nom de la société EGAL, l’IGF confirme que cette dernière n’en a jamais eu accès. Pour l’IGF, le « compte séquestre » dans lequel les 42.999.699,05 USD ont été versés ne pouvait être mouvementé que par la BGFI Bank elle-même et, en aucune façon, la société EGAL SA. « Raison pour laquelle cette dernière a été mise hors cause dans l’accusation de financement sur base des fonds publics qui avait été portée contre elle ».

« Au stade actuel des choses, il se dégage que l’Etat congolais a perdu le montant USD 42.999.699,05 sortis du compte +Banque Centrale du Congo Equipements +et la responsabilité incombe à la BGFI-BANK DRC », souligne Julien Alingete dans cette lettre adressée cette fois à Madame l’Administrateur-Directeur Général de cette banque.

Dans une lettre exclusivement consultée par POLITICO.CD, datant du 16 mars 2021, l’Inspecteur général de l’IGF revient finalement sur ses accusations initiales et confirme la mise hors cause de Egal SARL. « Faisant suite aux différentes séances de travail que nous avons eues, en présence des représentants de la BGFI Bank, sur l’affectation en faveur de votre société, d’un montant de quarante-trois millions de dollars américains, montant provenant d’un compte séquestre ouvert par la Banque Centrale du Congo dans les livres de la BGFI Bank, j’ai l’honneur de vous communiquer la position, à ce stade, de l’Inspection Générale des Finances qui consiste en ce qu’aucune preuve n’a pu être produite par la BGFI Bank, attestant que cette somme ait jamais été mise à votre disposition », dit Jules Alingete dans cette lettre adressée au Directeur général de l’IGF.

« À ce stade, il découle au contraire des différents éléments de ce dossier que vous aviez bénéficié de cette banque, d’une ligne de crédit en garantie de laquelle un compte confort avait été ouvert, compte alimenté par des prélèvements opérés sur votre chiffre d’affaires et que cette ligne de crédit a été apurée suivant un compromis intervenu entre parties, compromis ayant impliqué la liquidation de ce compte confort », ajoute cette lettre dont l’authenticité a été confirmée du côté de l’IGF et de la société EGAL.

A la recherche de 43 millions USD

Mais Jules Alingete ne sort mais mains bredouilles dans cette affaire, qui cache finalement une autre. En effet, si EGAL SARL est hors de cause pour n’avoir pas reçu de financement de la Banque Centrale, 43 millions de dollars du Trésor public manquent toujours à l’appel. Dans une autre correspondance, datée cette fois du 5 avril 2021, l’Inspection indexe désormais la BGFI Bank.

À l’issue de ses séances de travail avec les responsables de ces sociétés, l’IGF affirme que BGFI Bank « n’a pu établir de manière irréfutable la destination » de 42.999.699,05 USD. Sortie du compte « Banque Centrale du Congo Équipement », cette importante somme a échappé au Trésor public congolais après 4 virements à un « compte séquestre » porteur de plusieurs numéros « pour brouiller les pistes ».

Selon des enquêteurs autour du dossier à l’IGF, les pistes mènent actuellement vers les donneurs d’ordres, au nouveau du Gouvernement et de la banque centrale à l’époque. 43 millions sont sortis des comptes de la Banque centrale depuis la Rawbank pour atterrir dans un compte séquestre à la BGFI BANK, pour ensuite disparaître. Egal SARL, dont les fonds étaient sensés être déstinés, ne les a jamais touché.

Jules Alingete, qui ne lâche par l’affaire, a convoqué plus de 8 fois l’Administrateur Directeur général de la BGFI Bank pour l’entendre sur plusieurs sujets. Selon nos sources, les autorités de la banque centrale, notamment le Gouverneur Déogratias Mutombo, et l’ancien ministre Délégué auprès du Premier Ministre et chargé des Finances Patrice Kitebi, seraient à la base des ordres de décaissements, tant au niveau de la Rawbank d’où l’argent et parti, qu’au niveau de la BGFI Bank d’où l’argent aurait disparu.

« Il y a eu des gens qui ont donné ordre pour faire sortir l’argent des comptes de la Banque centrale de la Rawbank pour le loger à un compte séquestre obscure, utilisant la société Egal comme prétexte. Il est aujourd’hui prouvé que cet argent n’a jamais été prêté à la société et a disparu. Ils doivent répondre cette énorme somme d’argent », explique une source proche du dossier. « À l’époque, c’est Monsieur Patrice Kitebi qui était en charge des finances. Lui et le Gouverneur de la BCC, Monsieur Déogratias Mutombo, doivent savoir où est parti cet argent », ajoute notre source qui a requis l’anonymat.

Les tentatives de POLITICO.CD pour joindre Patrice Kitebi, aujourd’hui Directeur Général du Fonds de Promotion de l’Industrie ; Déogratias Mutombo, Gouverneur de la Banque centrale, sont restées vaines. Selon nos informations, l’IGF a néanmoins bouclé ses enquêtes, envoyant le dossier à Adler Kisula, de la Cellule Nationale des Renseignements Financiers (CENAREF).

1 comments
  1. Un très beau article.
    Sauf que de fois vous écrivez « Jules Alingete », de fois « Julien Alingete ».
    Est-ce que c’est la même personne ou sont deux personnes différentes?

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