Tshisekedi, Kabila et la Cour: le début de la fin

Nul n’est né en République démocratique du Congo en se préparant à devenir Président de la République. Le pays n’a connu que cinq Chefs d’État durant les soixante dernières années, et seulement deux durant les vingt dernières années. Certes, on ne se prépare pas à être président, comme on irait à une école spécialisée ; mais dans un pays démocratique, habitué à l’alternance politique, les candidats préparent néanmoins leur terrain, avec des plans ficelés et une certaine continuité.  C’est donc à la tête d’un pays spécifique que Félix Tshisekedi a été porté au pouvoir au bout d’un processus électoral épique, non sans être alambiqué. Le nouveau président est surtout le fruit d’un consensus national : fils d’un héros des luttes démocratiques, il a lui-même lutté depuis deux décennies pour l’avènement d’une véritable culture démocratique en RDC. Dès lors, rien que son élection est l’aboutissement d’un rêve, d’un combat. Une certaine fin en soi.

Mais le pays qu’hérite Félix Tshisekedi est loin d’être celui d’Alice. Il n’est de merveille que sur papier. Joseph Kabila s’y est frotté pendant dix-huit ans, échouant presque systématiquement à redresser complètement la barre. Avant lui, le Maréchal Mobutu lui-même avait fini par abandonner toute ambition de développement pour se consacrer à la pérennisation et au maintien de son pouvoir. Les Belges déjà, qui ont colonisé ces immenses terres, n’avaient guère légué de nation à leur départ : une indépendance piégée, bâtie sur des squelettes d’une colonisation qui n’a jamais songé à construire un véritable État au Congo.

Rien n’est facile à la tête de la RDC

Loin d’être une excuse, la mauvaise foi serait délibérée de demander à Félix Tshisekedi, dans ce contexte-là, d’opérer des miracles, et en si peu de temps. Tenez, le nouveau président est élu sans majorité parlementaire, dans un pays où nul ne peut diriger seul. Il doit partager son pouvoir avec d’anciens Kabilistes qui lui en veulent de les avoir délogés (un peu), du pouvoir. Félix Tshisekedi et son allié Vital Kamerhe avaient leur plan. Joseph Kabila et ses hommes avaient aussi le leur. Le 24 janvier 2019, les deux camps fusionnent, partagent les responsabilités, surtout les postes fructueux, sans concevoir un plan et s’assurer d’avoir une vision commune. Rien n’indique même que cela soit possible.

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Et si le FCC n’est jamais une école d’enfants de cœur, il tombe sur une coalition CACH qui doit tout apprendre, n’ayant jamais été au pouvoir auparavant. Sans boussole donc, avec des querelles, vivant du jour au jour, voilà nos magiciens tentant de rééditer l’expérience d’une coalition au sommet, laquelle a déjà eu raison des héros nationaux tels que Lumumba et son ami Kasa-Vubu.  

Joseph Kabila est arrivé au pouvoir en 2001, l’air hébété, traumatisé par l’assassinat brutal de son paternel, mais il aura bénéficié des pleins pouvoirs, avec un environnement de guerre et d’une exigence démocratique inexistante pour apprendre sur le tas et maîtrisé tant soit peu la gestion de ce pays unique au monde : un pays immense où tout s’oppose et tout se complique. Voilà Félix Tshisekedi, ayant seulement regarder le pays tourner du haut de l’immense épaule de son paternel de Sphinx, obligé de tout maitriser, agir, sans commettre d’erreurs, dans un environnement où même un félin se sentirait en danger, et tout cela, du jour au lendemain.

Il est possible de faire mieux

Dix-huit mois de naufrage. Oui, je l’ai écrit. Avec raison.  Nous avons tout connu! Mais seulement, si le Titanic a cogné et coulé, le Congo a la grâce d’avoir tout connu et de toujours faire face à la fatalité. Une résilience de diamant et une foi de dieux. Sans mauvaise foi aucune, Félix Tshisekedi aura nécessairement eu besoin de s’acclimater du pouvoir, de faire connaissance avec ses alliés, ses proches, parfois de mauvaise foi, certes, et tout un Congo qui demande, bien souvent, trop à son Président omniprésent.

« Félix Tshisekedi est profondément bon », me disait Vital Kamerhe. Oui ! Il n’est de doute à ce sujet. Ce président est bon. Il a un bon fond et surtout, témoigne d’une volonté inébranlable. Je l’ai rencontré en mars 2018 et, depuis, je ne doute pas de son amour immense pour ce pays. Mais le pouvoir étant un océan à courants, y laisser un homme bon, sans gilet de sauvetage, convient à le condamner à la noyade.

Le mercredi 23 octobre 2020, devant les Congolais, déterminé comme Lumumba face au Roi des Belges,  Félix Tshisekedi a crié haut et fort son ras-le-bol, à l’image d’une population congolaise qui suffoque depuis longtemps. N’en déplaise à ceux qui voulaient le voir mettre le feu au Congo. Le Chef de l’Etat a surtout sonné la fin de son alliance piégée au pouvoir, la fin d’une séquence, d’un antagonisme qui n’a que trop duré. Il a longtemps tenté du faire du canoë dans un désert. Et Personne, dans ce pays, ne peut oser aisément affirmer que la RDC filait dans la bonne direction. Non! Nous filions droit vers un mur, en klaxonnant.  

L’intervention du Chef de l’Etat marque le début de la fin. La fin de tout, la fin des querelles, du vide, de la destruction mutuelle, de la mutilation de ce peuple qui souffre depuis le jour où un roi a décidé de se lancer dans la coupe des mains depuis Bruxelles. Elle marque la fin d’une coalition où tous, sans exception, ont bu sans passer à la caisse, ni dessouler. Un bon matin, dans une habitude déconcertante à se chercher des noises, une petite querelle et des menaces de destitution se sont transformées en une question de vie ou de mort, au point de secouer la plus haute Cour de justice du pays. Les voilà donc, allumettes en mains, sur le point de tout embraser, sans doute parce qu’ils ignorent ni les raisons de leurs différends, encore moins comment y mettre un terme.

Oui!  Félix Tshisekedi ne s’est pas remis en cause. Il a largement rejeté la faute sur ses alliés sans voir réellement la part de responsabilité de sa propre coalition du Cap pour un changement qu’il n’a jamais incarné. Le Chef de l’Etat a certes manqué de se positionner au centre et de pointer du doigt, y compris à son propre par parti, l’UDPS. Il est de notorité publique que l’échec du programme de 100 jours trouvera surement des recettes à Limete ou à Walungu.  Mais l’appelle à la formation d’une « Union Sacrée », sans être une ritournelle, pourrait aboutir à une vraie conversation entre les forces politiques et sociale du pays, bien au-delà d’une coalition qui n’a jamais eu de légitimité qu’elle prétendait avoir.

Il faut saisir l’appel du Chef de l’Etat

La fin de l’alliance avec Kabila n’étant pas une fin en soi. Ni même la dissolution du Parlement, encore moins la formation d’un nouveau gouvernement. En convoquant des nouvelles discussions dans le but de dégager une nouvelle majorité, le président congolais sait certes que celle-ci ne saurait se faire sans le FCC de Joseph Kabila. Mais partir sur des nouvelles bases est une choses cruciale, alors que le pays sombre.  Notre avenir passe par des discussions. A l’image de celle de Sun City, un dialogue franc, sérieux et refondateur, et mais sans interférences extérieures. Un débat où tous, en âme et conscience, chacun en connaissant ses forces et ses faiblesses, décide de tout mettre sur table et discuter. Loin de partages des postes, cette quête qu’entame le fils d’Etienne Tshisekedi, qui est plus que jamais le Rassembleur de la classe politique, devrait régler les questions vitales de sécurité, de paix et du développement, en insistant sur le fait qu’il nous faut obligatoirement des véritables élections en 2023.

Quant au FCC, la grande coalition devrait savoir qu’elle est la seule à croire qu’il est logique de perdre aussi franchement une présidentielle et remporter une telle majorité aux législatives. A ce titre, devant l’absence de légitimité de sa victoire supposée aux législatives, mettre de l’eau dans ce liqueur sablé depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir ne serait qu’une décision sage.  Sortir des postures et arrêter de rêver à une impunité interminable. Parler, se parler, éviter l’abordage, c’est ce qui a toujours marché en République démocratique du Congo. Puisque nul ne peut ni diriger seul, ni vaincre tous.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

Acte I: Kabila, Tshisekedi et la Haute Cour: la semaine où tout s’est enflammé

Acte II: Kabila – Tshisekedi et la Cour : les vraies raisons derrière la bagarre

Acte III: Kabila – Tshisekedi, le début de la fin ( actuellement en lecture)

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