Pourquoi Kalev Mutond menace de faire parler les sourds-muets en RDC

Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? La formulation d’Edward Lorenz, lors d’une conférence scientifique en 1972 aux Etats-Unis, pourrait symboliser la situation de Kalev Mutond en RDC. L’ancien puissant maître des renseignements est sorti de sa réserve pour répondre au Secrétaire général du parti de Félix Tshisekedi, Augustin Kabuya.

L’affaire semble banale, la réaction semble trop musclée, telle ce battement d’ailes de papillon. Mais elle trouve ses origines beaucoup loin. En effet, depuis la semaine dernière, les Kabilistes voient Félix Tshisekedi leur rentrer dedans. A Londres, face à une diaspora congolaises traditionnellement anti-Kabila, le Président a étrangement harangué contre son allié au pouvoir, menaçant de dissoudre l’Assemblée nationale.

Querelles entre alliés

A Kinshasa, les réactions n’ont pas attendu. Dans un premier temps, le Front Commun pour le Congo (FCC) voulait en découdre avec le président congolais, avant d’être dissuadé par son autorité morale Joseph Kabila. « Une déclaration incendiaire était en préparation pour répliquer. Mais le Chef [Kabila] a demandé à ce qu’elle soit gelée, sans même nous dire ce qu’il préparait« , explique un haut cadre à POLITICO.CD.

Kabila préparait le coup parfait. De l’Assemblée nationale, surgit Jeanine Mabunda, sa brillante présidente. Devant la presse, d’un ton pédagogique et condescendant, celle qui n’est autre que l’épouse d’un meilleur ami au président Tshisekedi menace ce dernier de destitution. Si le ton est dur, le choix de Mabunda laisse entrevoir néanmoins un souci de ne pas envenimer les choses. D’ailleurs Félix Tshiskeedi enverra l’un de ses bras droits « calmer » Joseph Kabila, lui expliquant qu’il n’avait pas du tout l’intention de dissoudre l’Assemblée.

Alors que les choses devraient se calmer, deux incidents ajoutent de l’huile sur le feu. D’abord le samedi dernier à N’djili, l’aéroport international de Kinshasa, l’ancien dauphin de Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, voit les services de migration l’interdire de voyager. L’homme dispose d’un passeport diplomatique. Problème: il n’a plus de fonctions officielles. Mais l’incident entre dans le jeu politique du moment. Car, quelques heures avant son voyage, Sharary menaçait de « paralyser le pays si quelque chose arrivait à Albert Yuma ». Car dans cette ambiance où tout est lié, Albert Yuma subit de son côté une vaste offensive des services judiciaires, qui le traquent dans une affaire de près de 200 millions de dollars.

A Limete, le deuxième acte de la crise est joué. Augustin Kabuya, le verbe facile, vient répondre, comme il l’avait promis, à Mabunda. Dans un exercice habituel, il taillade toute la Kabilie au passage. Mauvais jour, il touche à Kalev Mutond. « Jusque novembre, l’un d’entre eux, Kalev Mutond avait aussi un passeport diplomatique. Il allait partout où passait le chef de l’État Félix Tshisekedi pour demander s’il partait faire quoi”, a fustigé le secrétaire général de l’UDPS.

Des Kabilistes visés

Mal lui en pris. Kalev Mutond s’est levé de mauvais poil. Dans une note publiée de manière quasi-anonyme, l’ancien maître espion montre les crocs. Il ne va pas dans le dos de la cuillère. Dans sa lettre, Mutond ne fait pas que répondre à Kabuya, mais s’adresse à toute l’UDPS et même au pouvoir de Félix Tshisekedi, sans toutefois le dire. Car, en effet, 24 heures avant sa note, Emmanuel Shadary, encore lui, est donné sur le point d’être déguerpi de son domicile du centre-ville de Kinshasa. En filigrane, la nouvelle tombe chez les Kabilistes comme une guerre que leur déclare Félix Tshisekedi.

Dès lors, Kalev Mutond, qui n’est pas n’importe qui dans la ceinture de Kabila, profite de l’occasion pour mettre les points sur les i. Lui qui est habituellement discret, il commence par démonté la sortie d’Augustin Kabuya, la qualifiant « d’hasardeuse ». Assurant n’avoir effectué « aucun déplacement à l’étranger entre janvier et novembre ». Mais derrière, il en profite pour faire une révélation: « L’ANR a facilité et obtenu l’octroi, non pas des passeports ordinaires, mais des passeports de service avec lesquels plusieurs cadres de l’UDPS voyageaient en Afrique est dans le reste du monde (…) Le Secrétaire général de l’UDPS de Tshisekedi peut-il dire aux militants qu’il a réunis le 25 janvier 2020 quelles étaient les fonctions d’État de ces cadres de l’UDPS qui voyageaient, à l’époque avec des passeports de service ? » interroge-t-il.

Et si le message n’était pas capté, celui qui a contrôlé les renseignements de la RDC pendant huit ans rappelle à Augustin Kabuya qu’il a «  été témoin et même acteur de plusieurs événements, péripéties, dossiers politiques et autres. Si le SG de l’UDPS/Tshisekedi souhaite voir parler les sourds-muets, et que d’infimes détails soient portés sur la place publique, qu’il continue avec ce genre de provocation « .

Mutond et les anti-Tshiskedi

Les révélations dont parle Kalev Mutond tiennent surtout, au-delà de son poste stratégique du gardien du pouvoir de Kabila, du fait qu’il a personnellement pris part aux négociations qui ont conduit à l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, mais également à l’aboutissement de l’alliance entre Kabila et Tshisekedi. En effet, lorsque Joseph Kabila prend la décision, avant même la publication des résultats des élections du 30 décembre 2018, de s’allier avec Félix Tshisekedi, Kalev Mutond n’est autre qu’une des pièces maîtresses de la stratégie kabiliste, aux côtés d’un certain Jean Mbuyu, ancien Conseiller spécial de Kabila en matière de Sécurité.

Mais bien plus, Mutond, comme Shadary et plusieurs cadres kabilistes, y compris Albert Yuma, sont en réalité ceux qui se sont opposés à cette idée de Joseph Kabila de s’allier à Félix Tshisekedi. Jusqu’auboutistes, ils ont longtemps soutenu l’idée de proclamer Emmanuel Shadary vainqueur des élections, quel qu’en soient les résultats réels. Au soir de la signature de l’accord scellant l’alliance avec Félix Tshisekedi, Emmanuel Shadary a même refusé de parapher le document, se faisant expulser de la salle par Joseph Kabila en personne.

Ces cadres Kabilsites forment donc la cliques des ant-Tshisekedi auprès de Kabila. Et la situation, les veiléités de Tshisekedi à vouloir prendre tout pouvoir, y compris les menaces de ses lieutenants, Kabund et Kabuya en tête, les exacerbe au plus haut point. Dans la guerre qui a commencé, ils semblent à présent déterminés à faire front ensemble. D’autant plus que chacun d’eux a aujourd’hui une raison d’en vouloir à Tshisekedi. Et donc, les révélations de Kalev Mutond, si jamais elles arrivaient, risquent de réellement reveiller les morts au Congo.

Car en effet, les rélations entre l’UDPS et Joseph Kabila n’ont pas commencé la veille des élections. En 2016 déjà, alors que l’opposition réfusait tout dialogue avec Kabila, Etienne Tshisekedi avait lui-même mendaté des représentants de son parti pour discuter avec des représentants de Kabila, dont un certain Kalev Mutond en faisait partie. Les jours qui viennent risquent d’être intéressants en RDC.

Par ailleurs, voir le tout-puissant Kalev Mutond se fondre en menaces publiques laisse entrevoir une perte de pouvoir de celui qui traumatisait tout le monde au Congo il y a à peine un an.

Litsani Choukran

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