En Afrique du Sud: le « Ngunda » passe par Kabila

Alors que le président Joseph Kabila entame une visite officielle en Afrique du Sud, Litsani Choukran a parcouru le pays, jusqu’à la frontière avec le Zimbabwe pour comprendre la colère de Congolais qui y vivent contre le Pouvoir. Un paradoxe qui se situe entre désespoir et contradiction, voici la deuxième partie de son récit.

A Musina, première ville après la frontière Sud-africaine et Zimbabwéenne, des centaines de personnes sont « emprisonnées » au centre de détention de services d’immigration. Seuls les hommes et les jeunes femmes bénéficient d’une grande attention. Les mineurs et les femmes âgées sont envoyés dans des centres d’accueil, où ils sont libres même de circuler dans le pays.

Le Human Rights Foundation (Fondation des Droits de l’homme), une ONG nationale, a un centre ici à Musina. 7 congolaises et 3 garçons mineurs sont arrivés depuis le vendredi. En réalité, Brigitte, qui fait partie des dames congolaises, n’est, à 28 ans, pas âgée. « Les policiers ont eu pitié de moi parce que j’avais un enfant [un jeune garçon de 5 ans]. Ils m’ont alors demandé de venir attendre ici, pour passer au Home Affairs [l’immigration] le jeudi« , raconte-t-elle en swahili.

La frontière entre l’Afrique du Sud et le Zimbambwe.

Le service d’immigration a établi un programme fixe pour entendre ceux qui demandent l’asile en arrivant clandestinement en Afrique du sud. Le jeudi, est le jour des Congolais. Selon un rapport officiel de l’immigration (2015), 15% de cas de réfugiés au pays passe par ici. La République démocratique du Congo est à la quatrième position, avec 6355 demandeurs d’asiles, sur un total de 51683. La majorité de demandeurs sont âgés entre 18 et 35 ans, alors que les femmes, congolaises, sont plus de 2821. [voir le rapport ci-dessous, en Anglais]

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Devant le service d’immigration, les histoires sont les mêmes. « On m’a demandé d’expliquer que je viens du Kasaï, et que je fuyais les violences là-bas contre les soldats de Kabila« , avoue Brigitte, pourtant originaire de Lubumbashi. Le centre de la République démocratique du Congo est en proie à des combats entre l’armée et des miliciens d’un Chef coutumier tué par les forces gouvernementales en août dernier, occasionnant plus d’un million de réfugiés dont une grande majorité a regagné l’Angola.

Comme Brigitte, la plupart des Congolais raconteront avoir fui « les soldats de Kabila ». En réalité, l’immigration n’a pas le temps d’analyser leurs récits. A peine quinze minutes sont accordées à chaque demandeur, comme nous expliquait John, un autre congolais qui a eu son « Ngunda ». Le terme, utilisé un peu partout dans la diaspora congolaise, désigne l’asile politique. Mais souvent, les demandeurs sont en réalité des exilés économiques.

En Afrique du Sud, l’immigration donne automatiquement un séjour de 6 mois pour ceux qui passent par Musina. Il leur est alors signifié qu’ils doivent se pointer à n’importe quel siège du service d’immigration à travers le pays pour obtenir un titre définitif de réfugié. Mais le pays est en proie à des tensions sociales. Au premier trimestre de 2016, le chômage a atteint 26,7%. Cela se traduit par plus de 5 millions de personnes en Afrique du Sud qui recherchent activement un emploi. Le chiffre exclut des millions de demandeurs d’emploi qui ont abandonné la recherche de travail. Si ce groupe est ajouté aux chiffres du chômage, le taux serait proche de 37%.

Un rapport de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a montré que le nombre de demandeurs d’asile à la fin de 2014 en Afrique du Sud est maintenant estimé à 1 057 600. Bien qu’il n’y ait pas eu d’augmentation comparable en 2015, le nombre de nouvelles demandes en 2015 était relativement faible à 51683. Face à la pression sociale, notamment des attaques contre les étrangers, le gouvernement local ne régularise que très peu de cas de demandeurs d’asile. Aucune statistique n’a été trouvée à ce sujet. Les lois de l’immigration sont de plus en plus musclées.

Le « Ngunda » que les Congolais obtiennent à Musina, dans le Limpopo, est en réalité le statut du « demandeur d’Asile ». Lorsqu’ils quittent la ville frontière, cela constitue un laisser-passer pour les multiples contrôles, parfois militaires, le long des 600 Km qui séparent Musina et Johannesbourg. John, qui n’avait aucun moyen de transport, a fait la route avec nous. Il s’arrêtera à Sunnyside à Pretoria. Le plus ancien faubourg de la capitale administrative de l’Afrique du Sud, aujourd’hui, comme Yoeville à Johannesbourg, peuplé d’étrangers, majoritairement Congolais et Nigérians, fortement démunis.

Il y rejoint sa tante. Jocelyne. Qui nous accueille presque en larmes. « Je ne sais pas comment vous remercier. Nous étions très inquiets. Nous cherchions un moyen de venir le récupérer mais la situation est compliquée ici, il y a trop de policiers avec la visite de Kabila« , raconte-t-elle.

En effet, le président Joseph Kabila est dans la ville. Il a été reçu ce matin par son homologue Jacob Zuma, à  la résidence présidentielle Sefako Makgatho, dans le cadre de la 10ème session de la Commission bi-nationale Afrique du Sud-République démocratique du Congo.

Ce que Jocelyne ne dit pas, elle et son mari, également congolais, n’ont plus du tout un document valide pour circuler librement. Ils doivent renouveler leur titre de demandeur d’asile, eux qui sont arrivés ici il y a 8 ans. « Nous devons le faire tous les ans, et c’est fatiguant, il y a des longues files d’attente. Les gens arrivent parfois à 4h du matin pour ça; alors que la loi dit que si on reste ici pendant cinq ans, on obtient la résidence permanente. « , raconte-t-elle.

La loi donne en effet une résidence aux détenteurs du statut de réfugié après cinq ans sur le sol sud-africain, mais ne fait rien pour les demandeurs d’asile, qui, avec ce document, ne peuvent même pas travailler. Il n’y a aucune couverture sociale, sauf un accès aux hôpitaux de l’Etat, au même titre que les sud-africains. Les deux enfants de Jocelyne et son mari, nés en Afrique du sud et âgés de 4 et 2 ans, sont également dans la même situation. La loi ici n’accorde aucune nationalité à des enfants de demandeurs d’asile.

Une ffile d’attente de demandeurs d’asile à Pretoria. Image d’archive. DR.

La colère provoquée par cette situation, dans laquelle se trouve des milliers de congolais, est dirigée contre Kinshasa, contre le président Kabila. Certains se préparent ici à « aller l’affronter ». Kazadi Ilunga Mpanga, qui est le Secrétaire général de Communauté congolaise basée en Afrique du Sud pour la province du Gauteng, fut le premier à allumer la mèche dès vendredi. »Joseph Kabila est déjà hors mandat constitutionnel« , affirme-t-il à News24, un des principaux médias en Afrique du sud.

Il a déclaré que les membres de la communauté congolaise annuleraient leurs services religieux dimanche afin de protester, de la même manière qu’ils ont protesté devant l’ambassade de la RDC à Pretoria en décembre dernier, lorsque les élections n’ont pas eu lieu au pays.  Les manifestations de décembre, qui faisaient partie de manifestations semblables ailleurs dans le monde, furent violentes, occasionnant des tirs de dissuasion de la police sud-africaine et plusieurs blessés congolais.

Jocelyne elle, ne se sent pas très impliquée politiquement. « Moi je suis là, mon mari travaille, le peu qu’il amène, ça nous aide. Je sais seulement que nous ne seront pas ici, si notre pays nous offrait mieux. Mais, voilà. Nous avions d’abord l’espoir que l’Afrique du sud était un paradis, mais la situation sur place est vraiment compliquée« , raconte-t-elle. Son mari est agent de sécurité. L’un des rares métiers qui acceptent les Congolais, dans un pays où les taux de criminalité sont records, parfois mondiaux.

Le président Kabila à Pretoria. Ph. DR.

Le paradoxe de l’immigration congolaise en Afrique du sud, ces congolais n’auraient plus de raison d’avoir le statut du demandeur d’asile sans évoquer la dictature au Congo. Sur le chemin de retour, certains font le chemin inverse. De Johannesbourg à Musina. Ils partent vers… Kinshasa. Justin, ne peut malheureusement pas prendre un vol depuis l’aéroport international de la ville. « Je détiens un passeport de réfugiés, je ne peux donc pas prétendre me rendre au Congo où j’ai dit que Kabila pourrait m’emprisonner« , confie-t-il. Il se rend au Zimbabwe, et prendra un vol Harare – Kinshasa..

C’est l’histoire d’une contradiction nationale. Où les uns utilisent les autres pour vivre, survivre. Le gouvernement congolais, qui est en session bilatérale avec celui de l’Afrique du Sud n’évoquera, comme en 2015, pas la situation de sa diaspora en souffrance ici. Ces vies emprisonnées au paradis Sud-africain doivent survivre d’elles-mêmes, au point de garder une rancoeur profonde et compréhensible contre Kinshasa. Sans être l’unique cause, le gouvernement contribue, grâce à son inactivité, à alimenter cette colère populaire d’une diaspora qui ne cesse de grandir. De souffrir et de désespérer: le paradoxe de l’immigration congolaise au pays de Mandela.

Note:lisez la première partie est ici

Récit de Litsani Choukran.

1 comments
  1. Point besoin d’aller parcourir l’Afrique du Sud pour comprendre la colere des Congolais contre ce voyou sanguinaire et son regime vomis. Les milliards de dollars en detournements que ce voleur & tueur et ses frangins accumulent apres leur debarquement dans notre Pays en 1997 de la Tanzanie, ainsi que les millions des Congolais se refugiant a la frontiere avec l’Angola resument tout sur cette colere populaire !

Comments are closed.

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