Kabila – Zuma: « in the same boat »

L’un doit sortir son pays d’une crise politique où il est personnellement épinglé, l’autre, doit lui-même se sortir du pire. Joseph Kabila et Jacob Zuma semblent être dans un même bateau où leurs carrières politiques respectives paraissent être le prix à payer.

Pretoria. Capitale administrative de l’Afrique du Sud. Il est 13 heures ici, devant l’Union Buildings, le magnifique et imposant complexe historique abritant les bureaux du président Jacob Zuma, également siège du gouvernement et symbole du pouvoir.  Devant ce bâtiment construit en 1913, des passants. Des sud-africains, aux visages désemparés. « Des années de lutte pour l’abolition de l’apartheid ne disparaissent pas si facilement« , expliquera un ami originaire du pays. 

Pourtant, l’apartheid n’est plus là. L’Afrique du Sud allait mieux. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Jacob Zuma, vieux compagnon de lutte de Nalson Mandela, héros national. L’homme que le magazine américain Time, classe huitième sur sa liste des cent personnes les plus influentes au monde en 2008, n’arrivera au pouvoir qu’un an plus tard, succédant à Thabo Mbeki, qui aura entre-temps démissionné, des suites d’accusations de corruption.

Le bourreau de l’économie sud-africaine

Cependant, Zuma ne sera pas l’heureux élu qui redorera l’image de l’African National Congres (ANC), parti religion qui domine la scène politique locale. Bien avant son arrivée, l’actuel Président a fait face à de sagas judiciaires dont certaines touchent au viol. Depuis l’Union Building, l’homme n’a fait qu’empirer la situation, naviguant de procès en accusations.

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En effet, le Président s’est rendu coupable, en 2015, d’un jeu de chaise musical le plus spectaculaire en Afrique du sud. Tout commence par le limogeage surprise du ministre des Finances Nhlanhla Nene, qui s’opposait alors à un « deal » du président Jacob Zuma. L’homme a du céder à la pression. Il fait alors une sorte  de rétropédalage pour sauver les meubles. David van Rooyen, nommé à la place Nhlanhla Nene, est remplacé trois jours après par Pravin Gordhan, qui en fait est rappelé aux affaires. Jacob Zuma fait alors vaciller la première économie industrialisée d’Afrique. Le Rand, la monnaie locale, y perdra la moitié de sa valeur.

On croyait l’affaire terminée. Sauf que, le 30 mars dernier, la goutte d’eau qui dépasse intervient, Pravin Gordhan, à son tour, est limogé. L’agence de notation Standard and Poor’s a dégradé la note du pays. L’agence de notation financière Fitch a pour sa part placé la note souveraine de l’Afrique du Sud en catégorie « spéculative », autrement dit, catégorie à risques. Une manifestation de la Société civile, qui n’a pas été organisée par un parti politique et est très hétérogène est lancée. Le pays s’énerve.

En avril, plusieurs milliers des manifestants envahissent le parque de l’Union Buildings, demandant son départ. « Zuma must go », « Zuma doit partir » pouvait-on lire sur les panneaux des manifestants le 7 avril dernier. Ce jour-là,  un peu partout dans les grandes villes, plusieurs milliers de personnes défilent pour réclamer la démission de Zuma. Une manifestation arc-en-ciel à l’image du pays : Noirs, Blancs, Indiens, tous les âges, toutes les couleurs, tous les milieux politiques, tous unis contre l’homme de plus en plus affaibli du pays.

Pour autant, le président marié officiellement à quatre femmes, est longtemps apparu intouchable. 8 motions pour sa destitution n’ont jamais passé.  Néanmoins, la donne a changé depuis le 22 juin. Pour la première fois, la cour constitutionnelle sud-africaine a décidé que la présidente du parlement a le droit de demander un vote à bulletin secret pour la motion de destitution de Jacob Zuma. L’opposition est persuadée de pouvoir “retourner” plusieurs députés de l’ANC contre le président Zuma s’ils n’ont pas la pression d’un vote à main levée.

« Je ne vois aucune raison valable pour laquelle nous devrions changer… Vous essayez d’obtenir une majorité que vous n’avez pas en réclamant un vote secret. Je pense que ce n’est pas juste parce que vous essayez d’atteindre la majorité que vous n’avez pas», a affirmé Jacob Zuma jeudi devant le Parlement.

Condamnés à partir

Le président Kabila à Pretoria. Ph. DR.

C’est donc dans ce contexte tendu que le président Joseph Kabila a débarqué ce dimanche, à  la résidence présidentielle Sefako Makgatho, dans le cadre de la 10ème session de la Commission bi-nationale Afrique du Sud-République démocratique du Congo. Sourire aux levres, les deux présidents se témoignent une amitié sincère et très personnelle.

« Nous nous réunissions ici à un moment où votre pays traverse une transition politique à la suite de l’accord politique de décembre 2016. Cet accord traçait un processus qui devrait déboucher sur les prochaines élections « , lance Zuma à son frère Kabila, à l’ouverture de ces débats. 

Il est clair qu’ici, il ne sera jamais question de contradiction. « Nous vous félicitons, Monsieur le Président, des progrès réalisés jusqu’ici et de la manière dont vous avez traité le processus. Le peuple de la RDC doit déterminer et décider de son avenir politique interne. La meilleure façon de le faire est la négociation et le dialogue. Les gens de la RDC ont prouvé dans le passé leur capacité à dialoguer », ajoutera le président Sud-Africain. 

Comme en Egypte, avec Al-Sissi, Joseph Kabila est chez un allié « contre l’ingérence ». Lui, qui doit à présent faire face à une opposition politique de plus en plus grandissante et le défi d’organiser les élections pour sa succession à la tête de la République démocratique du Congo, peut souffler. Alors que le Kasaï, au centre du pays, brûle; avec l’Angola qui hausse de plus en plus le ton, l’Afrique du Sud parait ici comme un soutien de taille pour le Président.

Néanmoins, comme Joseph Kabila, Zuma est poussé vers la sortie. Aucune garantie n’est donnée au gouvernement congolais quant à savoir si le successeur d’un de plus controversés président de la nation arc-en-ciel le soutiendra.

« Il est possible que rien ne change même avec un autre président. Les relations congolo-sud-africaines sont basées sur les intérêts économiques. Et je vois mal un nouveau président sacrifier cela« , commente un cadre de la délégation de la RDC.  Le Congo constitue en effet plus de 20% des exportations sud-africaines dans le monde.

En attendant, Kabila et Zuma sont sur le même bateau.  Celui du départ. Condamnés à partir. Sauf si, comme souvent, le président congolais trouve un moyen de prolonger son séjour au pouvoir en République démocratique du Congo, ce qui n’est pas le cas pour Jacob Zuma, sous permanente épée de Damoclès jusqu’à son départ officiel en 2019. Dans les deux cas, le départ de l’un ou de l’autre est réclamé, perçu comme une solution aux problèmes de leurs pays respectifs.

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