La Force régionale, sa mission, son mandat: la tour de Babel autour de la sécurité de la RDC

Selon l’histoire, une race humaine unie parlant une seule langue et migrant vers l’est, arrive au pays de Shinear. Là, ils s’accordent à construire une ville et une tour avec son sommet dans le ciel. Dieu Yahweh, observant leur ville et leur tour, créa les langues qui empêchèrent les hommes de communiquer entre eux et dispersèrent les descendants de Noé à travers le monde entier.

La Tour de Babel c’est aussi un mythe biblique résumé dans le livre de Genèse 11, 1-9, signifiant actuellement un endroit où règnent le bruit, la confusion, où les gens ne se comprennent pas. Ça peut aussi désigner un lieu multiculturel où de nombreuses langues sont parlées. C’est à peu près à ça que ressemble actuellement la situation du déploiement de la force est-africaine dans la partie orientale de la RDC.

Le gouvernement de la RDC s’emploie tant bien que mal à éradiquer le casse-tête de l’insécurité qui a duré plus de deux décennies dans l’Est du pays.

Publicité

Dans ce contexte d’insécurité grandissante principalement dans la province du Nord-Kivu avec l’exhumation par le Rwanda, du mouvement terroriste du M23, désarmé et complètement vaincu en 2013 par les l’armée congolaise (FARDC ), Kinshasa a résolu de finaliser son adhésion à la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC) constituée du Rwanda, du Burundi, de la Tanzanie, du Soudan du Sud, de l’Ouganda et du Kenya.

Si dans un premier temps, l’enjeu de l’adhésion de la RDC dans cette organisation sous régionale paraissait essentiellement économique d’autant plus que dans son discours à l’occasion de l’admission de son pays à l’EAC, Félix Tshisekedi avait présenté 8 avantages à savoir:

  • L’intégration de l’Est, du Nord et du Sud de mon pays à l’espace commun de télécommunications permettra la réduction des coûts avec les pays voisins ;
  • Des multiples facilités administratives, la réduction des charges et l’accroissement des activités commerciales et économiques des citoyens ainsi que la facilitation de leur mobilité entre nos pays ;
  • La réduction des tarifs douaniers pour les marchandises réceptionnées dans les ports de Mombassa (Kenya) et de Dar es-Salaam (Tanzanie) ;
  • L’application du Pacte de sécurité collective de la Communauté et la mutualisation renforcée des forces contre l’activisme des groupes armés locaux et étrangers ainsi que les terroristes à l’Est ;
  • L’admission du français comme langue officielle de la Communauté, aux côtés de l’anglais et du Swahili ;
  • L’élargissement du marché par l’addition d’une population congolaise estimée à 90 millions d’habitants, donc un marché de 90 millions de consommateurs ;
  • L’augmentation des potentialités économiques et d’opportunités d’investissements en Afrique de l’Est par l’apport des richesses naturelles de la RDC… le bémol en plus des enjeux économiques est que l’AEC devrait aussi devenir un espace de règlement de conflits entre les pays membres particulièrement la RDC et le Rwanda en brouille incessante depuis plusieurs années.

C’est ainsi que sur l’initiative du président Uhuru Kenyatta, ancien président Kenyan et de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est, Kinshasa va ouvrir à Nairobi, un dialogue avec les groupes armés actifs pour la cessation des hostilités.

Face à la persistance de l’insécurité en dépit des engagements des groupes armés, le président honoraire du Kenya va alors proposer en avril 2022, le déploiement d’une force militaire composée des pays membres de l’EAC, avec pour objectifs principaux; « stabiliser la zone et imposer la paix » en appui aux forces de sécurité de la RDC et en étroite coordination avec la MONUSCO. Cette Force régionale est une composante du volet militaro-sécuritaire également prévu dans le communiqué adopté le 21 avril 2022.

En juin de la même année, Kinshasa dit oui au déploiement de la force régionale en Ituri, au Nord et au Sud-Kivu mais, écarte la moindre possibilité de la participation du Rwanda dans ces opérations militaires, du fait de son implication active et directe dans la déstabilisation de l’Est dans le but d’exploiter les ressources entre autres l’or, le cobalt et le coltan. Depuis lors, les troupes de l’EAC sont sur le territoire congolais mais sans aucun impact pendant que le M23 continue d’élargir sa zone d’influence.

Imbroglio et cacophonie sur sa mission

Si la durée et le coût de la force régionale de l’EAC déployée en République démocratique du Congo n’ont pas été clairement définis, c’est pourtant les questions autour de sa mission sur le territoire congolais qui suscite tollé et interrogations.

En effet, les violons ne s’accordent pas entre le gouvernement de la République démocratique du Congo et les différents États membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Pendant que le gouvernement congolais parle d’une mission offensive, certains pays membres de l’EAC ne la reconnaissent pas, et parlent plutôt d’une mission de maintien de la Paix. C’est le cas de la présidente tanzanienne, Samia Suhulu.

« La Communauté de l’Afrique de l’Est a envoyé des militaires, ils sont là , ils ont la mission de maintien de la paix, nous ne sommes pas partis (en RDC) pour nous battre, nous allons pour discuter avec les groupes armés et les rebelles qui s’affrontent et qui sont à la base de l’insécurité dans l’Est de la RDC … nous avons résolu de convaincre le M23 au cessez-le-feu », a-t-elle déclaré à Pretoria, en Afrique du Sud.

Cependant, dans un communiqué du 05 février, Christophe Lutundula, ministre congolais des Affaires étrangères a rappelé que le mandat de la Force régionale de l’EAC est, « sans équivoque, offensif » selon la lettre et l’esprit des Communiqués des trois Conclaves des Chefs d’État de la CAE d’avril et juin à Nairobi, ainsi que du Communiqué final du Mini-sommet de Luanda sus évoqué.

En sus, lors du Conseil des ministres du 10 février, Félix Tshisekedi a relevé des pesanteurs fonctionnelles qui affectent l’action de la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) dans l’exécution de son mandat. A ce titre, le Chef de l’Etat congolais a fait remarquer que le mandat conféré à cette force est sans équivoque offensif et ce, aux termes des résolutions des Conclaves des Chefs d’Etat de l’EAC tenus à Nairobi en avril et en juin 2022 ainsi que le Communiqué final du Mini-Sommet de Luanda.

Dès lors, a-t-il martelé, « son opérationnalisation ne devait pas s’écarter de la nature des termes dudit mandat et il aurait donc dû s’en suivre, comme convenu, le désarmement forcé des terroristes du M23 par ladite force régionale à l’échéance du 15 janvier 2023 qui n’a pas été respectée ».

Occasion faisant le larron, consécutivement à la position de la RDC, résumée par le communiqué du vice-premier ministre, ministre des Affaires Étrangères, le Président Tshisekedi a affirmé qu’il est clair que seul le respect strict des résolutions sus évoquées ainsi que les termes du mandat de la force régionale permettent de réaliser les conditions d’une paix durable et de consolider la confiance entre les Etats au sein de la Communauté régionale.

les troupes de l’EAC en villégiature sur le théâtre des opérations militaires

L’inaction et l’inactivité de cette force face à l’avancée du M23 soutenu par le Rwanda d’après plusieurs rapports, énervent aussi bien la population que les institutions congolaises.

Lors de la rentrée parlementaire de mars, le président de l’assemblée nationale, Christophe Mboso a noté qu’en ce qui concerne les forces de la Communauté des États d’Afrique de l’Est, qu’il s’observe de manière ostentatoire qu’elles tardent à exercer le mandat offensif en appui aux FARDC, mandat pour lequel elles ont été déployées sur terrain.

Pour le speaker de la Chambre basse du Parlement, les forces de l’EAC offrent aux congolais l’image des troupes en villégiature sur le théâtre des opérations militaires, au lieu de s’engager à faire la guerre. Mboso a ajouté que « leur présence sur le territoire congolais risque de devenir inutilement onéreuse, et son impact devra faire l’objet d’une évaluation froide afin que des conséquences en soient tirées et des mesures correctives idoines qui s’imposent soient prises ».

En attendant que les termes de la mission de cette force soient clairement définis, le M23 continue d’élargir sa zone d’influence dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Nyiragongo malgré l’annonce de plusieurs vrais-faux retraits de différentes entités sous son contrôle.

Récemment, le ministre de la Défense nationale de la RDC, Gilbert Kabanda a renseigné que le retrait de terroristes du M23, supplétifs de l’armée rwandaise (RDF) de Kibirizi et d’autres localités situées entre Mushaki Mweso et Sake était en effet, une stratégie en vue de se concentrer sur les axes Kitchanga, Tongo et Kibumba.

Selon le ministre de la Défense, dans leur désengagement progressif, les RDF se renforcent et emportent des jeunes gens en vue de les soumettre à une formation militaire forcée à Tshanzu.

Carmel NDEO

Recevez l'actualité directement dans votre email

En appuyant sur le bouton S'abonner, vous confirmez que vous avez lu et accepté notre Politique de confidentialité et notre Conditions d'utilisation
Publicité

En savoir plus sur Politico.cd

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading