Il est temps de guérir le Congo

Jeudi 20 octobre 2022. Il est exactement 21h30 à Rabat, au Maroc. Me voilà pourtant débout, dans le noir, face un bloc de marbres qui se perd dans la nuit. Le reflet de la lumière qui frappe l’enceinte crée des éclats autour des initiales « MSS ». C’est ici que repose un personnage qui pourrait à lui seul symboliser le Congo: Mobutu Sese Seko, unique Maréchal du Zaïre, devenu depuis Congo. Sans avoir une quelconque idée derrière tête, j’ai simplement voulu y être, le voir, comme tous ceux du Congo qui  passent par la capitale marocaine. Alors que je devais interviewer sa veuve, l’ancienne Première dame Bobi Ladawa, le lendemain, aussi, j’eus trouvé cela utile de m’imprégner de cette image, dans une tentative désespérée de comprendre…  

Dans la dizaine à la chute de Mobutu, aucun enfant n’aurait eu, comme moi, de discernement. Aussi, comme tous ici, nous étions catéchisés par le boucan entonné à l’unisson  par RFI et quelques rares médias du pays.  Durant cette matinée  du samedi 17 mai 1997, la nuit fut longue à Kinshasa, qui accueille alors ses libérateurs. Depuis, nous répéterons à l’unisson, « l’AFDL nous a libéré d’une dictature sanglante ». Le documentaire « Mobutu Roi du Zaïre », n’est pas là pour démentir.  Les premières sorties de « Mzee » Laurent-Désiré Kabila non plus. Le pays a été détruit par le MPR, il va maintenant retrouver sa grandeur. Vingt-cinq ans après, à regarder où le Congo se situe aujourd’hui, avec l’âge, devenu également acteur de l’information, rien n’est autant sûr.

Se rappeler du passé

Face à la tombe du Maréchal donc, une introspection a lieu, vraiment sincère, sans chercher naïvement nostalgie. Le passé, mais aussi le futur du Congo dans le cœur.  Le passé justement, quand on s’y met, il y a dégout quand même. Le sentiment d’avoir été, sans cesse, sous emprise d’une campagne permanente de destruction d’une image, mais surtout, le sentiment de s’être fait avoir, en tant que peuple. De s’être laissé manipulé.  Attendez ! Je m’explique. Oui ! La liberté est une quête noble. Le Zaïrois sera toujours fier d’avoir fait tomber la deuxième République au profit d’une démocratie. Des pères de familles ont perdu leurs vies pour avoir seulement parlé. D’autres sont morts de faim, dans un pays qui subissait alors une dégringolade vertigineuse. L’opposition politique était bâillonnée, les médias encore moins libres. L’homme politique s’enrichissait, pendant que le petit peuple croupissait. Néanmoins, cette description ne vous rappelle pas une époque bien proche de nos jours ? Ceci ne ressemble-t-il pas à un des mes articles beaucoup plus récents ? Avez-vous déjà lu « Le Folklore institutionnel » en RDC ?

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Devant la tombe de Mobutu, les images du passé ressurgissent. Un passé glorieux. Le passé d’un monde où être de Kinshasa « valait quelque chose ». Le drapeau du Zaïre, quand il flottait, procurait sans doute possible à ses citoyens la fierté d’appartenir à une Nation. Une Nation dans la paix retrouvée d’un peuple uni, qui va de l’avant, fier et plein de dignité. Un grand peuple en tricolore, enflammé du feu sacré tenu par un flambeau si vaillant… oh que si ! Vous y êtes ! Reconnaissons-le. Nous parlons certes d’une dictature. Mais tout y était ! Nzuzi wa Mbombo, Luba, était pourtant gouverneure dans le Kongo Central, l’ancien Bas-Zaïre. Une réalité impossible aujourd’hui. Aussi, la question arrive : quel est gain tirons-nous en renversant une dictature qui aurait comme résultat de plonger plus que jamais le Congo vers un chaos, vers une division si profonde que nous ne sommes même pas d’accord sur notre propre identité à ce jour ?

Quand on regarde le passé lointain, d’une République détruite par les Mobutistes et leurs pas de danse, peut-on vraiment leur opposer la suite des vingt-cinq ans après eux ? Avons-nous fait mieux ? 8 millions de morts et voir plus, pour en être là où nous sommes ? Des thèses fusent. Sans doute, suis-je influencé par la découverte de ces personnes, cette famille, jadis couverte par l’épais héritage du nom lourd et pesant de Mobutu. Le fait qu’ils soient si normaux, que Nzanga, sa Mère, sa sœur ou encore son fils… soient de personnes tant ouvertes que gentilles pousseraient n’importe qui à s’interroger. Car l’image qui était mienne, je l’avoue, n’y collait pas. On parle des descendants d’un homme qui buvait, semble-t-il, du sang. De la famille de celui qui supervisait, la nuit tombée, depuis son hélicoptère, des meurtres de masse. Bref, et si la légende avait tout faux ? Et si le mythe était cousu d’un fil dont le seul but était finalement d’en venir à bout d’un homme devenu dérangeant pour les intérêts de ceux qui ont, par la suite, ravagé et pillé le Congo ? Ceux qui ont tout fait pour venir à bout de ce Zaïre un peu trop puissant, qui profita de la Guerre froide pour terroriser des petits pays comme… le Rwanda ! Un zaïre un peu trop fier, trop uni ?

Vingt-cinq ans après, le bilan des successeurs de Mobutu exige l’indulgence envers cet homme né d’une autre époque, n’ayant eu de modèle politique que celui du Colonisateur. La succession des calamités qui se sont abattues sur ce pays tels les dix plaies qui tombent sur les princes égyptiens devrait pousser chaque congolais à se questionner. Tel est mon exercice face à cette tombe de Rabat. Mais le Fondé est juste. Loin de toute nostalgie, face à Mobutu, j’ai vu mon Congo, celui d’aujourd’hui également. Un pays certes ravagé par une guerre interminable dans sa partie Est, mais où les populations et même la classe dirigeante y vivent dans une insouciance à jalouser les morts. J’y ai cependant vu des progrès, une résilience incroyable qui permis à Joseph Kabila de réunifier ce Congo du Chaos, à Félix Tshisekedi et ses frères Katumbi, Kamerhe, Fayulu, Bemba, et compagnies, d’arracher la toute première alternance démocratique à la tête du pays. Voyez-vous, tout n’a pas été noir. Nous n’irons pas jusqu’à regretter Mobutu. Les avancées démocratiques et même, dans une certaine mesure, économique, sont indéniables.

Se ressaisir

Cependant, notre situation est loin d’être bonne. Les avancées démocratiques, obtenues jadis au prix de multiples sacrifices, se sont effritées dès l’aube des premières élections démocratiques en 2006. Ceux de Joseph Kabila, pourtant initiateurs de la restauration démocratique, ont mangé leur propre enfant en saucissonnant la constitution pour y chercher un maintien délibéré au pouvoir, y campant jusqu’au-delà du délai constitutionnel en 2018. Et ceux qui leur ont succédé n’étaient démocrates que d’opposition. A ce jour, l’appareil de l’Etat a copieusement poursuit son démantèlement au profit, une fois de plus, des politiques. L’opposition face à Tshisekedi ne peut même pas l’ouvrir. Emmenée par Katumbi Moïse, qui doit encore expliquer comment s’être enrichit aussi insolemment dans une province où la majorité de la population continue de croupir dans la misère.  Les hommes politiques du Congo ne peuvent plus jouer au saint. Eux tous !  Ce qui nous amène à une conclusion simple : nous avons été, tous, de Mobutu à Tshisekedi, héros et bourreau de notre propre République. Et qu’il faille désormais se remettre en cause dans une démarche sincère de restauration de notre Nation.

Car plus que jamais,  nous sommes menacés dans notre existence. A l’heure où le monde entier convient à prophétiser que l’avenir passe par le Congo, qui regorge plus de la moitié des réserves mondiales des matières premières de la révolution énergétique, à l’heure où l’avenir du monde a plus que besoin des forêts congolaises pour faire face au réchauffement climatique, il est tout aussi étrange qu’ubuesque de constater que le même monde abandonne copieusement les Congolais dans une énième agression et ses vagues des violences. Nous n’hésiterons pas à nous comparer à l’Ukraine. Les spécialistes prétendront que la situation n’est pas la même. Mais personne au Congo ne comprendra l’attitude de la Communauté internationale. Car des deux côtés, il y a des peuples qui souffrent, meurtris par des agressions militaires délibérées, mais qui récoltent des réactions d’indifférence d’un côté, et de l’empressement de l’autre.  

Néanmoins, il serait trop facile d’imputer toute la responsabilité au reste du monde. Là où est l’ultime enseignement qui jailli, face à cette modeste tombe du Maréchal Mobutu. En regardant l’histoire même de ce pays résumé ici, on se demande, on se questionne : comment un tel homme, qui était si puissant, si grand, qui a tant servi à la fois le Zaïre, sa famille, ses amis, ses alliés occidentaux, peut-il finir ici, dans l’anonymat total ? Pourquoi le monde nous abonne tant. Quelque chose ne va donc pas.  Nous avions hérité d’un pays immense, sans avoir réellement rien fait. Qu’ils soient de mauvaises intentions, les Belges et leur Roi Léopold II nous ont certes légués le meilleur héritage possible : un pays aux dimensions continentales et aux richesses scandale géologique. Cependant, nous n’avions pas été à la hauteur. Nonobstant la responsabilité du reste du monde, Patrice Emery Lumumba, qui le comprit tôt, nous en demandait de la « grandeur ».

Chose que Mobutu a eu, pendant un laps de temps, sans doute trop en avance avec son époque, avant, lui aussi, de sombrer, tirer vers le bas, par les faiblesses que nous avons tous en tant que hommes, mais surtout ceux du Congo.  Cette classe politique jamais à la hauteur, empêtrée tantôt dans la jouissance tantôt la quête du gain personnel, a fini par avoir raison d’une vision pourtant noble du « recours à l’authenticité ». Si Laurent-Désiré Kabila n’a eu le temps de changer les choses, ses premiers actes d’électrochocs auraient pu aider. Mais nous voilà déjà avec son fils, en train de ronger le Congo tel un cancer qui s’acharne sur un os pourtant déjà malade. Joseph Kabila, tel le Maréchal, compris aussi rapidement. Le temps de s’allier avec l’occident pour assoir un pouvoir capable de réunifier tout un pays morcelé alors, le voilà déjà empêtré par les mêmes démons, la même classe politique qui continue de ronger le pays.  Et comme le Maréchal, Kabila-Junior fut le diable incarné, paria, responsable à lui seul des problèmes du Congo. Tshisekedi ne tarda pas à l’être.

Guerre le Congo

L’enseignement est pourtant là. De la même manière qu’il surgit devant moi, face à la tombe du Maréchal. Le Congo se repose un peu trop sur ses présidents pour cacher ses propres démons. Sans doute parce que ces présidents-là ont également prétendu aux pleins pouvoirs. Mais celui qui ne tire pas les leçons de ses erreurs est condamné à les répéter. Aujourd’hui, alors que la nation est plus que jamais menacée de son existence, une remise en cause profonde est obligatoire. D’abord commencer par une réconciliation, entre nous. Puisqu’en s’affrontant tant, depuis six décennies, des plaies profondes entaillent la nation et ne peuvent permettre un réveil convergeant. Nous avons oublié les héritages de nos héros. Certes perfectibles. De Lumumba à Kabila, passant par Tshombe, Kalonji, Mobutu, etc. Nous n’avons pas eu de véritable politique de restauration de notre histoire et de reconnaissance envers les meilleurs d’entre nous. Même Mukwege est aujourd’hui insulté par des gens qui n’ont apporté à ce pays même une once de fierté.  Notre société métastasée a besoin d’une nouvelle dynamique, qui commence par la restauration de la mémoire de nos héros, pour en arriver à une totale restauration de notre fierté en tant que Nation.

Rapatrier et reposer Lumumba était le premier geste utile. Mais cela ne peut se faire ni dans un calcul politique encore moins sans une vision à long terme. A Rabat, j’ai vu l’avenir, qui passe par le déménagement de cette tombe minable et la restauration de son locataire. Créer une véritable institution de « vérité et réconciliation », rapatrier le Maréchal Mobutu, Moïse Tshombé et autres, créer un panthéon congolais en y inscrivant les meilleurs d’entre-nous, mettre en place une véritable culture de restauration de notre société, de notre peuple et de notre nation : restaurer le rêve de l’authenticité et l’enseigner à nos enfants. Alliée à la démocratie, ce rêve sera plus que jamais un leitmotiv pour le renouveau.

Si tous les regards sont braqués vers Kigali et Kagame Paul, moi je vous assure que c’est de l’intérieur que le Congo est vaincu.  Aucune nation brisée et divisée ne peut remporter de guerre. Aussi, la véritable guerre que nous livrons ne consiste non pas à vaincre un ennemi extérieur, mais plutôt à vaincre celui qui est enfui au fond de chacun de nous : de notre pensée et fonctionnement en tant que peuple. Discipliner le pays, son peuple, nous remettre au travail de restauration, tel est le vrai Combat à livrer. Le reste suivra. Les FARDC suivront. Eh oui ! Tous les Congolais sont appelés à se mettre en œuvre. Mais le véritable artisan de cet éveil patriotique s’appelle Félix Tshisekedi ! Le Président de la République se doit d’être conséquent : plus que jamais, il est celui qui peut aider cette Nation à entamer son éveil. Son réveil. Dites-le-lui ! Il en va de l’avenir même de notre Nation.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

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