RDC : Un Général FARDC « oublié » à Makala ?

Le 29 décembre 2020, deux hélicoptères des Forces Armées congolaises (FARDC) s’écrasent à deux jours d’intervalle dans le nord-est du pays causant la mort d’au moins cinq personnes. Le premier incident a lieu près du village de Bafwamongo, dans la province de la Tshopo. L’appareil transportait trois personnes quand il s’est écrasé lors d’un vol entre les villes de Bunia et de Kisangani. Deux jours plus tard, un autre hélicoptère militaire, qui participait aux opérations de secours, s’est lui aussi écrasé dans la forêt tropicale lors du vol retour vers Kisangani, à 57 km de cette ville, avec quatre personnes à bord. Toutefois, s’ils semblent anodins, ces événements arrivent dans un contexte tendu au sommet du pouvoir congolais. 

Une querelle politique Kabila – Tshisekedi

En effet, quelques semaines à peine avant ces incidents, le président Félix Tshisekedi annonçait la fin de la coalition au pouvoir avec son prédécesseur Joseph Kabila. « La majorité actuelle s’étant effritée, une nouvelle majorité est nécessaire », a déclaré le chef de l’Etat dans un discours retransmis par la chaîne publique RTNC. « J’ai décidé de nommer un informateur (…). Il sera chargé d’identifier une nouvelle coalition réunissant la majorité absolue des membres au sein de l’Assemblée nationale », a-t-il ajouté. Rapidement, les événements de Kisangani, alors que Félix Tshisekedi a fait de l’armée nationale et de la sécurité dans l’Est du pays ses grandes priorités, sont alors vécus par des fidèles du président congolais d’une prolongation du conflit politique au sein de l’armée.

A cette époque, le Général de Brigade Zelwa Katanga alias Djadjidja est commandant second de la troisième région militaire. Une région qui couvre alors la Tshopo, où les incidents ont lieu. Nommé du temps de Joseph Kabila, ce Général formé en Angola est rapidement soupçonné, dans un contexte de conflit entre le camp du président Tshisekedi et celui de Joseph Kabila, de vouloir « fragiliser » le président congolais. Il n’en fallait pas plus pour que le Général Katanga soit rappelé à Kinshasa. Le 16 janvier 2021, il regagne la capitale et est interrogé par la Maison Militaire du président Tshisekedi pendant plusieurs jours. « On l’accusait de saboter le pouvoir du président Tshisekedi. Ou encore d’être un Kabiliste. Bref, c’était saugrenu. Après plusieurs jours d’enquête, ils ont classé l’ affaire », explique un militaire proche du Général Katanga. Les enquêtes sont officiellement lancées, sans qu’aucune annonce soit publiquement faite.

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Soudainement, en février 2021, deux anciens policiers congolais en exil sont étrangement interviewés par Radio France Internationale et font des annonces fracassantes. D’abord ils admettent avoir participé au double assassinat du défenseur des Droits de l’homme Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana en 2010, avant d’affirmer qu’ils auraient enterré Bazana, dont la dépouille n’a jamais été retrouvée à ce jour,  « dans la concession du Général Djadjidja » à Mitendi (Ouest de Kinshasa). Des sorties qui tombent à point nommé et précipitent dès lors la situation du Général Katanga. Dans un article le 21 février 2021, RFI annonce que  le Général Katanga est placé en résidence surveillée.  La radio française explique, citant des sources au sein de l’appareil judiciaire de l’armée, la mise en résidence surveillée du général Djadjidja ne serait qu’une mesure disciplinaire. « Selon une source au sein de la justice militaire, il n’est poursuivi pour rien à ce stade », affirme la RFI dans un article publié le 21 février.  Une information que des proches du général congolais démentent auprès de POLITICO.CD. « Mon Général n’était pas en résidence surveillée en février. C’est faux. C’est le 2 juin qu’il a été placé en résidence surveillée et c’est le 4 juin qu’il a été arrêté et transféré à Makala », affirme un officier supérieur des FARDC à POLITICO.CD, qui a requis l’anonymat.

Quoi qu’il en soit, alors que le général John Numbi, principal suspect de l’affaire Chebaye s’enfuit en quittant le pays par la Zambie pour rejoindre la Russie, Zelwa Katanga est envoyé à la prison centrale de Makala le 4 juin 2021, cette fois suspecté dans le dossier de Floribert Chebeya. Quelques jours seulement plus tard, , sous haute pression internationale, l’affaire Chebeya est rouverte devant la Haute Cour militaire siégeant en chambre foraine à la prison militaire de Ndolo.

Le Général Zelwa Katanga doit prendre son mal en patience jusqu’en novembre 2021 pour qu’il soit finalement convoqué par le Tribunal. Néanmoins, une surprise de taille l’attend. Le 03 novembre 2021, l’homme qui a passé près de 5 mois en prison est appelé à la barre. Mais au moment de lui signifier les règles du jeu, le président de cette Haute Cour militaire l’informe qu’il va, finalement, comparaître en tant que « Renseignant ». Stupeur dans la salle. Car, cité nommément par deux policiers pourtant poursuivi dans ce procès en appel, Djadjidja prend la parole et exige à comparaître en tant que prévenu.   « Alors que je suis moi-même poursuivi par la Haute Cour pour le même fait, je ne vois pas juste que je sois en train de témoigner au lieu de me défendre personnellement. Chaque question posée constitue pour moi une question d’instruction de l’affaire pour laquelle je suis personnellement poursuivi et exige que je me défende moi-même au lieu de témoigner à charge où à décharge des prévenus poursuivis pour les mêmes faits que moi », dit-il dans son mémorandum lu par la Cour séance tenante.

Il n’en sera pas question. Djadjidja comparaitra tout au long de ce procès sans être poursuivi, tout en étant toujours détenu à la prison de Makala. Le 11 mai 2022, la Haute cour militaire rend son verdict et condamne le colonel Christian Ngoy Kenga Kenga à la peine capitale et le sous commissaire Jacques Mugabo à 12 ans de prison ferme. Le major Paul Mwilambwe Londa, considéré comme principal témoin des faits, est acquitté.

Zelwa Katanga oublié en prison ?

Lire notre enquête exclusive sur le dossier.

Officiellement, en dehors de ce procès en appel qui s’est achevé, une plainte aurait été déposée en octobre 2020 par les avocats des parties civiles contre le Général John Numbi, le Général Zelwa Katanga et les policiers ayant exécuté les deux défenseurs des droits humains, «  le dossier a été transmis à la Haute Cour militaire pour fixation », renseigne une source à POLITICO.CD. « Le General de Brigade ZELWA KATANGA Djadjidja a été entendu devant l’Auditeur General des Forces Armées de la République Démocratique du Congo jusqu’au 1er Juin 2021. Ayant signé avec l’Officier du Ministère Public la décision de renvoi, mettant fin d’une manière définitive au pouvoir du Parquet, donc de l’Auditeur Général, il à la Haute Cour Militaire de prendre la relève en vue de lui assurer un procès équitable », rétorquent les avocats de Zelwa Katanga.  « Ce qui n’est pas fait à ce jour en dépit des efforts fournis pour l’instauration d’un vrai État de droit, seul gage des libertés publiques et du respect du droit de la défense », regrettent-ils.

En effet, depuis sa détention en juin 2021, le Général Katanga n’est pas fixé. « Le Général est à ce jour détenu sans aucun document régulier, étant donné qu’il n’existe aucune loi qui prévoit une détention pareille », regrettent même ses avocats. « Il fut assigné en résidence surveillée par l’Auditeur le jour même de la signature de la décision de renvoi, mais se retrouve miraculeusement plusieurs jours après sous mandat d’arrêt provisoire signé par la suite par le Parquet, pendant que sa cause est envoyée en fixation. » déplorent-ils. « Le remplacement de ladite assignation par un mandat d’arrêt provisoire l’est en violation de la loi, en ce que l’Auditeur s’étant dessaisi, le pouvoir de décision revenait à la Haute Cour Militaire, donc au Juge. Le Général est incarcéré sans base légal », insistent ses avocats.

A Kinshasa, plus personne au pouvoir ne parle du cas du Général Katanga. Autour du président Félix Tshisekedi, on s’étonne même qu’il soit toujours en prison. « Ce qui est sûr, le Général Djadjidja a été arrêté à cause de la pression internationale autour du Général Numbi. Quand ce dernier s’est enfui, le procès en appel ne pouvait pas débuter sans qu’on arrête un gros poisson dans l’armée. Mais le fait qu’il ne soit ni jugé, ni condamné est tout à fait politique. Il a été oublié simplement », explique un proche du président Félix Tshisekedi qui a requis l’anonymat.

Si le pouvoir congolais est devenu discret sur le cas du Général Djadjidja, c’est surtout en suivant la tournure des événements durant le procès en appel de l’affaire Chebeya. A noter d’abord qu’aucune dépouille n’a été retrouvée dans les endroits indiqués par Jacques Mugabo et Doudou Ilunga, deux ex-policiers affirmant avoir enterré la dépouille de Fidèle Bazana, tantôt dans la concession du général Djadjidja, tantôt dans sa parcelle. Car, finalement, le général Djadjidja disposait de parcelles et non de concession à cet endroit. « Une autre confusion est venue du fait que l’avenue sur laquelle sont situées ces parcelles se nomme +Djadjidja+. Et durant le procès, il n’y a eu aucun lien véritable entre les commando ayant exécuté Chebeya et Bazana, et le Général Djadjidja », explique une source proche du dossier à la Haute Cour militaire de Kinshasa.  Des faits confirmés durant une audience de reconstitution et de confrontation sur les lieux en novembre 2021.  Sur place, les prévenus Jacques Mugabo et Doudou Ilunga ont surtout fait preuve d’hésitations, au point même d’énerver les militaires des droits de l’homme qui suivaient le procès.  Les deux prévenus ont non seulement indiqué des parcelles n’appartenant pas au Général Djadjidja, mais sur lesquelles rien n’a été retrouvé. La MONUSCO, qui a y a mené des fouilles, a conclu dans son rapport qu’aucun dépouille n’a été trouvée.

Le Général Zelwa Katanga est toutefois maintenu en prison sans être jugé. « Nous ne pouvons rappeler à l’autorité judiciaire que priver une personne seulement soupçonnée d’avoir commis ou d’avoir tenté de commettre une infraction, est une mesure qui se heurte à la liberté individuelle dont chacun est détenteur. Ce qui implique que personne ne doit donc être privée de cette liberté que dans les conditions prévues par la loi », regrettent ses avocats. POLITICO.CD n’a pu recueillir la réaction du côté de la Haute Cour en charge du dossier. A l’heure où l’armée congolaise est au cœur de l’actualité avec la nouvelle guerre d’agression dans l’Est, le cas du Général Katanga interpelle un peu plus encore les autorités congolaises.

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