Présidentielle 2023: Joseph Kabila, l’invité surprise

15 avril 2022. Le boulevard Lumumba dans la Tshangu, le district le plus peuplé à l’Est de Kinshasa, est noir de monde. Une ambiance électrique. Des passants s’arrêtent et sont tous curieux. Pendant ce temps, cette artère principale qui relie l’aéroport international de N’djili au centre-ville est bloquée. Plusieurs dizaines de personnes s’attroupent et s’agrippent sur un cortège de 6 véhicules. Ils scandent tous, à tue-tête, « Mokonzi ya mboka ye oyo (Ndlr : voici le Chef du pays ) ». Dans l’un des 4×4, on voit finalement, et difficilement, la tête d’un homme barbu, avec des cheveux en rébellion.

« C’est Joseph Kabila », confirme un des passants. C’est bel et bien lui. Le moment est historique, mais pas une première. En effet, trois ans à peine après son départ du pouvoir, l’ancien président fait souvent des telles apparitions. Et de manière crescendo, il y draine de plus en plus de monde. Cependant, ces images du 15 avril où on voit une grande foule aduler Joseph Kabila, un homme présenté comme « vomi » par la population à son départ du pouvoir, vont faire le tour des réseaux sociaux en RDC, faisant ainsi objet d’une vive polémique.

Joseph Kabila veut-il revenir ?

Ces images tombent cette fois dans un contexte particulier. Trois ans après son arrivée au pouvoir, le président Félix Tshisekedi est dos au mur. Son pouvoir n’arrive pas à réaliser les multiples promesses qu’il avait faites. La situation économiques s’enlise, alors que la sécurité à travers le pays se dégrade. Les tensions sociales et tribales sont exacerbées. Des multiples projets lancés se sont soldés en des scandales, alors que  la lutte contre la corruption tant vantée a tourné au fiasco : le président a lui-même gracié des condamnés pour corruption. Le pouvoir du président Félix Tshisekedi est par ailleurs miné par des conflits internes. Son numéro deux, Jean-Marc Kabund, a été éjecté du pouvoir dans une manœuvre polémique. Son principal conseillé en matière de sécurité,  François Beya a été arrêté, accusé d’avoir voulu « orchestrer un coup d’État », alors que dans l’opinion, ces manœuvres sont considérées comme des querelles internes.  Pendant ce temps, et face à ce bilan en dent de scie, Félix Tshisekedi craint de perdre le pouvoir. 

Une telle situation offre une belle occasion à Joseph Kabila. A Kinshasa, beaucoup estiment que ses apparitions de plus en plus fréquentes où il se fait acclamer, ne sont pas anodines.  « Joseph Kabila fait toujours peur au président Tshisekedi. Malgré le fait qu’il a perdu sa majorité au Parlement. Malgré le fait que le président a rompu son alliance avec lui, il n’a rien dit et il est reste mystérieux. On ne sait pas ce qu’il prépare. Et le fait qu’il fasse ce type d’apparitions laisse entendre qu’il pourrait vouloir postuler en 2023 », explique un analyste à Kinshasa.

Interrogé à ce sujet, Serge Kadima, cadre du PPRD, n’a pas voulu répondre clairement. Selon lui, le choix du retour revient à Joseph Kabila. « Le président honoraire, Son Excellence Joseph Kabila Kabange est libre, comme tout congolais, de vouloir briguer la magistrature suprême. Le choix de revenir lui revient et à ce jour, rien ne l’empêche. Au regard de la situation dégradante du pays, et surtout au regard de la gestion calamiteuse de ceux qui sont au pouvoir actuellement, il est tout à fait normal que la population réclame son retour », dit-il.

Une candidature redoutée par Tshisekedi

Du côté du président Félix Tshisekedi, l’idée d’affronter Kabila aux élections de 2023 inquiète. Car le fait que l’ancien président s’offre un bain de foule dans une capitale jadis bastion de ses opposants pourraient alors être interprété non seulement comme un rejet de l’actuel président, mais également comme un appel à Joseph Kabila à revenir au pouvoir. Des propos que l’on peut entendre de la bouche de certains passant sur les images diffusées sur internet. 

Rapidement, l’État-major politique du président Félix Tshisekedi se mobilise et songe déjà à trouver des solutions pour éviter une telle hypothèse. D’abord sur les réseaux sociaux, ses proches ont lancé des sorties stipulant que Joseph Kabila n’aurait pas le droit de postuler à nouveau comme président, citant un article peu clair de la Constitution. Des mécanismes sont même prévus, avec l’aide de la Cour constitutionnelle, pour écarter toute éventualité d’une candidature de Joseph Kabila à cette Présidentielle de 2023. Nous y reviendrons dans le prochain acte de ce dossier.

Néanmoins, Une telle idée est  balayée par les proches de Joseph Kabila. « Si l’histoire de la France dont s’est inspirée la Constitution congolaise n’abonde pas en exemples mettant en exergue le retour d’anciens Présidents à la course à la présidentielle, il importe de dire qu’il existe aucune INTERDICTION. Mais l’exemple du Brésil reste aussi pittoresque qu’éminemment inspirant pour la République Démocratique du Congo. Les mêmes causes, produisant les mêmes effets, rien n’empêche actuellement à JOSEPH KABILA de faire un retour à la LULA d’autant plus que les conditions sont fortement similaires », affirme Serge Kadima, ancien vice-président de la Ligue des Jeunes du PPRD, dans une tribune publiée sur POLITICO. CD.

Litsani Choukran, patron de POLITICO.CD et éditorialiste, a rencontré Joseph Kabila en février 2021. Au sujet de savoir s’il pourrait revenir, le journaliste estime que Kabila ne reviendra pas si certaines conditions ne sont pas réunies. «A mon avis, Joseph Kabila avait lui-même choisi de quitter le pouvoir. Parce que les conditions dans lesquelles il dirigeait ne lui permettaient pas d’obtenir des avancées en termes du développement du pays. Il est totalement dégouté de la classe politique congolaise et de la Communauté internationale. De ce fait, pour qu’il revienne au pouvoir, il faut une véritable révolution balayant le tableau qu’il avait laissé. Et à l’heure actuelle, rien n’est évident », dit M. Litsani. « Il pourrait choisir de revenir d’une autre manière. En soutenant peut-être quelqu’un d’autre et voir ce que ça peut donner.  Son rêve ultime est visiblement de transformer la société congolaise à l’image de ce que Julius Nyerere à réaliser en Tanzanie », ajoute le patron de POLITICO.CD.

D’autres options pour Kabila?

Sur le plan politique, Joseph Kabila avance masqué comme à son habitude. Après la chute de sa majorité, qui a rallié Félix Tshisekedi, il a semblé prendre du recul de la scène politique, s’orientant notamment vers ses études en Afrique du sud. Mais l’ancien président garde toujours une main sur ses fidèles. Un peu comme s’il profitait de la situation pour reformer sa coalition politique autour des vrais fidèles. Il a notamment fait une apparition aux 20 ans de son parti, le PPRD. Et depuis plusieurs semaines, le parti a annoncé, sous la direction de Kabila, un congrès pour des nouvelles mises en place. Ses lieutenants, comme Raynmond Tshibanda, laissent entendre que le PPRD, ou encore la coalition du FCC, aligneront des candidats « à tous les niveaux » des élections de 2023, n’écartant donc l’hypothèse d’un retour de Kabila.

Par ailleurs, une autre donne prend place depuis les dernières semaines, cette fois du côté du Katanga. Un Forum sur l’unité et la réconciliation des Katangais est lancé ce 17 mai à Lubumbashi dans le Haut-Katanga. Ces assises, organisées par l’assemblée épiscopale de la province ecclésiastique de Lubumbashi, visent officiellement « à  rassembler plusieurs catégories de personnes, notamment des acteurs politiques, les membres de la société civile, les chefs coutumiers, les scientifiques, et les jeunes. ».

Néanmoins, durant la première journée, pour la première fois depuis 2015, l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, qui prend part à ces assises, a été photographié aux côtés de Jaynet Kabila, la sœur-jumelle de l’ancien président. Ce forum est par ailleurs dénoncé par les proches du président Tshisekedi qui craignent de voir une coalition naître d’une réconciliation entre Joseph Kabila et Moïse Katumbi, un autre candidat redouté par l’actuel président. Ainsi, qu’il revienne comme candidat ou pas, Joseph Kabila pourrait toujours peser durablement sur ce scrutin de 2023.

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