RDC: Ci-gît l’Etat de droit de Félix Tshisekedi

C’est l’histoire d’un mythe qui s’écroule. L’histoire d’une lutte courageuse transmise de pères en fils, mais qui sombre tel un drame Shakespearien. Tout a commencé durant une journée qui deviendra symbole. Le 17 janvier 1988, le jour d’anniversaire de la mort de Lumumba, Etienne Tshisekedi n’en peut plus de chanter et danser pour le Dictateur. Il convoque un meeting au centre de Kinshasa au pont Kasa-Vubu, lieu des pendaisons de 1966. Il ose l’ouvrir contre le Maréchal Président, et appelle à l’avènement de la démocratie. Le père de Félix Tshisekedi, qui venait de fonder l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) aux côtés d’autres anciens cadres du parti-Etat (MPR), proclame alors l’avènement d’un « Etat de droit ». Le mot-phrase est lâché. Tant pis si l’armée de Mobutu intervient, faisant de nombreux morts et blessés. Tant pis si Tshisekedi est mis aux arrêts, alors que des psychiatres le déclarent malade mental, frappé de paranoïa… 

Aux origines d’un mythe

La photo hommage à Etienne Tshisekedi, montée par POLITICO.CD

Les années passeront, Mobutu et son régime pousseront les Zaïrois à bout, mais une poignée d’hommes le résisteront. Ils sont regroupés au sein de l’Union pour la Nation. Lambert Mende sait de quoi je parle. Sous le manguier à Limete, ils incarnent, aux côtés d’Etienne Tshisekedi, une alternative viable à Mobutu. Alors que le vent de la pérestroïka souffle sur le monde,  Etienne Tshisekedi est le seul, dit-on au Zaïre, à dompter le dollars roi, qui malmène une monnaie locale qui fait de sa populations des millionnaires pauvres. Traquée tantôt par la police politique de Mobutu, tantôt par la crise économique, toute une génération de jeunes gens met cap vers l’Europe où elle entame une véritable lutte politique, rejoignant Etienne Tshisekedi qui croule dans des prisons de Mobutu. François Mwamba et d’autres sont aux premières loges dans les capitales européennes et forment l’avant-garde d’une opposition qui va incarner la future scène politique congolaise.

Cependant, si certains gardent la tête froide en politique, beaucoup vont s’orienter vers le « BCBG », devenant les « mikilistes », amis de musiciens et sont chantés à longueur de journées. Ils sont également connus comme « Shekula ». Papa Wemba les immortalise dans le phénomène « Chance eloko mpamba ». Dans ces mêmes années 1990, un certain Félix Tshisekedi est filmé distribuant des coups à l’Aéroport de Zaventem à Bruxelles, défendant son paternel Etienne Tshisekedi d’une énième entourloupette de Mobutu, en complicité avec les autorités belges. Son seul fait d’arme en politique, avant de disparaitre.

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Au pays, une lutte sans merci est menée entre Mobutu et l’opposition, au prix d’énormes sacrifices. Beaucoup vont tout perdre, y compris leurs vies. La Conférence nationale souveraine arrive. Elle déplume et déshabille la gouvernance du Maréchal. Elle plébiscite Etienne Tshisekedi et son programme. Son « UDPS » crée même un gouvernement parallèle sans pouvoir. Elle étale ses fatwa et ses promesses de mieux faire. Elle jure qu’une fois qu’elle sera au pouvoir, les Zaïrois pourront à nouveau manger trois  fois par jour. Deux doigts en l’air, le Lider-Maximo prône grosso-modo une politique de gauche, dans une litanie de bonnes intentions emballées dans le sobriquet « l’Etat de droit ».

L’arrivée de Laurent – Désiré Kabila et la chute de Mobutu ne changent rien. Le pays est ravagé par les rebellions orchestrées par les voisins du Congo. La Guerre mondiale africaine a lieu sur les terres congolaise. A bout de souffle et comme à chaque fois, le peuple braque ses yeux vers Limete où un Sphinx immortel pointe toujours ses deux doigts en l’air. Mais ce vieux loup, adulé, a l’art de manger sa feuille de match. Ni durant Mobutu, encore moins face aux Kabila père et fils, il ne daignera prendre les rênes du Congo. Jusqu’à se coucher définitivement, le 1er février 2017, non sans mener son fils aux portes d’une succession tant redoutée et à l’aube d’une lutte politique acharnée pour l’alternance.

Etat de droit version « mikilistes »

Félix Tshisekedi réapparait en 2006 aux côtés de son père. Il est cependant caché derrière les caciques de l’UDPS, les vieux de la vieille école, qui ont fait le cent coups avec Etienne Tshisekedi. Aussi, le fils n’était pas vraiment le choix du Père. C’est en tout cas ce qu’affirme Albert Moleka, ancien directeur de cabinet d’Etienne Tshisekedi. Ainsi, quand il est catapulté en héritier de son paternel à la tête d’un parti mythique qui n’en était plus un en 2018, il est tout de suite contesté par Bruno Tshibala et Valentin Mubake, les derniers compagnons de Tshisekedi  qui seront rapidement éjectés pour laisser place à la filiation naturelle.  Après trois décennies, et alors que les premières élections pour une alternance historique arrivent, le fils tente de rassurer, promettant de reprendre la lutte livrée jadis par son paternel.

En août 2018, avant de réussir à emberlificoter Vital Kamerhe dans un accord irréaliste de coalition, Félix Tshisekedi présente alors le contenu de l’Etat de droit. Un programme aux ambitions à la hauteur du mythe. Mobiliser 86,71 milliards de dollars des ressources budgétaires, augmenter le revenu moyen du congolais à 4 288 dollars américains et générer une croissance économique forte de 25% par an en moyenne. Le fils du Sphinx promet entre autres de « vaincre la faim ».  Ce programme de gouvernance, dont on dit inspiré du projet de société de l’UDPS, prévoit également un paquet de réformes à l’effet de respecter les vertus de la démocratie ; renforcer les institutions de l’Etat et améliorer la gouvernance administrative ; rendre le pouvoir judiciaire indépendant du pouvoir exécutif et du législatif ; extirper la corruption, la concussion, l’ethnicisme, le tribalisme, le clientélisme ; et, toutes les dérives de gouvernance.

« Faites attention à vos prières, Dieu risque de vous exaucer », disait un homme sage. Pendant qu’il s’y attendait le moins, la nuit du 09 janvier 2019, Joseph Kabila drible Emmanuel Shadary et Martin Fayulu et laisse son fauteuil à Félix Tshisekedi. Le peuple, partagé, exulte. Il rêvait du changement. Peu importe lequel. Et puis, on parle là, du Fils du sphinx tout de même. Ainsi, le 24 janvier, il envahit le Palais de la nation pour être aux premières loges d’une prestation de serment historique et féérique. Certes, pendant qu’il s’étouffait dans son Gilet pare-balle, Félix Tshisekedi entend la foule lui rappeler les promesses de son père : « le peuple d’abord », une autre version du fameux « Etat de droit ». Dès lors, il était clair que ce président n’avait de privilège que de servir. Trop de promesses ont été faites. Les Congolais avaient attendu trop longtemps.

Trois ans après, Adam Bombole lira cet édito avec un sourire au coin des lèvres. Aux chiffres faramineux annoncés, à des réformes prétendues, Félix Tshisekedi est loin d’incarner ses prétentions. Au pire, c’est un véritable naufrage au  pouvoir.  D’abord sur le plan humain, le fils Tshisekedi n’hérite finalement pas de l’UDPS qu’avait son père. Au contraire, Félix Tshisekedi s’accompagne au pouvoir d’ancien « Mikilistes » qui l’ont fréquenté à Bruxelles. Martin Fayulu me corrigera :« qui l’ont fréquenté dans des bistrots de Bruxelles ». Peu importe, ces gens ne sont pas là pour instaurer un Etat de droit. Ils connaissent l’opulence et l’argent facile. Ils sont aux côtés de Félix Tshisekedi parce que c’est leur tour. Ils ont du bonheur à rattraper.  Une dette de vie à payer. Accompagné de ces bras cassés, Félix Tshisekedi se retrouve au cœur d’un capharnaüm dans son propre palais. Dès la première année, une lutte sans merci de pouvoir est provoquée. Vital Kamerhe y est entraîné. Le Fondé a tort de confondre cette lutte  pour un renouveau du Congo, pour une « refondation de l’Etat », comme l’avait promis le nouveau Président. Si 57 millions de dollars autour de l’affaire préfabriquée ont bel et bien disparu, Thierry Taymans et la Rawbank rembourseront 32 millions. Ne demandez pas par quel mécanisme. Vital Kamerhe est cloué par la plume du Fondé — qu’il me pardonne dès lors. Enfermé à Makala. Limete exulte et se met à rêver d’aller prendre son déjeuner au Fleuve Congo Hotel. L’Etat de droit est là.

La longue agonie du mythe

Tout à coup, les premiers couacs son là. Au Palais, Félix Tshisekedi prend un fusil à pompe, le pointe sur sa propre jambe et tire : il gracie Modeste Makabuza et autres, pourtant condamnés pour corruption. Il jette néanmoins la faute à Joseph Kabila et sa coalition. Nous sommes à la deuxième année du mandat. Cette année-là est proclamée « l’année de l’action ». Mais au final, même l’action est étonnée. Il y a de l’action bien sûr, mais dans le sens opposé. Les scandale s’enchainent. Bien souvent autour des grosses sommes d’argent. Les proches du président sont pris la main dans le sac. Mais n’iront pas en prison. Un peu comme le Chef de la nouvelle cellule anti-corruption, vidéo à l’appui. L’Etat de droit est malade. En phase terminale. Si certains vont être pris, à l’image d’Eteni Longondo, leur détention est une mise en scène macabre. Jules Alingete fait son show, mais il est à son tour déballé par Tony Mwaba. Les Congolais contemplent impuissamment le spectacle révoltant. La situation est tellement grave que le président lui-même l’aggrave.

A Goma, face à la caméra de la RTNC, Félix Tshisekedi ose prétendre que Vital Kamerhe, condamné pour corruption, serait « un monsieur sérieux ». En vérité, ce président n’est que trop sincère. Depuis le début de sa lutte pour la consolidation du pouvoir, la politique prend le dessus sur la raison. Toute une majorité achetée à coup de billets verts, dans une opération de corruption qui ferait passer Bernard Madoff pour un gendarme de Wall Street. Tshisekedi semble étourdi. Il tente de faire appel à une équipe de choc, celle des « Warriors ». Mais cette dernière a compris la réalité. Au lieu de tenter de changer les choses, chacun joue pour soi. Le Congo s’occupera de lui-même. Les louanges envers le président deviennent alors le principal ouvrage de chaque ministre qui quitte sa maison pour aller travailler. Ngobila et Mboso sont les meilleurs dans cette catégorie. Quand ils sont pris la main dans le sac, ils chantent. Ou encore, ils importent des « evunda » depuis la Côte d’Ivoire. Tous les moyens sont bons.

Alors oui ! L’Etat de droit n’est pas que la lutte anti-corruption. Il y a également les droits de l’homme. A son arrivée, Félix Tshisekedi a néanmoins entrepris de décrisper l’espace politique et de libérer la parole. Les « Talibans », ses fanatiques en quête de raison, seront bien d’accord avec cette partie. Néanmoins, Human Right Watch ne sera pas d’accord avec moi. Dans sa livraison du mois de mars 2022, l’Organisation note que  « L’état de siège dans l’est du pays est accompagné de répression ». L’opposante congolaise Ida Sawyer n’a que ses tweets pour pleurer. Elle qui a participé copieusement à la lutte anti-Kabila. Dans la capitale, on croirait que Joseph Kabila est toujours au pouvoir. Les mêmes outrages au Chef de l’Etat conduisent à la même prison de Makala. Des députés sont arrêtés sans respect d’aucune procédure pour avoir contredit le président ou sa famille politique. Je ne citerai aucun cas, ni celui de Jean-Jacques Mamba.

Ci-gisent les rêves de Tshisekedi

Mais l’Etat de droit n’est pas éternel. Malade, à l’agonie, elle finit par rendre l’âme. Deux faits l’achèvent : d’abord le discours du président de la République sur l’Etat de la nation. Face à la Nation, Félix Tshisekedi reconnaît la réalité. Aucun «Etat de droit » ne peut être possible sans une justice juste. « En dépit de certains progrès que je salue, je ne saurais rester indifférent, en ma qualité de Magistrat suprême, aux cris de détresse et de désolation des Congolaises et Congolais qui, chaque jour qui passe, réclament plus de garanties d’une bonne et saine administration de la justice », a-t-il indiqué. Pour le Chef de l’Etat, « notre justice devait pourtant rassurer tout le monde, nantis ou non, puissant comme faible, en ayant pour égard que la protection des droits. Bref, une justice qui, non seulement dit le droit, mais rassure que le droit, alors le bon, a été dit ».

Cependant, comme depuis le début de son mandat, le dire est toujours plus facile que le faire. Willy Bakonga, ancien ministre de l’Enseignement primaire, est le deuxième cas qui achève l’Etat de droit de Tshisekedi. L’ancien ministre a été condamné à trois ans de servitude pénale principale le 29 avril 2021, après avoir tenté de fuir le pays via Brazzaville. Il était par ailleurs visé dans un autre dossier pour corruption et détournement, pour lequel il était en fuite. Néanmoins, à la surprise générale, en novembre 2021, il bénéficie d’une… Grâce présidentielle ! Coup de Théâtre, face à la pression du public, la ministre de la Justice Rose Mutombo fait savoir que Bakonga devrait retourner en prison.  Mais voilà.  Le 15 mars 2022, soit trois mois après la sortie de Félix Tshisekedi à « mettre des hommes qu’il faut à la place qu’il faut » au sein de l’appareil judiciaire congolais, Willy Bakonga est au Palais du peuple, participant, comme député national, à la rentrée parlementaire.  Depuis l’arrivée des Belges au Congo, un cas pareil n’est jamais arrivé.

Bienvenue aux funérailles de l’Etat de droit prôné par Félix Tshisekedi. Des funérailles qui scellent par ailleurs la fin de l’Union pour la Démocratie et le Progrès. Ci-gît un mythe qui n’avait que trop de prétentions. Ci-gisent les rêvent des 13 Parlementaires. Depuis l’au-delà, Etienne Tshisekedi  et Frédéric Kibassa voient leurs progénitures orchestrer le RAM, une taxe qui déplume sans vergogne une population déjà à l’agonie. Quant à Marcel Lihau, l’autre fondateur de l’UDPS, son fils a le biftèque coincé dans la gorge. Il ne peut parler la bouche pleine. Quand il le peut, il fait une tournée de selfies dans les décombres de Bumba, le temps de contrer Martin Fayulu sur Twitter. La population de la Mongala vit pourtant dans une misère indescriptible. La priorité à Kinshasa est celle d’acheter des nouveaux 4×4 aux Sénateurs, après ceux de députés. Mes condoléances au Congo pour le décès inopiné du rêve d’Etienne Tshisekedi et ses 13 fameux parlementaires, porteurs pourtant d’un rêve qui était loin d’être impossible.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

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