Importer depuis Matadi, l’incroyable parcours du « dédouaneur »

« Le prix d’achat d’un véhicule à l’étranger est inférieur au coût de la douane!!!!! Une situation irréaliste vécue en RDC au port de Matadi. Or, la RDC ne fabrique même pas des boulons. Bien sûr, personne ne va régler ce problème pourtant simple », s’écrie Litsani Choukran, le patron de POLITICO.CD, depuis son compte twitter. Nous sommes le 24 avril 2019. Le directeur général du Groupe Léopards vient de faire connaissance avec les services douaniers de Matadi. Le choc est remarquable. Pourtant, parmi des centaines de réactions à ce tweet, nul ne semble s’en étonner. Le mal douanier paraît plutôt être connu de tous en RDC. « Mais pourquoi diable, personne ne tente de le résoudre », s’interroge-t-on.  La recherche de cette réponse durera jusqu’à la publication de cette enquête qui nous amène un peu partout.

Beforward.com est une plateforme de vente de véhicules d’occasion en ligne, basée au Japon. La structure revendique fournir des clients de plus de « 200 pays en vendant une plus large gamme de produits, notamment des voitures d’occasion, des pièces automobiles, des machines lourdes, des produits électroniques et des biens de consommation ». Elle note, sur son site internet, plus de 2,5 millions de clients, avec plus de 166 745 unités en tant que volume d’exportation annuel pour le dernier exercice (2019).  En janvier 2019, Litsani Choukran tombe sur une Range Rover modèle Discovery année 2006 en promotion. Le véhicule coûte 6900 dollars américains.

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En sautant sur l’occasion, le vendeur lui envoie une facture de 9500 $US tous frais compris pour acheminer le véhicule au port de Matadi, sous douane. Le prix comprend alors celui du véhicule, du transport et assurance maritime.  Le véhicule est transporté dans un conteneur de 40 pieds. Mais pour minimiser les coûts, le vendeur expédie deux autres véhicules d’autres clients dans le même conteneur. Le transport est censé durer 45 jours. Mais le conteneur arrive endéans 30 jours au port de Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, avant de changer de bateau et de mettre cap vers Matadi, un trajet qui prend à lui seul 15 jours. « C’est parce qu’il n’y pas de port en eau profonde à Matadi. Les bateaux qui accostent à Pointe-Noire ne peuvent pas naviguer vers Matadi », explique le vendeur.

60 jours après, un message e-mail arrive finalement au « Fondé ». Le bateau vient d’accoster. Pas une surprise. « Beforward » a mis en place un système de suivi de cargaison qui renseigne,  à un jour près, la position du véhicule durant l’envoie. Le retard occasionné est « normal », expliquent ceux qui ont l’habitude. Le jackpot parfait croit savoir l’acheteur. Sans avoir mis le pied à Matadi, en faisant des calculs aussi simples que mathématiques, on arriverait à conclure que 36% de 9500 ne devrait donc tourmenter outre mesure. Mais bon, c’était avant de découvrir Matadi et sa douane.

Alain est douanier. Proche de la famille, il vit de « dédouanements » depuis plusieurs années. Il est basé à Matadi, dans le Kongo Central. A 40 ans, cet homme gentil prend son téléphone en cette matinée du 15 avril 2020 pour joindre son « beau-frère » à Kinshasa. Étrangement, Alain est informé de l’arrivée de la cargaison de Litsani Choukran avant même que ce dernier le sache. Et il en sait beaucoup plus que son propre propriétaire. « Beauf, je viens de voir qu’un véhicule est arrivé chez nous à ton nom. Je peux t’aider rapidement pour le dédouanement. Il suffit de m’envoyer le BL et je règle tout », dit-il.  Le « Bill Of Lading » ou Connaissement maritime, dit « BL » est un document de transport maritime. Il est la preuve du contrat passé entre le chargeur et le transporteur. C’est une pièce de justification, elle représente la marchandise. Il est le titre qui est remis par le transporteur maritime au chargeur (ou son représentant) en reconnaissance des marchandises que son navire va transporter. Sur ce document sont consignés la nature, le poids et les marques des marchandises embarquées. 

Heureux comme un enfant, Litsani Choukran envoie aussitôt une copie du document à son « beauf ». Et attend la suite. Il doit également envoyer une copie de sa carte d’identité et, bien sûr, une procuration. Il aura suffi de deux heures pour qu’Alain revienne avec des nouvelles. Une cotation douanière. Mais celle-ci est un électrochoc. La douane à elle seule vaudrait « 1.621 USD ». Quoi de plus normal. Cependant, c’est comme si tous les services étatiques étaient mobilisés pour toucher une pension auprès de M. Litsani. Tenez, OCC, FPI, OGEFREM, REDEVANCE INFO, ASSURANCE, INTERVENTION, PERDIEM, PHOTOCOPIE, QUARANTAINE, SEGUCE, FRAIS BANCAIRE, DGRAD, CHARGES LOCALES (KINSHASA) L/S, CAUTION, REPERE, CGO, FEUILLE DE ROUTE, FERI, CACHET, SEGUCE, DECHARGEMENT, CLES POSITIONNEMENT, la liste est longue. Le coût final se chiffre à 5700 dollars américains.

Une seule conclusion à l’idée : cet Alain est bel et bien un numéro. Alors il faut le mettre de côté. Rapidement, « Le Fondé » contacte les bureaux de BEFORWARD à Kinshasa pour une autre cotation. Assez gentiment, les services renvoient leurs estimations : les mêmes rubriques reviennent. Mais cette fois, le total est de 7600 USD. Un troisième douanier entre en scène. Gentiment également, celui-ci estime l’affaire à 9200 USD.  Dès lors, la seule voie du dédouanement par soi-même s’offre. Mais un coup de fil aux services douaniers officiels de Matadi va s’avérer fatal.

  • « Bonjour, vous cherchez qui ?» 
  • «J’ai un véhicule à dédouaner, comment le faire moi-même »
  • « Laissez-moi votre numéro quelqu’un va vous appeler »

Dix minutes après, Alain, le beauf, rappelle. « Beauf, je viens d’avoir ton numéro par un contact qui dit te connaître et qui me demande de t’aider pour dédouaner ton véhicule »

« Alain, je tentais de faire dédouaner moi-même, est-il possible ? »

« Oui c’est possible, mais ça va vous couter plus cher »

« Ah bon »

« Attendez, je vais demander une cotation officielle pour vous ».

Mais la cotation officielle n’arrive pas au bout de deux jours. Au premier jour, un problème d’électricité s’est entremêlé à celui de la connexion internet. Au deuxième jour, le monsieur qui était censé le faire était en pause, avant de partir à 14h, oubliant de communiquer la cotation. Au lendemain, c’est finalement une cotation chiffrée à 10200 dollars américains qui émerge. Alain, le Bauf, finira par dédouaner le véhicule pour 5000 USD, avec une remise de 700 USD. Mais alors, Alain est-il magicien ?  Que se passe-t-il vraiment à Matadi ?   Comment a-t-il fait ? Alain a pratiqué une bonne vieille technique à lire dans le prochain acte : Comment fraude-t-on la douane à Matadi.

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Les 5 actes à suivre dans cette série:

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4 comments
  1. Vraiment c est triste pour mon pays le congo. Moi je vous conseillerai d aller voir le ministre de finance voir le président en personne pour le faire voir ces genres des pratiques

  2. Du beau et bon boulot en tout cas! Le genre d’information dont nous avons besoin pour réveiller les gens et leur ouvrir les yeux sur ce qui se passe réellement dans notre pays. Encore une fois bravo!

  3. Très bon dossier, mais quand sera-t-il complété ? Cela fait plus de 10 jours qu’aucun autre article n’a été publié (alors qu’il semble en manquer 8…)

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