Lanceurs d’alerte ou escrocs: la vérité sur Gradi Koko et Navy Malela

Mars 2018. Gradi Koko, jeune congolais d’une trentaine d’années, débarque à l’aéroport international de Roissy-Charles-de-Gaulle à Paris, aux côtés de sa femme enceinte et leur petite fille, âgée de moins d’un an. Ils sont accueillis par des responsables d’ONG internationales, notamment Global Witness, rapporte une source proche de la famille. « Ils ont été pris en charge depuis Kinshasa, jusqu’à leur arrivée. Tout a été préparé, de l’aéroport à un appartement qui leur a été déjà réservé », explique notre source, qui a requis l’anonymat.   

Arrivés en France, alors qu’ils choisissent l’exil, cet auditeur en chef à AFRILAND First Bank et sa famille se retrouvent au chômage et doivent dépendre des aides des personnes qui les ont aidés à quitter le pays. Il est désormais, avec sa famille, obligé de trouver des nouveaux documents de séjour. Et la demande d’asile restera la seule solution. 

A ces problèmes qui s’opposent à lui, Gradi Koko trouve du réconfort auprès des deux ONG.  D’autant plus que, pour un demandeur d’asile, il suffira de prouver que l’on risque pour sa vie, une fois retourné au pays d’origine. Nous voilà au cœur d’une relation sulfureuse entre deux organisations de lutte contre la corruption en quête de scandale et un homme prêt à tout pour subvenir aux besoins de sa famille.

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Préméditation et exfiltrations

Gradi Koko. PH. DR.

Dans un témoignage à la presse, Gradi Koko affirme qu’il a eu vent des présumées « affaires » de Dan Gertler à la banque début 2018. Le 28 février 2018, il demande un arrêt maladie, qui devrait se prolonger jusqu’au 14 mars 2018. Début mars, il était déjà à Paris avec sa famille, femme et enfant ! « Il a planifié sa fuite. Il était déjà en contact avec des gens qui l’ont embauché, alors qu’il travaillait à la banque, pour voler des informations qui seront falsifiées plus tard », révèle une source à la banque congolaise. « Ces gens avaient déjà préparé son voyage et celui de sa famille. Rappelez-vous qu’en 2018, il y avait des problèmes de visa pour l’Europe avec la fermeture de la maison Schengen. Mais lui et sa famille ont eu des visas, en plus en express, et ont pu être exfiltrés du pays », ajoute cette source.

Embauché à Afriland First Bank le 18 Avril 2013, Gradi Koko était Chef de Mission Audit Interne jusqu’à sa figue en 2018.  Fort de sa position professionnelle, il « avait accès à l’ensemble des comptes clients de la Banque et aux systèmes informatiques, sans restriction », renseignent plusieurs sources à la banque congolaise. Et l’homme a bien planifié sa fuite. «  Monsieur KOKO LOBANGA Gradi n’a plus donné de ses nouvelles à la Banque qui, conformément à la législation, lui adressa par voie d’huissier une mise en demeure de reprendre son poste le 19 mars 2018 », expliquent les avocats d’Afriland dans un document consulté par POLITICO.CD.  Mais l’ex-employé était déjà arrivé en Europe.

Mars 2018, c’est le mois qui voit la tension grimper et atteindre son paroxysme en RDC. Joseph Kabila est en guerre ouverte tant avec l’opposition congolaise qu’avec la Communauté internationale, qui le soupçonnent alors de vouloir se maintenir au pouvoir.  Tous les coups sont donc permis. Des religieux prennent d’assaut les rues de la capitale pour manifester. Ils sont farouchement soutenus par la Communauté internationale et même les médias étrangers. En décembre 2017 déjà, des proches de l’ancien président sont tour à tour sanctionnés par le Département du trésor des États-Unis ou même l’Union Européenne. Dans leurs explications, ces structures accusent les proches de Kabila de faire obstacle à la tenue des élections démocratiques, prévues en 2016, mais qui ont été repoussées, faute d’argent.

C’est alors que les Etats-Unis vont cibler particulièrement un homme, présumé proche et puissant allié de Joseph Kabila, le riche homme d’affaires Dan Gertler. L’israélien, qui dispose d’un passeport congolais et qui affirme à qui veut l’entendre qu’il est « Congolais », voit le Département du Trésor américain lui infliger des sanctions. Le décret présidentiel ordonnant les sanctions a été signé par le président Donald Trump le 20 décembre 2017. Cette décision « bloque les propriétés de personnes impliquées dans de graves violations des droits de l’homme et de la corruption ». Outre la personne de Dan Gertler, 18 de ses sociétés sont visées par les sanctions. Il leur est alors interdit d’effectuer des transactions commerciales en dollars américains.

L’objectif affiché de l’Administration américaine est de viser les finances de Joseph Kabila, en soutien ouvert aux opposants congolais, dont l’ancien gouverneur du Katanga, qui vit à l’époque en exil et multiplie les voyages aux États-Unis pour plaider sa cause. Moïse Katumbi, très proche du Think Thank américain Atlantic Council, dirigé par un certain Peter J. Pham, veut à tout prix être candidat aux prochaines élections tant attendues. Ensemble, ils instiguent des officiels américains, mais également la presse internationale dans une guerre farouche contre Kabila.

Une guerre politique par ONG et médias interposés

Moïse Katumbi aux côtés de Peter J Pham à Atlantic Council
en 2018, Ph. DR,

C’est donc dans ce contexte d’affrontement que l’affaire en cours va prendre place. En Juillet 2019, le Congo n’a pas connu d’apocalypse tant annoncée et visiblement souhaitée à l’international. Le pays s’offre même sa toute première passation pacifique et démocratique du pouvoir. Mais Moïse Katumbi, largement soutenu aux Etats-Unis, n’a pas pu participer à la Présidentielle. De plus, Félix Tshisekedi, ancien opposant, s’allie à Joseph Kabila, dans une coalition au pouvoir que la Communauté internationale, les Etats-Unis en tête et les ONGs internationales, combattent désormais. Et alors que les Congolais attendent fermement l’arrivée du nouveau gouvernement d’union Kabila-Tshisekedi, ils vont être soumis à une vive campagne médiatique. De manière téléphonée, deux organisations internationales annoncent des révélations en pompe. Elles ciblent toutes Dan Getler et Joseph Kabila.

Réseaux sociaux, communiqués médiatiques, interventions d’activistes à Kinshasa. Aucun canal ne manquera d’être occupé. Pendant plusieurs jours, Global Witness et la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique  (PPlaff), vont chauffer la salle, pour finir par balancer, le 2 juillet, la bombe tant attendue. « Dan Gertler, le milliardaire controversé du secteur minier, aurait utilisé un réseau international présumé de blanchiment d’argent pour contourner les sanctions américaines et acquérir de nouveaux actifs miniers en RDC », affirment ces deux organisations spécialisées dans la lutte contre la corruption dans leur fameuse enquête. « Une nouvelle enquête, menée conjointement par Global Witness et la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF), dévoile des preuves indiquant que le magnat controversé du secteur minier Dan Gertler aurait utilisé un réseau international de blanchiment d’argent pour tenter de se soustraire aux sanctions américaines et continuer à mener des affaires en RDC », peut-on lire sur le site de Global Witness. Peu importe si ce rapport au conditionnel, ne confirme rien. La presse internationale et la grande machine médiatique sont lancées.

Dans leur rapport, Global Witness et PPLAF prétendent détenir des preuves que Dan Gertler aurait continué à utiliser les dollars américains dans ses transactions, violant donc les sanctions américaines. « L’analyse de PPLAAF et de Global Witness, basée sur des documents fournis par des lanceurs d’alerte malgré de grands risques pour leur sécurité personnelle, révèle un réseau complexe de sociétés écrans, de comptes bancaires secrets et de mandataires apparemment mis en place pour aider Gertler et ses complices« , a déclaré Gabriel Bourdon-Fattal, chargé de projet à PPLAAF. Toutefois, les preuves dont parlent Global Witness et PPLAFF viennent, en réalité, de leur homme qu’ils ont exfiltré depuis 2018, Gradi Koko. Au cœur de cette affaires, d’autres sources confirment que Gradi Koko a bel et bien été contacté par les deux organisations, alors qu’il était employé d’Afriland First Bank. « Nous en avions vaguement parlé. Il nous avait dit qu’il a une opportunité de quitter le pays et de s’installer en Europe. Mais nous ne savions pas que c’était comme ça », affirme un proche de la famille de Koko, joint par POLITICO.CD. Une version confirmée par un jugement que nous verrons plus tard dans cette affaire. 

Gradi Koko s’est donc installé en mars 2018 en Europe. Il débute sa collaboration avec les deux organisations pour la création du rapport qui sera publié en juillet 2019. Car s’il s’est exilé, il peut compter sur binôme, qui est, à cette époque, toujours employé de la banque. Navy Malela est contrôleur permanent à Afrilank First Bank. Les deux hommes admettent publiquement, dans une interview accordée à la presse internationale, qu’ils ont commencé à « travailler » ensemble dès début 2018. Dans les faits, après avoir réussi à se faire exfiltrer, Gradi Koko, en collaboration avec les deux ONG depuis l’Europe, va alors largement s’appuyer sur Navy Malela, qui va continuer à leur envoyer des informations volées.   Navy Malela Mawani est employé d’Afriland First Bank depuis 1er Novembre 2009.  Le 1er janvier 2016, il devient  « contrôleur permanent ». « Fort de sa position professionnelle, il avait également accès à l’ensemble des comptes clients de la Banque et aux systèmes informatiques, sans restriction », expliquent les avocats de la banque congolaise dans note consultée par POLITICO.CD.

La suite à lire dans l’acte 3 de notre enquête.

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