Gradi Koko et Navy Malela: les révélations

Lire la première partie ici.

Le 05 mars 2020, la banque Afriland First Bank constatait à peine le départ de son employé Navy Malela, qu’elle recevait le 12 mars 2020, un courrier de Global Witness et PPLAAF lui annonçant leur « intention de publier un rapport sur les comptes de ses clients et la manière dont ces derniers ont contourné les sanctions américaine (loi Global Magnitsky) ». « La Banque a fini par établir le lien étroit entre ses ex-employés partis, la disparition des fichiers informatiques des clients et ces organisations », expliquent ses avocats.

Plusieurs sources, dont le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa, attestent qu’en séjour « prolongé » à Kinshasa entre 2019 et 2020, Carina Tertsakian, présentée comme « responsable du programme RDC à Global Witness », se serait entretenue avec Navy Malela et plusieurs autres employés de la banque, afin de solliciter auprès d’eux des informations bancaires et fiscales de certaines sociétés ciblées en contrepartie d’un soutien financier, Bourses de recherches en Europe ou des rétributions financières directes aux agents de l’Etat (DGI, DGRAD, DGDA, Guichet Unique).

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« (…) le tribunal fait observer que les cités (Koko et Malela), jusqu’à la cessation de leurs fonctions suite à leur démission, ils étaient au service de la citante (Afriland Frist Bank) au grade d’auditeur et contrôleur, ont reçu de la part des ONGs PPLAAF et Global Witness des promesses à travers la Dame Carine Tertsakian, chercheuse et responsable de Global Witness qui s’est permise de rédiger un rapport sur la citante avec des données falsifiées, lesquelles données provenaient des dossiers qu’ils ont eu à consulter tous, deux jours avant leur démission », atteste le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa.

Au mois de février 2020, confirment des sources concordantes, Navy Malela sera exfiltré, comme son collègue, vers la France, avec l’aide des deux organisations. L’exfiltration de Malela aura également été préméditée. A des anciens collègues, dont l’un s’est confié à POLITICO.CD, le jeune homme avait plusieurs fois fait part de ses « projets d’immigrer en Europe avec sa famille ». « Je lui avais parlé au début de l’année, juste après le retour des vacances du nouvel an. Il m’a dit qu’il avait enfin l’opportunité de quitter le pays et s’installer à l’étranger avec sa famille. Je lui ai demandé pourquoi, alors qu’il avait un bon boulot ici ? Il m’a dit : ce pays n’a pas d’avenir. Je vais d’abord y envoyer ma famille, ensuite je verrai si je peux rester ici, mais je ne savais pas qu’il trafiquait des informations au profit des ONGs », explique un de ses anciens collègues qui a requis l’anonymat.

Aujourd’hui, à la question de savoir comment Malela et son ancien collègue Koko font pour vivre « sans travailler » en Europe, Malela aurait confié à un de ses proches qu’ils sont « totalement pris en charge par des gens de Global Witness ». « Nous sommes bien accueillis. Les gens de Global Witness prennent bien soins de nous. Nous avons juste quelque chose à faire pour eux, et tout ira bien. Ne vous inquiétez pas. Le temps de trouver de documents, tout irra bien », a dit Navy Malela, dans un message envoyé à un membre de sa famille, consulté par POLITICO.CD.

Les deux employés seront donc les artisans du rapport publié à coup de pompe à travers les médias. Toutefois, ce rapport motivé est incohérent. Dans un communiqué envoyé à POLITICO.CD le 04 juillet 2020, la banque congolaise Afriland First Bank annonce qu’une plainte a été déposée le 1er juillet 2020 auprès de Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris à l’encontre des Associations Global WITNESS et PPLAAF pour des faits de: Vol, Abus de confiance, Chantage, Corruption privée, Dénonciation calomnieuse, Recel, Violation du secret bancaire, Faux et usage de faux, Circonstances aggravantes de la bande organisée.

Par ailleurs, Afriland First Bank dit être victime depuis le mois de mars 2020 de harcèlement de la part de ces deux organisations qui l’ont « menacé très explicitement de publier des faits parfaitement diffamatoires et ont tenté d’obtenir d’elle des informations confidentielles et protégées par le secret bancaire » « La banque a pu constater et obtenir un certain nombre de documents laissant à penser que des fichiers lui appartenant avaient été volés par d’anciens salariés. Au regard des affirmations écrites péremptoires et mensongères de ces deux associations à destination de Afriland First Bank CD et d’autres personnes visées par leurs manœuvres, la Banque a pu constater la manipulation desdits fichiers dans la mesure où les affirmations de Global Witness et PPLAAF se trouvent contredites par des éléments de preuves irréfutables, communiqués au Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris », fait remarquer ce communiqué.

La levée des sanctions contre Gertler au centre de cette nouvelle bataille

En outre, Afriland First Bank note que cette « contradiction » observée dans ce rapport, où ces deux ONGs affirment ne pas pouvoir prouver de façon irréfutable leurs accusations, qui ne sont pas du reste, une infraction criminelle. « Par sa plainte, Afriland First Bank CD entend par conséquent qu’une enquête judiciaire soit menée, avec toutes les garanties de transparence et d’équilibre dans la recherche de la preuve, et que de telles pratiques, si elles s’en trouvent confirmées, puissent être sévèrement réprimées », explique la banque.

Dans ce rapport consulté par la rédaction de POLITICO.CD, les deux organisations ont néanmoins pris la nécessité de préciser que leurs accusations proviennent exclusivement d’anciens employés de la banque. Toutefois, de son côté, Afriland First Bank dit disposer également de documents troublants, attestant de pratiques « tout à fait singulières dans la recherche de preuves à travers l’expression de menaces explicites envers des tiers, propositions financières à des agents privés, manipulations de témoignages et chantage à la publication dans des organes de presse à diffusion internationale. » Selon Afriland First Bank, c’est au lendemain de son dépôt de plainte, que les deux associations ont mis leurs menaces à exécution par la publication d’un rapport extrêmement orienté dans le but de nuire. « Afriland First Bank CD en conteste évidement le contenu et se réserve la possibilité de réclamer réparation du préjudice causé devant toutes les juridictions compétentes », insiste ce communiqué.

Le premier round s’arrête là. Un autre commence. Car la donne change. Aux Etats-Unis, l’Administration Trump prend une décision qui va relancer la guerre entre Dan Gertler et les ONGs. Le 24 janvier 2021, dans un document intitulé « GLOBAL MAGNITSKY SANCTIONS REGULATIONS LICENSE et numéroté GLOMAG-2021-37168-1 », signé par la responsable numéro 1 de l’OFAC, Dan Gertler et toutes ses entreprises sont désormais autorisés à faire des transactions en dollars américains dans le respect strict des conditions émises par l’OFAC et dans une conduite de bonne gouvernance obligatoire. L’OFAC, qui est une des organisations les plus importantes dans la régulation des transactions mondiales en monnaie américaine a, sur base de plusieurs éléments importants en sa possession, autorisé, par une licence officielle, Dan Gertler de recouvrer le chemin des transactions financières normales.

4 heures après avoir reçu l’aval du Département du Trésor Américain lui permettant de pouvoir reprendre ses transactions en dollars américains, Dan Gertler annonce dans un communiqué qu’il adoptera des nouvelles lignes de conduites mettant en œuvre des politiques et mesures strictes afin de lutter contre la corruption dans ses activités partout dans le monde. « Avant de nous engager dans des activités précédemment interdites par ce régime de sanctions, nous adopterons et mettrons en œuvre les politiques et les mesures les plus strictes de lutte contre la corruption dans toutes nos activités mondiales», a déclaré le philanthrope israélien. Le communiqué explique dans la pratique ce qu’il va se passer. « Nous renforçons et améliorons notre programme de conformité – y compris le programme de conformité aux sanctions et les mesures de lutte contre la corruption – dans toutes nos opérations mondiales. Nous nous engageons à ce que notre programme de conformité réponde aux critères les plus stricts fixés par l’OFAC et les autorités du Royaume-Uni, de la RDC et d’Israël, et à ce que ce programme soit supervisé par un cabinet juridique mondial indépendant de premier plan ».

Par ailleurs, Dan Gertler s’engage à faire de la transparence et la responsabilité les véritables fondements des opérations et promet à cet effet, de travailler en relation étroite avec les institutions chargées de faire respecter la loi, la société civile et les organisations internationales pour garantir cela. “En tant que personnes privées et sociétés privées, nous avons toujours mené nos activités de manière discrète, sans jamais chercher à être exposés ou à faire de la publicité. Cependant, dorénavant, la transparence et la responsabilité seront les fondements de notre activité, et nous travaillerons main dans la main avec toutes institutions chargées de faire respecter la loi, la société civile et les organisations internationales pour garantir cela», a soutenu Dan Gertler.

https://twitter.com/politicocd/status/1346278221449453574

Dan Gertler lance même une initiative qui va être saluée en RDC. « YaBiso » (« c’est à nous » en lingala) est destinée à permettre aux citoyens congolais de prendre part aux bénéfices de l’activité minière dans leur pays. Il s’agit par ailleurs d’un projet qu’il a longtemps porté à cœur. Durant deux mois, l’homme d’affaires et ses équipes ont créé une société de droit congolais et ont ensuite transféré 30 % des droits à percevoir des royalties de la mine de cuivre et cobalt de Metalkol, repris à la Gécamines pour 83 millions de dollars en 2017. Dan Gertler propose aux citoyens congolais – seulement aux personnes physiques, pas aux entreprises – de prendre des parts dans cette société – de 50 à 10 000 euros par individu -, dont tout ou partie pourra être financée par un prêt à taux zéro de YaBiso, avec « une période de grâce de cinq ans » sur les remboursements.

L’offre est tout de suite saluée par la société civile congolaise. Dans un communiqué publié mercredi 6 janvier 2021, l’Association congolaise pour l’Accès à la justice ( ACAJ) recommande au gouvernement d’accompagner le projet ”YaBiso“. Le document précise que l’intention dévoilée de YaBiso permet d’entreprendre autrement, en encourageant l’esprit collaboratif, en redistribuant les richesses minières aux fins d’agir in fine pour le bien commun.

Gradi Koko et Navy Malela apparaissent en public, mais condamnés à la peine capitale

Les nouvelles dispositions prises par Gertler ne suffisent pas à calmer les ONGs, qui déchantent après la levée partielle des sanctions contre l’Israëlien. Une vive campagne est à nouveau lancée sur les médias internationaux. Mais à Kinshasa, Afriland First Bank n’avait pas encore terminé avec ses deux ex-employés. Selon les avocats de la banque, après départ en exil, plusieurs clients ont été victimes des retraits frauduleux. « Il a été aussi établi à l’issue d’une enquête interne que Monsieur Malela Mawani Navy, en complicité avec des tiers, consultait les comptes des clients ciblés et organisait les retraits frauduleux sur base des fausses cartes d’identités », révèlent les avocats d’Afriland Bank.

La banque va finir par porter plainte devant le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa en août 2020. Le tribunal présidé par le Magistrat Tshiswaka Kolomyi a rendu un jugement sans appel. D’autant plus les deux présumés lanceurs d’alerte ont pris la poudre d’escampette. Dans ce jugement parvenu exclusivement à POLITICO.CD, le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa condamne les deux présumés lanceurs d’alerte pour vol, faux et usage de faux, association de malfaiteurs.

« Dans le cas d’espèce, l’instruction de la présente cause a révélé que le rapport des sanctions mine de rien, publié par Global Witness et l’ONG PPLAAF, a été les cités Malela Mawani Navy et Koko Lobanga Gradi, après avoir modifié et falsifié les extraits de comptes des clients de la Banque AFRILAND FIRST BANK sa cd, la citante, actuellement victime des chantages sur base des documents bancaires remis aux tiers», dit ce document. « Le Tribunal fait observer les contenus du rapport« des sanctions mine de rien» publié par Global Witness et l’ONG PPLAAF de la 22ème à la 36eme pages contiennent des mentions fausses; Dans l’agir des deux cités apparait l’intention frauduleuse en ce que les mails professionnels ont été transférés sur leurs mails privés pour être récupérés et transférés ultérieurement aux auteurs du rapport précité », ajoute document.

EXCLUSIF/ Jugement condamnant Gradi Koko Lobanga et Navy Malela à la peine capitale par POLITICO.CD on Scribd

La justice congolaise va plus loin, en condamnant les deux accusés à la peine capitale, dans l’infraction d’association de malfaiteurs. « En effet, l’existence et l’organisation de la bande est sans équivoque dans la mesure où, les deux cités, pour avoir occupé durant longtemps les postes importants. Dans la même direction au sein de la Banque comme chef de Mission Audit interne et contrôleur de façon permanente durant plus d’un an, se sont organisés en co-activité de consulter plusieurs fois chacun en ce qui le concerne, les comptes des grands clients de la banque jusqu’à voler les données qu’ils s’envoyaient dans leurs adresses e-mail privées pour des raisons non justifiées par leurs fonctions alors qu’ils avaient des emails professionnels », estime la décision judiciaire.

Gradi Koko Lobanga et Navy Malela vont pour autant réunir la presse, comme pour riposter. Les deux hommes, qui sont présentés comme des « lanceurs d’alerte », ont réitéré les mêmes accusations contenues dans le rapport de Global Witness et PPLAF. « J’ai fait profil bas. C’est après un moment que j’ai commencé à extraire des données dans le système. J’ai continué à enquêter, à faire tous les constats possibles par rapport aux opérations qui se passaient et certains comptes ont continué d’être ouverts», va avouer Navy Malela dans une interview avec RFI. La Radio France, et même des médias internationaux comme Haaretz vont jusqu’à affirmer que la condamnation de deux ex-employés d’Afriland First Bank était fausse.

De passage à Kinshasa, l’avocat Eric Moutet, d’Afriland Frist Bank a accordé une interview exclusive à POLTIICO.CD pour expliquer la situation. Il annonce une nouvelle plainte contre les deux ONGs, qu’il estime détenir les deux ex-employés « en otage ». “Le harcèlement reprend. Il reprend de manière extrêmement violente avec des accusations de plus en plus graves et surréalistes. Au regard de cette nouvelle agression qui a été imaginée par ces ONGs, nous avons décidé de les citer directement devant le Tribunal de Kinshasa sur des faits de recel. Dans ce qu’elles nous ont écrit il y a quelques jours, le lien est désormais assumé, c’est-à-dire, elles ne se cachent même plus du fait d’avoir soutenu ces deux faussaires et d’avoir récupéré la documentation de la banque et l’avoir publié. À partir du moment où elles s’assument dans le cadre des attaques médiatiques, nous allons leur demander maintenant de s’assumer devant les juges que nous avons saisis”.

En outre, ce que Me Éric Moutet et Me Coco Mbayo reprochent à ces deux lanceurs d’alerte, c’est d’user de la corruption pour combattre la corruption, un procédé que ces derniers jugent pervers. D’ailleurs, ces deux avocats ont également révélé détenir à ce jour des preuves des méthodes de corruption utilisées par l’une des ONGs pour tenter d’obtenir auprès de certaines organisations congolaises non pas seulement les informations liées à sa cliente, mais aussi celles liées aux institutions du pays afin de les mettre sur la place publique. “Nous connaissons le mode opératoire de PPLAAF et Global Witness. Ces deux ONGs cherchent des lanceurs d’alerte autant qu’elles sont elles-mêmes des lanceurs d’intention. Dans leur rapport, il y a un client essentiel de la banque qui a été épinglé, mais maintenant que les sanctions américaines qui ont été prises contre lui sont levées, elles semblent s’inscrire dans une sorte de guerre pour attaquer la banque avec des informations fausses. Mais nous sommes là pour défendre la banque”, ont-ils précisé.

L’histoire fait parler à Kinshasa. D’autant plus qu’elle soulève des questions sérieuses autour de la protection du secret bancaire, mais également autour même du statut de « lanceur d’alerte.» Par définition, un lanceur d’alerte est toute personne, groupe ou institution qui, ayant connaissance d’un danger, d’un risque ou d’un scandale, adresse un signal d’alarme en espérant enclencher un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation collective. À l’inverse des délateurs et des instrumentalistes, les lanceurs d’alerte cherchent à défendre l’intérêt public en résistant par une transparence radicale (révélations sans filtre) et en “agissant de bonne foi, de manière désintéressée, sans aucun mobile personnel”, indique un certain William Bourdon, avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit pénal des affaires et droit des médias.

Dans cette histoire, nous avons deux employés de banque, qui sont incités par des organisations, dont la PPLAFF, dirigée par le même William Bourdon, afin de voler et trafiquer des informations de leurs clients, moyennant des gratifications, dont le départ pour l’Europe avec leurs familles, femmes et enfants compris. Une situation qui s’écarte loin de la démarche initiale qui veut qu’un lanceur d’alerte agisse « de bonne foi, de manière désintéressée ». D’autant plus que certains deviennent après des professionnels de l’alerte, courant derrière des informations, dans le but de les « vendre » aux médias et organisations internationale. L’avocat Coco Mbayo, qui signale que la notion du lanceur d’alerte n’est pas reconnue en RDC, regrette cette situation.

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