Comment Félix Tshisekedi a fait plier Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi

Le samedi 16 janvier 2021, le député Muhindo Nzangi de la coalition Lamuka de Moïse Katumbi a ouvert le feu en annonçant, du bout des lèvres, le départ de sa formation de l’Union sacrée décrétée par le président Félix Tshisekedi. L’ancien gouverneur du Katanga et l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba, étaient jusque-là les piliers de cette nouvelle alliance.

« Dans les conditions actuelles, nous ne serons pas dans l’Union sacrée. Nous avons reçu un message clair de nos amis du CACH que nous avons fait le travail. Ils ont déjà obtenu la majorité parlementaire avec les députés du FCC qui les rejoignent. Le nombre de députés du FCC est déjà suffisant. Nous devons laisser le Chef de l’État conduire seul comme il sera le seul comptable en 2023 », révèle l’élu de Lubero.

Une guerre des postes

La sortie de Nzangi intervient après une énième rencontre entre le président Tshisekedi et ses deux alliés. Celle-ci ne s’est pas bien déroulée. En effet, le jeudi 14 janvier à Kinshasa, Jean-Pierre et Moïse Katumbi ont rencontré le Chef de l’Etat pour discuter notamment autour du partage des postes « Moïse Katumbi veut que la présidence du Bureau de l’Assemblée nationale revienne à sa coalition. De son côté, Jean-Pierre Bemba veut être nommé Premier ministre. Mais le Président leur a dit qu’il avait déjà fait ses choix pour les deux postes », explique un conseiller du président qui a requis l’anonymat.

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Mais Félix Tshisekedi n’a pas accédé à cette demande. Le Chef de l’Etat, expliquent plusieurs sources, leur aurait fait savoir qu’il souhaiterait bien garder Modeste Bahati comme Premier ministre, « ou confier le poste à l’aile du FCC qui vient de rejoindre l’Union sacrée ».

Par ailleurs, pour l’Assemblée nationale, le président songe à Jean-Pierre Lihau, fils du Professeur Marcel Lihau, un des trois fondateurs de l’UDPS aux côtés d’Etienne Tshisekedi. Lihau est également un ancien de la coalition de Joseph Kabila. Et de surcroît élu sous la bannière du PPRD.  Une situation qui a donc provoqué des remous. À la sortie de Muhindo Nzangi, des proches du président ont systématiquement attaqué Bemba et Katumbi sur les réseaux sociaux.

Mais dans les coulisses, le président congolais avait concocté un plan. Félix Tshisekedi, n’entendait pas faciliter la tâche à ses futurs adversaires. Car en visant l’Assemblée nationale, Moïse Katumbi cherche surtout à superviser la révision constitutionnelle autour des prochaines élections de 2023. Le gouverneur honoraire du Katanga était le grand absent de la présidentielle de 2018. Joseph Kabila et son régime ont tout fait pour l’en exclure, prétextant notamment qu’il n’avait pas de nationalité congolaise d’origine. Katumbi a pendant longtemps été proche de Félix Tshisekedi, ayant notamment formé la coalition du Rassemblement en 2016 aux côtés d’Etienne Tshisekedi, le père de l’actuel président.

A l’élection de Félix Tshisekedi en décembre 2018, Katumbi a réussi à récupérer son passeport congolais et s’est même offert une rentrée triomphale au pays après son exil de trois ans. Il semble entretenir depuis une position adoucie vis-à-vis de Félix Tshisekedi. Autour de l’Union sacrée, l’ancien gouverneur du Katanga, espère surtout « contrôler » le futur cycle électoral. En vue de la présidentielle prévue en 2023, « Moïse Katumbi et sa coalition, la première force d’opposition dans les deux chambres du Parlement, pourraient avoir un regard pointu sur la préparation des futures élections, à commencer par la désignation des membres de la Commission électorale, qui n’est toujours pas en place. Katumbi n’a aucun intérêt à assumer un quelconque bilan actuellement. Sachant que si des élections étaient convoquées, il sera ipso-facto candidat. Mais il pourrait envoyer ses cadres au Gouvernement pour contrôler le processus d’organisation des élections et donc s’assurer que rien ne soit fait contre sa future candidature », expliquait une source proche du camp Kabila à POLITICO.CD.

Tshisekedi contre-attaque et fait plier ses deux alliés

De son côté, Jean-Pierre pourrait constituer un vrai casse-tête à la Primature. L’ancien vice-président est inéligible à la présidence en RDC, après avoir été condamné pour « subornation des témoins » par la Cour Pénale Internationale (CPI). Cette condamnation a été assimilée par le régime de Joseph Kabila à une condamnation pour « corruption », le privant donc de la présidentielle de 2018. Mais Bemba pourrait bien rêver d’une modification de la loi électorale à ce sujet, alors que la nouvelle Union sacrée pourrait avoir une majorité. Par ailleurs, longtemps sur le banc de touche, durant son emprisonnement de 10 ans à la Haye par la CPI, le président du Mouvement de Libération du Congo (MLC) espère bien reprendre les affaires.

Pour museler ses deux adversaires-alliés, Félix Tshisekedi a recouru à la méthode qui a fonctionné contre Joseph Kabila. Alors que Muhindo Nzangi et d’autres lieutenants de Moïse Katumbi haussaient le ton, ceux du Chef de l’Etat ont mis en place une véritable machine de débauchage. Rapidement, des députés de la coalition Ensemble sont démarchés pour intégrer l’Union sacrée. « Nous avons réussi à obtenir l’accord de plus de la moitié d’entre eux. Au moins 40 députés de Katumbi avaient décidé de rejoindre le Chef de l’Etat », se vante un proche de Félix Tshisekedi.  Par ailleurs, d’autres lieutenants de Félix Tshisekedi font parvenir des menaces à l’endroit de Moïse Katumbi. « En effet, il y a eu des menaces comme quoi, si nous continuons à refuser d’intégrer l’Union sacrée, il y aura des poursuites contre le chairman ou même son retour en exil. Mais c’est parfois des gens trop zelés, rien de concret », admet un député proche de l’ancien gouverneur du Katanga à POLITICO.CD.

Ces deux manœuvres combinées ont finalement calmé les ardeurs de deux alliés du président. Le 21 janvier, après des hésitations, la coalition de Moïse Katumbi, Ensemble pour la République et le Mouvement de Libération du Congo (MLC) ont finalement levé l’option de signer la motion de censure contre le gouvernement du Premier ministre Syvestre Ilunkamba.

Tous les députés d’Ensemble pour la République et ceux du MLC sont en train de signer en ce moment même la motion contre le premier ministre Sylvestre Ilunkamba“, rapporte un proche de Moïse Katumbi à POLITICO.CD. Ce haut cadre de la coalition de l’ancien gouverneur du Katanga explique cependant que cette signature ne “signifie pas une quelconque adhésion à l’Union Sacrée”. “Notre signature s’inscrit dans la logique de poursuite du déboulonnement du système de Kabila qui a été déjà initié, notamment avec le Bureau Mabunda“, dit cette source à POLITICO.CD. “Ensuite, nous attendons maintenant mettre les choses au clair sur l’Union sacrée, notamment autour de leur cahier des charges et ses responsabilités, de manière claire”, ajoute-t-elle.

Mais les jeux étaient déjà joués. Deux jours plus tard, la coalition de Katumbi et celle de Bemba signent finalement leur adhésion à l’Union sacrée. Selon des sources concordantes, les deux n’ont pas eu ce qu’elles réclamaient au président Tshisekedi, à savoir la présidence de l’Assemble nationale pour Moïse Katumbi, et la Primature pour Jean-Pierre Bemba. A la place, la coalition du Chef de l’Etat a accepté de retirer la candidature de Jean-Pierre Lihahu à la Présidence de l’Assemblée nationale. Mais là encore, Félix Tshisekedi a maintenu Christoph Mboso Nkodia, qui lui est farouchement acquis.  Il ne reste plus que la composition du gouvernement pour les deux alliés du président. Mais une chose est sure, Félix Tshisekedi remporte une énième victoire face à ses adversaires politiques.

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