RDC: Comment Vital Kamerhe prépare son procès en appel

Le 24 juillet 2020 à Kinshasa, Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, joue son avenir dans un procès en appel, après avoir été initialement condamné à 20 ans de travaux forcés. Depuis la prison de Makala, le président de l’UNC prépare calmement son rendez-vous avec l’histoire, alors que le contexte a totalement changé. Récit d’une rencontre fort instructive.

Le mardi 21 juillet 2020, un véhicule se gare au croisement des avenues de Libération (ex-24 Novembre) et Kimbondo. Nous sommes à l’arrêt Moulaert, dans la très célèbre commune de Bandalungwa à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. Le chauffeur me fait signe de la main : « Suivez-nous ». Le cap est mis droit devant. Mais le téléphone vibre. Alors, avant d’appuyer sur le champignon, j’y jette un oeil. Une photo s’extirpe brutalement de la messagerie Whatsapp, accompagnée d’une légende choc. « Vital Kamerhe est gravement malade à Makala ». On voit le directeur de cabinet du président Tshisekedi – qui l’est toujours malgré sa condamnation – visiblement essoufflé, aux côtés de sa gracieuse épouse Hamida Chatur. Les deux sont dans une ambulance. L’homme y reçoit visiblement une perfusion. L’étonnement est total. Pour autant, Sele Yemba, mon guide, reste imperturbable. « Il n’y a rien » me dit-il. Mais, je n’en crois pas.  Les UNC et moi, sommes loin d’avoir une relation de foi.

La conduite devant nous rappelle que nous sommes à Kinshasa. Des chauffeurs qui feraient passer Hamilton Lewis pour un débutant. Ils se faufilent, accélèrent et s’arrêtent brusquement. Bienvenue à Bumbu, la commune qui délimite Bandalungwa de la pauvreté. Et justement, entre les deux, une prison scelle l’union des deux mondes. Tiens, c’est la célèbre prison centrale de Makala. Son mur blanchâtre vieillit face à des plantations de légumes de fortune, cultivées le long de cette longue avenue qui se libère jusqu’au centre-ville de Kinshasa.

Des militaires gardent bien la barrière. Mais leur santé de fer et leurs regards insistants vous rappellent qu’ici, le dollar est roi. Un autre s’endort depuis une guérite surélevée. À côté, un saut d’eau tente de faire peur au Coronavirus. Un jeune homme tient la solution de savon liquide. Vous êtes sélectivement obligé de vous laver les mains et n’aurez que vos jeans pour vous essuyer.

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Tiens. Un jeton. Yemba m’explique : « Nous allons entrer, il nous attend. Il a beaucoup d’autres personnes à recevoir ». Aux autres, une étrange ribambelle des délégations, le jeune Conseiller du président Félix Tshisekedi explique qu’ils finiront par être reçus par le « Mwalimu ». En fait, on s’y perd. Un prisonnier qui a tant de visiteurs. Et, tous, ressemblent à des pèlerins sur le point d’avoir un tête-à-tête avec le Pape. Nous passons alors la première barrière, avec des airs des privilégiés. Les téléphones sont saisis tout à coup. Les cartes d’identité sont déposées. Et aucune autre forme de procès ne saurait les libérer.

Un hangar. Des regards sont braqués sur nous. Gardiens et toute sorte de personnes qui semblent habituées à y être. À leurs côtés, des familles des prisonniers. Ils attendent. Alors qu’un haut-parleur crie les noms de ceux qui vont entrer. Une répétition du jugement dernier. Mais, nous autres, sommes rapidement envoyés vers le dernier verrou. Un portail en fer, peint en couleur bleue. Des cartes sur la table. Derrière nous, des Conteneurs de maisons préfabriquées, à peine déployés dans une tentative de créer un anti-chambre pour des éventuels cas de COVID-19 dans la prison. « Mais, le plan financé par l’ONU, n’a pas marché« , expliquera le gardien. Ils sont vides, les conteneurs, qui regardent l’un des lieux les plus célèbres de la prison de Makala : le tribunal, là où se tiennent les audiences foraines.  Là où Vital Kamerhe a défendu son destin il y a un mois, jour pour jour.  Le gardien nous fait signe. Nous voilà munis des cartes qu’il ne faut pas perdre. « Sinon vous restez ici », ricane-t-il.

Le procès en appel de tous les enjeux : tout a changé

Vital Kamerhe et Sele Yemba à droite de l’écran, au premier plan. PH. DR.

En franchissant le portail bleu, juste à droite, un long couloir mène vers des bureaux. D’abord, celui du Directeur de la prison. Mais, il est fermé. Un autre espace, celui des prières, est également fermé. Mon hôte est à l’intérieur, en train de prier. A midi trente.  Des chaises sont installées le long du couloir. Une longue file de visiteurs. Mais, ils ne sont pas tous là pour Vital Kamerhe : qu’on l’appelle « Directeur de cabinet » ou « Excellence », le président de l’UNC ne jouit visiblement pas d’un statut spécial à Makala. Certains visiteurs sont là pour la star du fond du couloir, qui sort aussitôt.

Pascal Mukuna regarde la liberté via des claustras de ce couloir où la distance est difficile à garder. C’est en fait l’endroit où des prisonniers sont autorisés à prendre « de l’air ». Le pasteur à scandales psalmodie en Tshiluba. Il a l’air heureux. Son affaire judiciaire a connu un rebondissement où il est, étrangement, dirigé vers un Tribunal de paix, plutôt que le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa – Kalamu. Il ne risque plus une peine sévère. Une magie de la République des juges. La toute splendeur de l’Etat de droit de Tshisekedi. Une autre affaire. Mukuna est chanceux. Bien plus chanceux que Vital Kamerhe.

« Mwalimu va nous recevoir. Il est en train de prier », me lance Sele Yemba. Je prends place sur une des chaises du couloir. Mais je ne serai pas reçu dans la petite pièce des prières à côté. Un homme vient vers moi. Jeans bleu, chemise des prisonniers avec des boutons ouverts. Vital Kamerhe tient à ses symboles qu’il incarne désormais. Il porte le même chapelet catholique que durant son très médiatique procès. « Choukran ! » s’exclame-t-il en me voyant. Notre dernière rencontre date du 24 janvier 2019. « Je suis très honoré de ta visite cher ami », me dit-il. Mais, comment serait-on ami d’un si immense homme, qui surprend déjà.

La prison n’a pas visiblement changé Kamerhe.  Il est toujours pressé, brillant, il pense toujours au Congo. Aussi, refuse-t-il catégoriquement d’aborder les questions liées à son procès. « J’aimerais d’abord vous féliciter pour votre travail et votre professionnalisme. Je sais que, même des membres de notre famille politique, ont été lésés par vos écrits. Mais, moi, je les ai toujours trouvés professionnels. Et je leur ai toujours dit qu’il faut plutôt vous apporter des détails. Car, sans eux, vous n’aurez jamais une version réelle des faits », dit-il. Nous sommes assis côte à côte, avec nos masques bien en place. VK affirme, pour la seule fois au sujet de son procès, qu’il est « prêt ». « Quoi qu’il arrive, Dieu seul est aux commandes. Mon innocence et la justice finiront par triompher. Nous espérons que ce procès en appel va donner lieu à un vrai débat de justice et permettra à nos populations de mieux comprendre ce dont on m’accuse. Les choses ont évolué et cela se saura », dit-il.

Oui, les choses ont changé ! Un mois après sa condamnation, Vital Kamerhe a fait appel et sera jugé le 24 juillet 2020. Pendant ce temps, la coalition au pouvoir entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila ne cesse pas de vaciller. D’un côté, le PPRD, le parti de Kabila, a admis publiquement qu’il a été à la base du procès de Kamerhe. De l’autre, l’homme, qui s’est vanté d’une telle réalité, Célestin Tunda ya Kasende, n’est plus vice-Premier ministre et ministre de la Justice. Il a été forcé à la démission par le président Tshisekedi.  À ce revirement spectaculaire, il faudra noter également les étranges promotions, par le Chef de l’État congolais, de ceux qui ont poursuivi Vital Kamerhe durant le premier procès. Dieudonné Kaluba Dibwa, l’avocat de la partie civile qui a traqué Kamerhe, a été promu juge à la Cour constitutionnelle. Pierrot Bankenge Mvita, juge-président du Tribunal qui l’a condamné, est, quant à lui promu président du Tribunal de grande instance de la Gombe.

Sur le plan judiciaire, la donne pourrait également changer. Si le premier procès a surtout été expéditif, le deuxième pourrait rouvrir les débats de la fameuse « justice juste » tant recherchée, afin de se focaliser, notamment, sur les rôles des autres acteurs qui n’ont pas été entendus. Il y a, notamment, Thierry Taeymans, l’ancien directeur de la Rawbank qui a été arrêté, avant d’être libéré sous caution et disparaître des radars des poursuites. Le banquier belge a même pu quitter Kinshasa en plein confinement en juin 2020, alors que toutes les frontières du pays étaient fermées.  Les fils Jammal ou même Daniel Shangalume, alias Massaro, auront également une nouvelle partie à jouer. Le Tribunal devra également analyser plus calmement les multiples exceptions soulevées par les avocats des accusés. Car outre Kamerhe, Jammel Samih et Jeannot Muhima ont milité pour dénoncer un procès politique.

« Ma préoccupation est celle du peuple congolais dans son ensemble et même de la communauté internationale est la démonstration pièce contre pièces pour que la vérité éclate au grand jour, parce que celle-ci rime avec la justice, la vraie justice, pour un véritable Etat de droit tant recherché », explique à ce sujet Vital Kamerhe, qui insiste cependant sur le fait qu’il ne pourra pas, durant nos échanges aborder le fond de ce dossier.

« Nous allons vers une déflagration »

Vital Kamerhe et son épouse Hamida Chatur à la prison centrale de Makala. PH. DR.

Mais, VK préfère se réserver au sujet de son procès en appel. S’il a accepté ma visite, il est surtout préoccupé par la situation du pays. « Nous allons vers une déflagration », répète-t-il. Le président de l’UNC estime que « les méfiances inutiles entre les différents camps risquent de faire exploser le pays ». « Nous oublions les priorités essentielles pour nous consacrer à des crises et à des querelles alors que, pendant ce temps, la COVID-19 continue de décimer y compris la population et, surtout, notre économie. Le peuple attend beaucoup de nous. Nos amis doivent se ressaisir et se surpasser », conseille-t-il. La passion revient. Ses yeux se mouillent. On sent l’émotion lorsqu’il évoque le Congo. Son Est natal, l’insécurité qui y règne et les problèmes qui gangrènent le Congo profond.

 « Je ne m’inquiète pas pour moi. Là où je suis, je remercie Dieu. C’est sa volonté. Cette situation m’a permis de me rapprocher de lui et de comprendre certaines réalités de nos populations. Mais, l’avenir de notre pays m’inquiète beaucoup. Il nous faut un sursaut pour nous en sortir », dit-il, avant d’être interrompu par un certain Benjamin Wenga, qui arpente le couloir pour prendre l’air.  Il sera suivi d’autres prisonniers. Ils passent, s’arrêtent et saluent respectueusement le « Direcab ». Les autres prisonniers lambdas aussi. Tout comme, également, tout un lot d’agents de sécurité qui passent, munis de leurs talkie-walkies, en quête de savoir les dessous de nos échanges.  « Heureusement que tu n’es pas une star de la télévision. Sinon, on aura nos photos sur les réseaux sociaux avec toutes sortes de commentaires », lance VK en ricanant.

Vital Kamerhe a quelques mots pour Félix Tshisekedi. « C’est un homme profondément bon, parfois trop bon même », dit-il au sujet du président congolais. « Le Chef de l’État est toujours de bonne foi.  Au point que certains, dans son entourage, ont tendance à en abuser, en lui apportant des fausses allégations et en voulant forcer sa main. Mais, dans notre classe politique, cette qualité doit être accompagnée d’un certain recul, surtout vis-à-vis des amis. Ces derniers ne font pas souvent la différence entre le Chef que vous êtes devenu et leur ami d’enfance que vous étiez », lance-t-il avec un air de regret.

Oui, il ne le dit pas. VK, bien qu’étant solide, a le regard fuyant, à la limite des larmes. Il ressemble à quelqu’un qui a mieux compris, qui veut se racheter. On le sent vibrer, tel un joueur de foot coincé sur le banc des remplaçants.  La prison n’est pas son lot. Il n’est pas dans son élément. Il s’inquiète sans cesse pour le pays, mais surtout, pour « son frère », le Président de la République. Mais, le temps parade et cette conversation informelle n’en finit pas. La longue file sous le hangar dehors s’impatiente. « Je dois les recevoir », me rappelle Kamerhe, qui suggère alors une autre rencontre. « Je tiens à te faciliter pour ta plume. Il faut que nous ayons plus de temps pour parler du Congo. Il faut écrire même un livre », dit-il.

J’en serais plus que ravi. Cependant, le 24 juillet s’approche, Vital Kamerhe va devoir batailler dur. Alors qu’il me promet une interview « en temps possible » sur les dessous de son affaire, nous apprenons que ses deux avocats, qui devaient venir de France, n’ont pas eu de visa. L’Ambassade de la RDC à Paris s’est trouvée une raison, amorçant déjà la bataille. Car, rien n’est fini.  VK va devoir se battre entre politique et justice pour se sauver, dans une affaire où il est loin d’avoir été le plus irréprochable. Mais, quand on voit la Cour de cassation être remaniée avant même le verdict de ce procès en appel, qui n’a même pas commencé, les Congolais peuvent déjà anticiper les mouvements politiques qui s’entrechoquent derrière cette affaire.

En entendant, nous avons terminé. Makala nous libère mais garde VK, qui continue sa journée normale, une longue route vers l’inconnue. Il a certes un mental d’acier. Une âme joyeuse et un cœur en béton. Il en aura besoin pour traverser la longue marche qu’il entame dans les abîmes du jeu politique congolais. Mais, comme William Ernest Henley, qu’un certain Nelson Mandela vénéra un jour, l’homme que j’ai rencontré à la prison centrale de Makala est bel et bien le maître de son destin, le Capitaine de son âme.  Bref, un autre Invictus.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

8 comments
  1. mais aujourd’hui en prison on a l’amour du congo et dehors on a l’amour des libanais pour les donnes se contracts comme parmi les congolais on trouve pas cette competence.je n’ai rien en avoir avec lui mais il est parmi les mechants du congo.que son repose en paix.

  2. CHOUKRAN la meilleure plume de notre république. Quel grand plaisir de vous lire mon frère. I’am so proud of you. Keep it up my brother. Well done.

  3. il parle du congo maintenant. En vous lisant, vous voulez comparer l’affaire Pasteur Mukuna et Kamerhé. Kamerhé a volé l’argent du peuple. il a commandé des médicaments périmés. Il ne’est pas Saint. c’est un criminel.

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