« Que tu sois un proche ou un membre de famille, si la justice t’attrape en train de voler, tu vas en prison ». Félix Tshisekedi a mangé du lion. Il est d’une éloquence digne de son défunt père Étienne Tshisekedi ; en ce dernier jour de la campagne électorale en décembre 2018. Le président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), candidat de la coalition du Cap pour le Changement (CACH), formée avec Vital Kamerhe, étale toute sa vision du changement et d’un Etat de droit sur une radio à Kinshasa. Ses partisans l’acclament. Y compris ses alliés. Et la suite le plébiscite. Le 24 janvier 2019, le voilà en train de prêter serment sur le toit du Palais de la nation à Kinshasa. Nouveau président, premier issu d’une inédite alternance à la tête du pays.
Mais le rêve était trop doux. Idéaliste même. Aussi, dès les premiers jours de la révolution, une course aux postes se déclare dans l’entourage du nouveau Président. Des amis de longue date, des alliés, ceux qui l’ont soutenu et soutenu son pater durant une lutte pour la démocratie qui a duré trois décennies, veulent leur part du gâteau. Amis d’enfance, sapeurs de Matonge, vieilles connaissances bruxelloises, « combattants », tous mettent cap sur Kinshasa où se distribuent les postes. Mais il n’y a pas de place pour tout le monde. D’autant plus que Vital Kamerhe, l’allié crucial qui rêvait de devenir Premier ministre, doit revoir ses ambitions à la baisse et occuper « que » le poste du Directeur du cabinet du nouveau Chef d’Etat. Ce dernier réussit d’ailleurs à écarter malignement d’autres poids lourds de la nouvelle coalition du Cach.
Au Palais de la nation, un cabinet caméléon, éléphantesque, est formé. Tshisekedi laisse la main à Kamerhe, qui lui prend le bras. Le nouveau président voit son bureau devenir l’image même d’un pouvoir issu d’accord politique. Il est composé, en partie conséquente, des gens de Kamerhe. Sa propre directrice de Communication est une très proche du Directeur de cabinet. Tout comme son Chargé de mission près le Président de la République. Ou, plus tard, le ministre de la Communication. Bref, l’hybridité s’installe. Avec son lot d’ambitions.
Certes ceux qui sèchent les rues bruxelloises et viennent réclamer leur dû à Tshisekedi n’ont qu’une idée en tête : s’enrichir, à l’image des Kabilistes que l’on venait de chasser du pouvoir. Ils veulent ressembler à Zoé Kabila. Du jour au lendemain, égaler Barnabé Kikaya! En République démocratique du Congo, l’image que l’on se fait du pouvoir est assez claire : dans ce pays, ceux qui arrivent au pouvoir y voient un moyen de s’enrichir. Quand un homme est nommé Ministre ou à n’importe quel poste au sein des institutions publiques, il organise une fête chez lui à la maison. « A longi na ye », lui, il a gagné !
Affairisme et scandales
La réalité colle aux nouveaux dirigeants congolais. Rapidement, les scandales pleuvent. Des histoires d’argent. Des Conseillers de Tshisekedi sont enregistrés en train de demander des pots-de-vin pour de traitements de dossier. Exacerbés, le Chef de l’Etat ira jusqu’à organiser une grande réunion à la présidence pour dénoncer la situation. Il fustige des Conseillers plus « préoccupés par le business que la politique ». Mais ne prend pas la peine de remanier son équipe qui, outre le fait de s’embourber dans des scandales, brille également dans les bourdes, les manquements, l’amateurisme. Une école de la déraison, qui fait la guerre à l’intelligence et exalte la fourberie.
Arrive finalement le programme des 100 jours. Un programme qui durera plus d’un an. Conçu durant les premiers jours du mandat, il est lancé le 2 mars à Kinshasa. Mais il faudra compter trois mois après pour voir Vital Kamerhe, omniprésent Directeur de cabinet, signer un document portant mise en place d’un comité de gestion. Un comité censé gérer un programme qui aurait dû s’acheter avant sa mise en place ! Mais ce comité s’avère être une boîte de Pandore. Entre politique et affaires.
L’argent divise les 66 membres le composant. Y compris les responsabilités. Surtout lorsqu’il faut répondre de ses actes devant un tribunal. Vital Kamerhe est acculé. Se dirigeant vers une condamnation pour corruption et détournement des deniers publics. Mais le Direcab, qui dénonce un procès politique, jure ne pas tomber seul. A regarder la manière dont les choses ont été gérées, sa boîte de Pandore ne saurait être vide.
La saga continue et la justice met à peine son nez dans l’an 1 de la gestion de Thisekedi et ses révolutionnaires. L’enseignement est toutefois clair : jamais, une révolution n’a tant mangé ses propres enfants. Si Tshisekedi n’est cité nulle part parmi les détourneurs où un comité de gestion qui se tiraille, il ne saura se soustraire de sa responsabilité politique.
Par ailleurs, pour un programme des 100 jours qui prend les deux premières années cruciales d’un mandat attendu au tournant, il ne reste au président congolais de période de répit. Le Covid-19 qui se répand à Kinshasa et à travers le pays ne lui laisse non plus de marge de manœuvre. Bientôt, il sera déjà obligé d’organiser des élections ! La première alternance risque d’accoucher comme bilan, l’issue des procédures judiciaires en cours. Au risque ne de pas suffire pour une réélection. A moins que le locataire de la Cité de l’UA trouve une nouvelle recette. Le voilà déjà, une fois de plus, dos au mur.
Litsani Choukran,
Le Fondé.