En RDC, la riposte contre le Coronavirus filait droit vers une catastrophe

Samedi 11 mars, il est 11h00 passées à Kinshasa. Du côté de l’Hôpital du Cinquantenaire, une dispute éclate. Elle oppose des médecins « de la riposte » aux responsables de cet hôpital issu d’un partenariat privé-public. Les échanges restent vifs. Ils tournent autour de la dépouille du Docteur Didie Bandubola, premier patient atteint de Coronavirus à décéder en République démocratique du Congo. Le Grand-frère de la ministre de l’Economie voit sa famille faire pression, pour que sa dépouille soit placée dans la morgue de l’Hôpital. Du côté des responsables du Cinquantenaire, on s’y oppose. « La dépouille reste contagieuse. Ils n’ont pris aucune précaution. Nous avons peur d’exposer nos patients et des innocents au virus », expliquera le Docteur Mavisa, médecin Chef de l’Hôpital. Après plusieurs coups de fil, les médecins de la riposte changent d’avis. La dépouille met finalement cap vers l’Hôpital de référence de Kinshasa où elle sera conservée.

Une riposte dans la tourmente

L’épisode illustre la situation de la riposte contre l’épidémie du Coronavirus en RDC. Ce samedi-là, le pays compte alors son 18ème cas de contamination au Covid19. Mais, si tous les cas étaient jusque-là importés, 4 sont des transmissions locales. « Nous entamons une nouvelle phase dans la riposte », reconnaît le Docteur Eteni Londondo au téléphone avec POLITCO.CD. Interrogé sur l’incident du Cinquantenaire, le médecin explique : « C’est vrai qu’il y a quelques problèmes à l’Hôpital du Cinquantenaire, qui ne prend pas encore part aux activités de la riposte. Mais, nous allons régler toutes ces histoires rapidement », reconnaît-il.

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En effet, dans l’organisation qui a été mise en place, les hôpitaux ne sont pas concernés par la riposte. Tous les cas sont pris en charge par des médecins et les équipes du ministère de la Santé. À l’Hôpital du Cinquantenaire, l’établissement a simplement été approché pour disponibiliser un de ses locaux pour les équipes de la riposte. « Ils font tout eux-mêmes avec leurs médecins. Nous ignorons complètement ce qui s’y passe. Ils nous appellent de temps en temps pour leur fournir du matériel de base, mais ça craint », explique un responsable de l’Hôpital le samedi soir. Quelques minutes après, il reçoit un appel : « Bonsoir Docteur, nous vous amenons un autre cas [de Coronavirus]. Mais, nous aurons besoin de quelques matériels, notamment d’un oxymètre, des gants et quelques masques», dit un homme de l’autre côté de la ligne.

Une contagion plus importante que les chiffres officiels?

Parmi les personnes infectées, il y a le patient 0, un congolais qui revenait de France. Il y a également l’ancien directeur de cabinet de Joseph Kabila, Jean-Pierre Kambila, mais surtout, le désormais feu Docteur Didie Bandubola. Ce dernier serait à la base de la contamination de sa sœur, la ministre de la l’Economie, Accacia Bandubola. Par ailleurs, la ministre ayant participé à une réunion gouvernementale, plusieurs membres du gouvernement se sont précipités pour faire des tests de dépistage, sur ordre du président Félix Tshisekedi.

Aucun résultat n’a été rendu public. Mais le ministre du Commerce extérieur, Jean-Lucien Busa, a révélé que 13 ministres, dont lui, ont été testé négatifs.  Par ailleurs, si le pays compte 4 cas de décès, Jean-Pierre Kambila a pu guérir du virus, il pourra bientôt quitter son confinement au Cinquantenaire. Le patient 0, Faustin Fikika pourrait également quitter sa quarantaine. Le ministre de la Santé annonce à POLITICO.CD que trois cas pourraient bientôt être guéris.

L’autre problème des autorités, c’est le dépistage des cas. Jusque-là, la mégapole de 10 millions d’habitants ne recueille ses cas de Coronavirus que des premiers contacts de ceux déjà testés positifs. Les malades, qui devraient être placés dans un centre à Kinkole, loin dans l’Est de la capitale, restent dans des hôpitaux, notamment aux Cliniques Ngaliema (officielle) et au Cinquantenaire. Il n’y a également qu’un seul centre, dans tout le pays, qui est capable d’effectuer les tests de laboratoire pour confirmer les contaminations au COVID-19.

Un cas illustre particulièrement les failles du système congolais. Le mardi 17 mars au service des urgences de la Clinique Bondeko, un malade se pointe, accompagné de sa sœur, qui est infirmière à l’hôpital, et d’au moins cinq personnes. Le monsieur, qui revenait de France, est fortement affaibli. Il présente alors des symptômes. Le Docteur Mukendi le prend en charge.

« Nous l’avons pris en charge. Il était accompagné des membres de sa famille. Nous ne l’avons pas directement placé en quarantaine. Nous avons pensé à une autre maladie, notamment la pneumonie ou la fièvre. Nous lui avons administré un traitement à base des antibiotiques. Ce qui nous a tiqué,v c’est lorsque nous avons regardé son bilan médical qui est resté normal. C’est comme ça que nous avons appelé l’INRB, » a déclaré le médecin.

Le patient est resté deux jours à la clinique Bondeko, soit du mardi 17 mars au jeudi 19 mars où il a été transféré à l’hôpital du Cinquantenaire. C’est un des cas annoncés et confirmés par le ministre de la Santé. Cependant, le médecin affirme que lui-même développe certains symptômes. « Le samedi soir, j’ai ressenti de la fièvre et des maux de tête. J’ai acheté un certain nombre de produits dont la quinine, la cytromicyn, la vitamine c et le paracétamol. Le dimanche matin, j’ai appelé l’équipe INRB. Je les ai attendus toute la journée et ils sont passés tard dans la soirée. Une équipe de deux personnes dont un médecin et un technicien. Ils étaient sans matériel de prélèvement. Ils se sont excusés et ont promis de repasser. Ils sont finalement passés le lendemain à 12h00. Et ils ont fait le prélèvement. Nous attendons les résultats, » a-t-il déclaré, après avoir publiquement contacté POLITICO.CD sur Twitter.

Dr Mukendi dit se sentir un peu bien mais reste isolé dans sa chambre. « Un peu bien mais la température ne baisse pas. Mais, je me sens un peu bien maintenant par rapport à hier. Je me suis mis en quarantaine et je me suis isolé dans ma chambre, » a-t-il affirmé. En ce qui concerne la situation des membres de sa famille et de ses proches, le médecin indique : « aucun symptôme n’a été signalé dans mon entourage et dans ma famille« .

Toutefois, le Docteur n’a pas souvenir des équipes de riposte retraçant les contacts du patient, y compris même les membres de sa famille qui l’accompagnaient alors à l’hôpital. Le médecin assure que, lors de l’arrivée du patient à l’hôpital, ils étaient très proches de lui et ils ont tout fait pour les éloigner. « Je ne sais pas s’ils ont été suivis et identifiés. Je crois que l’INRB s’en occupe, » a-t-il conclu. POLITICO.CD n’a pas eu de réaction tant du ministre de la Santé que de l’IRNB au sujet de ces membres de famille. À l’heure actuelle, aucun système de suivi n’est vraiment rendu public.

Impréparation et tâtonnements

Le dimanche 22 mars, le président Félix Tshisekedi a eu vent de l’incident de la morgue du Cinquantenaire. Fait toublant, nous rapporte une source à la présidence, le Chef de l’État congolais ignorait, jusque lors, que les hôpitaux ne prenaient pas part à la riposte.

Le lendemain à Kinshasa, les dirigeants de l’Hôpital du Cinquantenaire décident de passer à l’offensive, d’autant plus que sur les réseaux sociaux, l’hôpital est accusé de « négligence » par rapport à la prise en charge des cas de Coronavirus. De l’avis de tous, le Cinquantenaire prend part au traitement des personnes infectées. Devant les caméras, Dr. Hazeeb Rahman Padiyath, Chairman de l’hôpital du Cinquantenaire, explique que son hôpital n’est pas infecté par le Coronavirus. Au contrairement, il a été choisi par les autorités du ministère de la Santé pour héberger quelques 9 cas de personnes atteintes du Coronavirus, en raison de ses infrastructures qui sont les rares à Kinshasa à développer un isolement efficace.

Sur place, l’Hôpital a mis en place un protocole de traitement des malades de Coronavirus. Il s’agit de l’algorithme de prise en charge du Covid-19 selon les normes internationales, sur instructions du ministère congolais de la Santé. Pour ce faire, un pavillon de haute facture est apprêté pour l’isolement des personnes atteintes de la pandémie qui secoue le monde. Le pavillon est superbement équipé et excentré. Les locaux, où sont traités les malades, sont enfouis comme une épée dans son fourreau, séparés d’un mur, tel un rideau de fer pour éviter la propagation. Une seule entrée donne accès au couloir qui sépare les lieux qui contiennent des matériels de la dernière technologie pour traiter efficacement les malades.

Des privés s’organisent

Le pavillon peut contenir plus de 150 patients, sans risque de contamination. Il a, en son sein, quinze respiratoires. Le tout est supervisé par le comité de riposte contre le Covid-19, piloté par le docteur Mayembe. Le patient, qui se présente, doit avoir au moins trois de ces symptômes : fièvre, toux, maux de gorge, difficulté respiratoire et la fatigue ou polyarthralgie.
Le personnel soignant permanent mène des enquêtes pour s’assurer si le patient a passé un séjour dans un pays étranger, s’il a eu des contacts avec une personne venant d’un pays touché par le Coronavirus ou avec une personne déjà atteinte.

Si les bilans sont négatifs, la personne est orientée vers les urgences où il sera soignée selon le protocole de routine.
Si l’échantillon pour le Covid-19 est positif, l’hôpital admet le patient au pavillon spécialisé d’isolement. Si le Covid-19 est positif, il présente généralement deux possibilités : cas simples et cas modérés et sévères.

Au pavillon spécialisé d’isolement, le traitement se fait par oxygène par masque, détresse respiratoire-ventilation mécanique, hypotension-vasopresseur, paracétamol en infusion et plusieurs autres produits de haute performance. Après amélioration clinique et paraclinique par la radiologie, le désormais bien portant peut sortir si les deux contrôles reviennent négatifs à l’intervalle de 24 heures.

L’hôpital du Cinquantenaire a offert ses infrastructures bien isolées et sécurisées pour sauver des vies. Mais, le traitement et autre prise en charge sont assurés par l’équipe de riposte. Les choses sont tellement bien organisées qu’aucun patient d’une autre maladie ne puisse se plaindre d’attraper le Covid-19.  » Tous les services ici à l’hôpital du Cinquantenaire fonctionnent à plein régime pour soigner efficacement tout malade comme nulle par ailleurs. Des dispositions sont prises pour n’inquiéter personne « , rassure le docteur Mawisa, médecin chef de staff.

« Nous n’avons fait que disponibiliser les locaux pour les équipes du ministère de la Santé. La coordination de la riposte contre le Coronavirus se charge elle-même, et de manière exclusive, des soins administrés aux patients. Nous leur apportons néanmoins notre aide en fournissant parfois du matériel nécessaire« , ajoute-t-il.

« On aide ceux qui souffrent, mais aussi sauver d’autres patients. Ce n’est pas le temps de paniquer, mais de combattre ce virus en tant qu’une seule nation« , assure Dr. Hazeeb Rahman Padiyath.

Une telle organisation n’est pas une réalité du côté des équipes de riposte. Outre des couacs de communications, il y a également des difficultés de coordination, notamment avec les provinces congolaises.

Le président prend les choses en main

Le dernier incident en date est l’annonce unilatérale, par le gouverneur du Haut-Katanga, Jacques Kyabula, de deux cas de Coronavirus à Lubumbashi. Sauf que, quelques heures plus tard, le ministre de la Santé viendra démentir cette information. En outre, le ministre lui-même s’est sérieusement contredit au début de la crise, annonçant notamment une fausse identité du patient 0, avant de se démentir devant les caméras de télévision.

Le président Félix Tshisekedi a fini par hausser le ton. Dans l’après-midi du lundi 23 mars, il a convoqué une réunion de haut niveau entre les différentes institutions pour évaluer la situation. Le Chef de l’État, qui avait déjà annoncé des mesures chocs, se rend à l’évidence que sa riposte précipite la RDC vers le chaos. Outre le fait de trancher une querelle naissante entre les rôles du Docteur Jacques Muyembe et celui du ministre de la Santé Eteni Londondo, Félix Tshisekedi entend des voix s’élever pour appeler à une mis en quarantaine de la capitale Kinshasa.

Dans la journée du mardi, c’est Jacques Muyembe qui entre en scène. L’éminent médecin, symbole de la lutte héroïque contre l’Ebola, annonce une prise en mains de la situation. « Nous avons pris les choses en mains. Nous avons confiance en nous-mêmes et à la population. Nous ferons tout pour que cette épidémie s’arrête ici à Kinshasa« , dit-il.

Le secrétaire technique de la riposte a fait savoir que le Covid -19 n’avait pas encore de traitement spécifique et son équipe a également choisi la chloroquine comme traitement spécifique même si l’efficacité reste à prouver. En outre, il ajoute que les enfants de 0 à 6 ans sont épargnés. La majorité des cas, ce sont les hommes (76%) et 12 % sont les femmes. Et les enfants de 0 à 16 ans sont épargnés.

Lundi 23 mars, la RDC comptait 45 cas confirmés dont 3 décès, tous à Kinshasa. Les provinces seraient épargnées. Mais, devant l’absence de tests au sein de la population, alors que les autorités ne s’intéressent pour l’instant qu’aux cas qui leur 3sont rapportés ou ont été en contact avec les personnes testées positives, le bilan risque d’être loin de la réalité officielle. L’OMS a, plusieurs fois, tiré la sonnette d’alarme aux pays africains, faisant savoir que cette crise risque d’être endémique sur le continent.

Mardi soir, Félix Tshisekedi est apparu à la télévision nationale. Le Chef de l’État semble reprendre la main, autour d’une riposte qui a été loin d’être efficace.
Dans un discours diffusé à la télévision nationale, le président Félix Tshisekedi a annoncé de nouvelles mesures pour faire face au Coronavirus en République démocratique du Congo, décrétant notamment l’État d’urgence ainsi que le confinement de la capitale, Kinshasa, par rapport aux provinces. Félix Tshisekedi a déploré le fait que les mesures prised il y a quelques jours ne soient pas respectées par la population congolaise et appelle notamment le gouverneur de Kinshasa à prendre des initiatives.

Litsani Choukran.

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