Ne le dites pas à nos enfants, chronique d’un combattant pour la liberté

Dans sa rubrique Citoyen, POLITICO.CD, le media politique de la République Démocratique du Congo ouvre ses colonnes aux récits de citoyens ayant consacré un instant de leur vie au redressement de l’un de secteurs de la vie nationale. Dans cette chronique, les lignes sont ouvertes à Godefroy Kahambo Mwanabewato, ancien militant du mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA), détenu à la prison de Makala entre juillet 2015 et septembre 2016. Candidat malheureux aux dernières élections au gouvernorat du Maniema, il est actuellement président d’un parti politique. Il retrace à travers cette chronique son parcours militant entre 2015 et 2017.

Episode 2 : Le colis

Ce que j’aime dans les voyages en avion c’est le moment où l’appareil fait le taxi. C’est mon moment préféré. Vous sentez l’avion retenir son souffle au même moment que vous foncez à vive allure sur la piste avant de se détacher et de prendre son envol. Ce jour-là, je ne ressentis curieusement rien de ce moment magique. J’étais assis, pensif, la tête penchée sur le hublot.

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– Pourquoi n’avais-je pas été relaché tout simplement, me demandais-je à moi-même… Pourquoi fallait-il forcément que je sois embarqué manu militari dans un Airbus régulier de CAA à destination de Kinshasa ? Que devais-je redouter à mon arrivée ? Allais-je être torturé ? Le récit du décès d’Armand Tungulu et de Chebeya  me revenait à l’esprit. Un homme assis à ma gauche, à deux sièges de moi remarqua mon angoisse, tellement j’avais peur et cela transparaissait de tout mon être :

  • Cher ami, tout va bien ? Vous avez peur des avions ?

Je voulus lui répondre que j’étais pris en otage par les services de sécurité, lorsque la dame assise à mes côtés m’interrompit, sourire aux lèvres :

  • Il va bien. Mon fiancé est un peu stressé à l’idée de notre mariage coutumier que nous partons célébrer à Kinshasa…
  • Félicitations, dit le type à mes côtés, pendant que la dame me pinçait les doigts comme pour prévenir tout faux pas de mon côté.

Cette dame, c’était l’agent de l’ANR qui m’accompagnait de Kisangani à Kinshasa. Elle se faisait passer pour mon épouse. Il ne fallait évidement pas que les autres passagers sachent qu’il s’agissait d’un enlèvement… Elle s’appelait Nadia Matondo. Je le sus en lisant de loin le billet d’avion qu’on lui avait confectionné à la hâte au pied d’avion et qu’elle avait maladroitement posé sur la tablette devant-elle.

Comment en étais-je arrivé là ? Quatre ans plus tard, je ne me l’explique pas encore malgré mes efforts pour essayer de comprendre.

En effet, après mon interrogatoire du samedi, je m’attendais à une relaxation pure et simple ou au pire à un transfèrement au Parquet Général de Kisangani. Mais les choses s’étaient passées trop vite au point où le dimanche 21 juin 2015, à 11 :00, je me retrouvais là, à douze-milles pieds de la terre ferme, dans un airbus A-320 de la Compagnie CAA, en direction de Kinshasa, à côté d’une dame de l’ANR se faisant passer pour ma fiancée. Oh, les miracles de la répression…

Tout s’était passé trop vite la veille. Ils avaient commencé par ravir mon téléphone. Mais avant cela, j’avais prévenu des connaissances parmi lesquelles Maître Kamala Fabrice, Jean Bamanisa et, bien entendu, Amnesty International, via mon mail. J’avais également enregistré mon audition et envoyé le fichier sur mon cloud avant de rebooter complétement mon appareil.

Ensuite, ils m’ont écroué après avoir consigné mes biens. Ma ceinture, ma montre et une somme de 80 000 francs congolais (à peu-près 50 dollars américains.) Dont je n’ai repris que 60 000 francs au moment de mon transfert.

Des détenus dans un cachot de l’ANR pour infractions de droit commun

Ils me coffrèrent dans un cachot exigü où s’entassaient une dizaine de détenus. Il faisait noir et chaud dans ce cachot qui sentait la pisse. Il n’y avait pas de lit. L’accueil des détenus était moins violent à mon égard. Et pour cause: l’un des détenus avait été mon client lorsque je fus Défenseur Judiciaire près le Tribunal de Grande Instance de Kisangani entre 2008 et 2011. Il me reconnut et pria ses camarades de ne pas me brutaliser car j’étais son avocat et que je pouvais, pendant mon séjour au milieu d’eux, leur donner des astuces pour les sortir de là. La plus part d’entre-eux y étaient depuis des mois.

Je passais la nuit à essayer d’entendre leurs récits et de leur dire ce qu’ils devaient faire pour s’en sortir. La plus part d’entre-eux n’avaient rien à faire dans ce cachot. Ils étaient détenus pour des faits de droit commun n’ayant rien à voir avec la sûreté intérieure ou extérieure du pays et étaient sensés soit être remis en liberté, soit transférés au parquet.

Mais, malgré ma bonne foi, je n’échappai pas au traditionnel « la Zaïroise » (hymne national de la deuxième République) qu’ils me firent entonner débout, à haute voix et torse nu. C’était déjà mieux que les coups de poings…

Offense au Chef de l’Etat

Le lendemain matin, l’Inspecteur en charge de mon dossier, un certain Kande, me signifia mon transfèrement au Parquet Général. Sur la lettre qu’il tenait et qu’il tentait de dissimuler, je parvins à lire l’objet « Transfert du prévenu Godefroy Mwanabwato/offense au Chef de l’Etat et participation à un mouvement insurrectionnel.»

Un léger frisson me traversa le corps. Je me vis, sans emploi (Bamanisa allait sûrement être forcé à me révoquer), me battant contre cette lourde machine répressive kabiliste dans un procès où  j’étais accusé d’avoir offensé Joseph Kabila en personne. Je ne ferai pas le poids. Assis au couloir du Parquet Général je pensais déjà à des tactiques de défense mais je savais que ce procès n’allait être judiciaire que de nom. Tout était politique. Maître Kamala Fabrice débarqua sur les lieux. Nous nous apprêtions à rédiger une demande de liberté provisoire lorsque je vis le Procureur près le Tribunal de Grande Instance, M. Lusamba descendre du bureau du Procureur Général.

  • Maître Mwanabwato, vous allez-bien ?
  • Monsieur le Procureur, comment voulez-vous que j’aille bien dans la situation où je me trouve ?
  • Ben, tout ira bien. Nous prendrons le même vol tout à l’heure.
  • Quoi ? Quel vol ?
  • Ben, nous partons à Kinshasa.

Qu’est-ce qui venait de se passer ? Je sentis une vive agitation des administratifs du Parquet Général. Des va-et viens se multiplièrent. Les agents de l’ANR arrivèrent et reprirent la lettre de transmission ainsi que la farde de mon dossier physique. L’un d’eux semblait communiquer avec l’aéroport international de Bangboka. Il disait :

  • Dites-leur de ne pas bouger l’appareil. Nous avons un colis d’une extrême importance que la hiérarchie attends.

Était-ce moi « le colis » ? J’en doutais. Jusqu’au moment où, à notre descente d’avion à Ndjili, ma « fiancée » de circonstance Nadia, parlant au téléphone à sa hiérarchie affirma sans embage :

  • Bonjour chef, nous sommes bien arrivés. Le colis est avec moi sain et sauf…

 (à suivre)

Godefroy K. MWANABWATO

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