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L’art de la langue de bois en RDC

A la découverte d’une technique qui unie à la fois opposants et ceux qui sont au pouvoir en RDC. Un art pratiqué à l’échelle nationale.
Le président Joseph Kabila, son cercle rapproché et le premier ministre Bruno Tshibala visitant les stands à la conférence minière de Kolwezi le 14/09/2018. Photo: Fiston Mahamba

La langue de bois, appelée parfois humoristiquement xyloglossie ou xylolalie, du grec xylon : bois et glossa : langue ou λαλέω / laleô : parler) ; est une figure de rhétorique consistant à éviter de présenter une réalité par l’utilisation de tournures de phrases et d’expressions usuelles.

Cette technique est utilisée à son outrance dans une République démocratique du Congo en pleine tourmente. Plusieurs camps s’affrontent autour du pouvoir, désespérant tout un peuple. D’un côté, une insolante et suffisante Commission électorale très indépendante vis-à-vis du peuple et de l’opposition. Son président, Corneille Nangaa, manie la langue de bois à la perfection. Tantôt il a des machines qui peuvent servir à envoyer des résultats à distance, tantôt ces mêmes machines ne sont que des imprimantes.

Un matin, Nangaa peut se réveiller et annoncer le report des élections sur toute l’étendue du pays, à sa bonne guise. Quand il est de très bonne humeur, il annonce un « petit report » dans plusieurs territoires acquis à l’opposition, privant le vote à plus d’un million de Congolais. Et quand il prend un bon café, le président de la CENI annonce que le futur Président de la République prêtera serment le 18 janvier 2019, mais que des élections auront lieu à Beni, Butembo et Yumbi… en mars 2019.

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Il n’est pas le seul. Au pouvoir, Lambert Mende et ses amis ont donc épuisé tout leur quota langue de bois. Ils laissent ainsi aux opposants la piste. D’entrée, il y a le duo improbable UDPS/UNC, soit l’un des politiques les plus inconstants, Vital Kamerhe, qui s’allie à l’un des politiques les plus inexpérimentés, je cite Félix Tshisekedi — advienne que pourra. Dans ce duo à Samba politique, on veut les élections « quoi qu’il arrive ». Machine à voter ? Report dans certains territoires ? Ils ne sont pas affectés. Ils veulent « prendre Kabila à son propre jeu ». Pour ceux qui débarquent au Congo, Kabila = Nangaa.

Mais la réalité est plus limpide. Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi ne vont pas vers des élections qu’ils rêvent de remporter. Mais non. C’est là que se situe leur langue de bois. Ils rêvent d’un gouvernement de large union à l’issue de ce scrutin. Choix logique, car l’UDPS, mère des opposants en RDC, est fatiguée. Kabila a eu raison de tous ses cadres et de toute sa résistance. Son fondateur historique s’est éteint, laissant seulement un « monière » légendaire à son fils. Il gît toujours dans un frigo à Bruxelles. Et donc la lutte jusqu’au-boutiste n’est pas une bonne fin.  Il est peut-être temps de trouver une solution à l’amiable, d’autant plus que l’un des plus grands opportunistes de la République est à leurs côtés avec son Désir de Kabila.

Mais leur coalition CACH ne peut même pas se faire médire par une autre clique, le somnifère nommé « LAMUKA ». Eux ont désigné un jockey vif, mais qui ne va surement nulle part.  Martin Fayulu, qui s’est fait dérobé sa honte depuis plusieurs mois, passe son temps à reprendre les positions de ses puissants alliés, au point de devenir incompris. Tenez, Lamuka sa coalition, ne veut pas boycotter le processus. Mais il croit fermement, et avec raison, que tout est fait pour que le très impopulaire candidat du pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary, l’emporte.

Du coup, quand Corneille Nangaa fait sa langue de bois en annonçant le report des élections le 23 décembre, LAMUKA fait la tienne en « refusant de tomber dans le piège de la violence », appelant donc logiquement à aller aux urnes à la nouvelle date du 30 décembre. Mais aujourd’hui, puisque Butembo, Beni et Yumbi sont exclus unilatéralement du suffrage, une décision violant la constitution, LAMUKA pense qu’il faut… une journée ville morte ! Mais qu’au final : il faut aller voter.

D’autres pratiquent la même langue de bois en RDC. La fameuse communauté internationale. Une entité invisible mais qui peut parfois servir. Au Congo, elle n’existe qu’à travers des communiqués et quelques sorties très efficaces d’inefficacité. Face à Kabila, elle a pourtant pris des sanctions. Elle a averti et a appelé à des élections crédibles, transparentes et libres. Sauf que leur langue de bois, Kabila n’en parle pas. Du coup, cette Communauté est aussi efficace que Bruno Tshibala à la Primature.

Dans cet océan, il y a les mouvements citoyens. Sans doute les plus vaillants. Ils continuent, bien que mal, à s’opposer. Appellent parfois à l’insurrection sans être écoutés par des tweetos qui tiennent surtout à soutenir leurs idoles politiques. Ils pratiquent certes une langue de bois, mais compréhensible. Ce matin, ces jeunes beaux et forts ont érigé quelques barricades à Beni, Goma et Butembo pour s’opposer une fois de plus « au dictateur ».

Mais ils n’ont surement pas l’art de la violence. Ni encore moins la puissance militaire. Ces courageux ont une fois de plus perdu une bataille face à la machine policière, combinée avec celle de l’armée qui les écrase depuis plusieurs années maintenant. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, ces jeunes de la LUCHA, des Congolais debout, de Filimbi …  forment les seuls remparts viables dans cette République à langue de bois. L’après 30 décembre repose peut-être entièrement sur les épaules.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

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