A Kinshasa, la campagne à la congolaise de Patrick Muyaya

4.457.019 électeurs seront appelés à élire un nouveau président de la République le 23 décembre à Kinshasa. Derrière cette bataille, il y en a une autre bien plus importante, celle des députations combinées nationale et provinciale. Dans les rues de la capitale congolaise, POLITICO.CD a suivi plusieurs campagnes de candidats. Le récit de celle de Patrick Muyaya Katembwe.

Semaine du 9 au 15 décembre à Kinshasa. Après un début timide, la campagne électorale prend une vive allure. Des panneaux rivalisent, comme des assourdissantes caravanes qui sillonnent les rues des quartiers périphériques du Centre-ville. Un cortège fait irruption au croisement de l’avenue Saio, près de de la célèbre boulangerie UPAK, très connue des Kinois. Nous sommes dans la commune de Ngiri-ngiri, 7km à peine du boulevard du 30 juin du centre-ville de Kinshasa.

Ici, rien ne ressemble aux quartiers huppés de la Gombe. « Ici, c’est la vraie vie à Kinshasa », me lance le député Patrick Muyaya à coté d’un pickup blanc orné d’affiches de campagne, avec une vingtaine de ses partisans, reconnaissables par leurs T-shirts de campagne qu’ils arborent fièrement. « Aujourd’hui, pas demain », peut-on y lire, avec les numéros 390 aux Législatives et 31 aux provinciales. C’est son slogan de campagne.

 Député du pouvoir

Ce jeune député fait partie de la coalition au pouvoir en République démocratique du Congo. Il a été élu, à l’âge de 29 ans, député aux législatives de 2011 sur la liste du Parti Lumumbiste Unifié (PALU), allié presque traditionnel du parti au pouvoir.   A notre arrivée à la rue Niangara, les véhicules sont abandonnés. Le candidat député entre dans le vif du sujet. Il descend vite rejoindre son équipe d’éclaireurs, qui ont planifié, bien avant lui, une tournée porte-à-porte.

« J’aurais aimé le faire à l’américaine, mais ici, vous allez le comprendre, tout est imprévisible, mieux vaut s’assurer de certaines conditions sécuritaires avant de descendre », me lâche-t-il au milieu d’une meute.  Ainsi commença la campagne. D’une porte à une autre, Muyaya entre, salue ses futurs électeurs, prend leurs coordonnées, et repart. Une longue marche de 40 minutes. Nous étions déjà vers 15h et heureusement que le soleil commence à prendre sommeil. « Je veux avoir une relation directe avec mes électeurs. Nous prenons leurs coordonnées pour rester en contact et échanger de manière permanente », explique-t-il.

A Ngiri-Ngiri, un décor indescriptible. Kinshasa a donc des visages insoupçonnés. Flaques d’eaux, canalisations bouchées, terrain marécageux. Le tableau est encore plus étonnant car les habitants ici semblent réellement heureux.  Dans cette misère, ils sont libres et rêvent même d’un futur meilleur, même s’ils veulent d’abord résoudre des problèmes de base. Une population d’insouciants. Ils ne savent rien des trois années de luttes politiques entre Kabila et ses opposants. Ils sont au moins sûrs d’une chose : leur misère a trop duré. Et donc à Patrick Muyaya, ils demandent des miracles, ingorant pour la plupart le vrai rôle d’un député national. En fait, notre jeune candidat n’est pas le seul à passer par là.

Un électoral comme celui de tout Gabon

En effet, la circonscription de FUNA où Muyaya est candidat n’a pas moins de 7 communes sur les 24 que comptent la capitale congolaise. 543 candidats dont 425 hommes et 118 femme s’y battent pour seulement 12 sièges ! Ils seront départagés par exactement 923.209 électeurs, soit l’électorat entier du Gabon ! Dans cette réalité, beaucoup ici à Ngiri-ngiri, une commune cruciale avec ses 76.748 voix, ont vu des candidats se succéder.

Les habitudes naissent. Et comme le disait Muyaya, on découvre vite qu’une campagne à Kinshasa n’a rien à avoir avec celle d’ailleurs. Derrière lui, une foule d’hommes, la plupart des jeunes, qui suivent, acclament, chantent, et pour une patrie d’entre-deux, rien n’est gratuit. « Nous sommes dans un modèle où, dès qu’un candidat arrive quelque part, il est perçu comme s’il venait donner un peu d’argent », regrette Muyaya.

Il a raison, nous arrivons dans un coin perdu de la commune. A l’entrée d’une ruelle marécageuse digne de Paris décrie par Victor Huggo dans les Misérables, une canalisation de fortune découpe en deux un spectacle hallucinant. Des « jeunes gens » demandent un « droit de battre campagne sur leur avenue ». Un face à face a lieu, pendant une dizaine de minutes. Grâce un mégaphone, Muyaya entame la négociation. « Non », lui rétorquent-ils. Ils ne le laisseront pas entrer sans argent.

Alors c’est là que cet ancien journaliste sort son côté Kinois. Dans un langage approprié, il les flatte, les admirant, eux que beaucoup ici décrivent comme des bandits. « Rien ne peut se faire ici sans vous. Vous êtes le pillier de cette commune », lâche ce politicien.  Il leur promet ensuite « quelque chose » à l’issue d’un meeting qu’il a avec des « mamans » dans cette avenue. Les maître-chanteurs exultent et laissent passer le candidat député sous bonne garde.

 Il faut payer avant de battre campagne

Dans une parcelle remplie de dames, un homme s’anime. Il dit à peu près que le candidat Muyaya est un super-héros. Dans l’euphorie, le député sortant est annoncé. Il entre dans la parcelle. Devant ces dizaines de mamans qui représentent une communauté des commerçantes locales, il électrise l’assistance. « L’argent du ticket et celui des poubelles [payé au gouvernorat de Kinshasa aux différents marchés] doit réellement aider à améliorer Ngiri-Ngiri », lance-t-il sous les acclamations.

Ne lui en reprochez pas. Ici, personne n’est venu écouter un message. Comme un peu partout à Kinshasa, cette élection est une affaire de connaissances. On ne vote pas selon l’idéologie, seulement par des liens que vous nouez dans ce type d’événements.

« Je suis l’enfant d’un Maman Malewa [Restaurant de fortune très célèbre à Kinshasa]. Je suis un des vôtres, j’ai été au parlement, j’ai voté de lois, mais beaucoup n’ont pas été appliquées », se justifie celui qui est un des rares députés à avoir tenu une réunion publique, le mois dernier, pour faire le bilan de son action Parlementaire. Mais son sérieux sera vite interrompu.

De l’autre côté de la parcelle, cinq éléments de la police débarquent. Ils viennent pour mettre fin au chantage de ces jeunes qui continuent de réclamer leur paiement. « Je ne peux pas les payer. Personne n’aura jamais assez d’argent pour céder à ce type de chantage », lance-t-il. Il conclut sa causerie et la police réussit à disperser calmement la meute.

Sous les coup de feu 

En sortant de là, vers l’Avenue Kingabwa, il s’arrête. Une foule spontanée arrive cette fois pour l’accueillir. Un bar joue en fait sa chanson de campagne, une sorte de Ndombolo à la congolaise « A zala zala », qu’il reste globalement député pour toujours, dit-elle. Le député s’arrête donc pour prendre plusieurs selfies et se lancer dans « la Danse de Muyaya ».

Le bain de foule se prolonge dans la ruelle voisine. Il fait trois parcelles, entrant et saluant, comme au début de cette sortie il y a près de deux heure. Dehors, il est déjà 18h. Alors qu’il sortait d’une des parcelles, deux coups de feu sont tirés. Des jeunes que la police avait réussi à chasser toute à l’heure sont venus prendre leur revanche. Dans la débandade, une famille ouvre spontanément les portes de sa maison au candidat député. Il faudra patienter pendant 10 minutes avant que les choses ne se tassent. Sans doute pour rassurer ses partisans, il ressort de là et continue sa marche joyeuse, comme si rien n’était.

Cette commune reste pourtant un des coins qui ont connu des véritables répressions durant les multiples marches ant-Kabila depuis 2016. Mais la réalité est peut-être autre. Ici, beaucoup, les plus concernés, ont interpellé ce candidat du pouvoir pour qu’ils leur apportent des solutions. Le départ de Kabila n’est vraiment pas un thème de campagne. Même si, par moment, certains n’en veulent plus. Mais ils ne sont pas du tout fâchés contre Muyaya, qui est à la fois l’un des leurs et surtout, une manne qui tombe dans ces avenues. Beaucoup veulent surtout voter et mettre fin à la crise. Ils ont ainsi longuement insisté.

En sortant de là, 10 minutes suffisent pour arriver au centre-ville. Cette autre Kinshasa, avec ses lumières et son calme olympien, entremêlés des boucans organisés. La campagne continue, et les 12 sièges de la FUNA seront largement disputés. Les candidats du pouvoir comme Muyaya compte surtout sur leurs propres capacités pour se faire élire. « Le plus important ici c’est de se faire élire. La Présidentielle est une autre chose. Beaucoup de victoires pour la démocratie dans ce pays peuvent s’obtenir au Parlement », dit-il. Il est 19h à Kinshasa, le jeudi 13 décembre 2018.

Litsani Choukran

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