Démission de Zuma: l’onde de choc à Kinshasa

Ça y est, Jocob Zuma, président contesté de l’Afrique du Sud a finalement jeté l’éponge. Le sulfureux chef d’Etat, empêtré dans des scandales de corruption, a annoncé sa démission mercredi soir à la télévision, après une longue bataille politique où même le parti au pouvoir, l’African National Congress (ANC), a fini par le lâcher.

« J’ai décidé de démissionner du poste de président de la République avec effet immédiat, même si je suis en désaccord avec la direction de mon organisation », a déclaré M. Zuma lors d’une allocution retransmise en direct à la télévision.

Après des semaines de tractations et de réunions, le parti au pouvoir avait exigé, mardi, la démission du président Zuma, empêtré dans des scandales de corruption. Faute d’une réponse de sa part, le parti avait décidé mercredi à la mi-journée de le forcer à quitter le pouvoir, en annonçant le vote dès jeudi d’une motion défiance dont l’issue ne faisait aucun doute.

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Un ami à Kabila

A Kinshasa, la nouvelle est accueillie avec soulagement du côté de l’opposition. Car si Zuma reste loin de la RDC, c’est avant tout et surtout l’un des alliés indéfectibles du président Joseph Kabila. Une relation dénoncée même du côté de Pretoria.

En effet,  l’opinion publique sud-africaine, notamment chercheurs et journalistes, sont montés au créneau depuis plusieurs mois, affirmant que les relations entre Pretoria et Kinshasa sont régies au seul bénéfice des relations très personnelles entre les présidents Jacob Zuma et Joseph Kabila.

Stephanie Wolters, responsable du programme de recherche sur la paix et la sécurité à l’Institut d’études de sécurité, affirme au journal sud-africain The Financial Mail en décembre dernier, que les relations entre les deux pays sont liées par un rapport personnel. « L’une des questions est que la politique [entre la RDC et l’Afrique du Sud] n’est pas régie par le ministère des affaires étrangères, ni par l’ambassade, et ils ne sont pas consultés, ils voient Kabila comme déstabilisant« , explique-t-elle, affirmant que les décisions entre l’Afrique du Sud et  la RDC sont plutôt prises par la présidence entre Zuma et Kabila.

À la Commission des droits de l’homme de l’ONU en août dernier, l’Afrique du Sud a voté contre une enquête internationale sur les fosses communes découvertes dans la province du Kasaï, où les combats entre l’armée et une milice ont déplacé 1,3 million de personnes.

La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), sous la direction de l’Afrique du Sud, a également échoué à faire face à la crise. Dans son discours de clôture du 37ème sommet de la SADC à Pretoria le en juillet dernier, Zuma a tacitement avalisé le report des élections en RDC au-delà de l’échéance de décembre 2017 convenue par la majorité et l’opposition l’année dernière.

« Fait frappant, les politiques de Zuma nuisent aux intérêts économiques de l’Afrique du sud en RDC« , explique toujours nos confères sud-africains.  Grand Inga, un projet pharaonique sur le fleuve Congo destiné à fournir de l’électricité à la RDC et à la plus grande partie de l’Afrique australe, a été retardé à plusieurs reprises par l’instabilité politique à Kinshasa. Il offrirait une solution au déficit d’électricité et stimulerait le développement économique de la région. « Alors que la crise en RDC persiste, la perte de revenus potentiels est déjà de plusieurs milliards de dollars« , revèle-t-on.

Par ailleurs, les entreprises sud-africaines opérant dans les secteurs miniers sont également de plus en plus concernées par l’attitude de Pretoria vis-à-vis de Kabila. Bien que les mines appartiennent pour la plupart à des entreprises chinoises, indiennes et étrangères qui ont des capitaux pour développer des actifs miniers congolais, les sociétés sud-africaines ont trouvé un créneau en tant que fournisseurs de services experts. Alors que le secteur minier de l’Afrique du Sud se rétrécit, la RDC offre une alternative attrayante pour absorber la main-d’œuvre excédentaire.

Ironie du sort, l’Afrique du Sud a été un acteur décisif lors des deux dernières élections, imprimant des bulletins de vote et les transportant dans des régions reculées de la RDC dans des avions de compagnies aériennes sud-africaines. « Zuma a décidé de donner la priorité à la solidarité avec les autres chefs d’Etat », conclut Mme Wolters. « Ce n’est pas surprenant quand on regarde la crise actuelle en Afrique du Sud, il a violé les droits de son propre peuple, pourquoi s’intéresserait-il aux droits des Congolais? »

Onde de choc à Kinshasa

Par ailleurs, en annonçant sa démission,  le président sud-africain offre également une rhétorique utile aux anti-kabila durant son discours de départ. « Ne vous trompez pas, aucun leader doit  rester au-delà du temps qui lui est imparti par le peuple. Aucun leader ne doit chercher une sortie facile », a-t-il dit. 

Très vite, les opposants congolais sautent sur l’occasion. « Sur le continent noir, tout n’est pas noir. Il y a moments où les hommes se lèvent pour décider de leur destin. Bye bye Mr Zuma, si tu partais, c’est l’Afrique entière qui gagnera. Aux autres d’emboîter le pas à l’ANC« , s’excite le député congolais Claudel André Lubaya, cadre du Rassemblement. 

Du côté du pouvoir, le silence est de mise. Hors micro, on veut cependant rester serein. « L’Afrique du Sud n’est pas la RDC. Et de toutes les façons, nous le savions depuis longtemps », affirme un diplomate congolais à POLITICO.CD sous le sceau de l’anonymat.

Pour lui, le départ de Jacob Zuma ne change rien pour le président Joseph Kabila. « C’est un ami de la RDC certes, mais nous traitions et nous continuerons à traiter avec l’Etat sud-africain, qui est un pays ami. Rien ne change de ce côté », ajoute-t-til.

N’empêche, Zuma est le deuxième allié traditionnel du président Kabila qui prend la porte après le président du Zimbabwe, Robert Mugabe. Litsani Choukran, éditorialiste et fondateur de POLITICO.CD qui réside en Afrique du sud,  pense néanmoins que ce départ ne risque pas de changer grand-chose. « Comme au Zimbabwe, nous avons ici en Afrique du sud une alternance au sein d’une même famille politique. Zuma laisse le pouvoir à son vice-président qui n’est autre que son proche ami. C’est le même système qui va continuer, même si publiquement, ils vont essayer de changer de discours« , explique-t-il.

« Kabila perd des parrains,  mais gagne en posture »

Toujours selon M. Litsani, le président Joseph Kabila, qui aurait sûrement anticipé cette chute de Zuma, se présente de plus en plus comme un homme qui n’a plus besoin de parrains.  « On pourra bien évidemment présenter cela comme un départ progressif des alliés de Kabila, mais c’est aussi et surtout la naissance d’une nouvelle race de dirigeants en Afrique, une nouvelle génération. Et dans celle-ci, le président Kabila devient de plus en plus une plaque tournante, où des présidents comme celui de l’Angola, du Zimbabwe, ou même le prochain président sud-africain sont des novices par rapport à lui », ajoute-t-il.

En effet, quelques heures avant le départ de Zuma, à Kinshasa, Joseph Kabila recevait le nouveau président angolais Joao Lurenco, venu visiblement faire adouber son nouveau pouvoir aux côtés du dinosaure Denis-Sassou Ngouesso. Joseph Kabila, qui totalise à présent 17 ans au pouvoir, semble être un doyen face aux nouveaux arrivants.

« Il y a cependant des leçons à tirer pour Kinshasa, la phrase Zuma, sans être spécifique à la RDC, appelle à savoir que l’alternance démocratique est inéluctable et le pouvoir du président Kabila gagnerait à se mettant vite en conformité avec cette donne politique », nuance M.Litsani.

Une lecture partagée même du côté de la Majorité présidentielle. Interrogé par POLITICO.CD, un député qui a requis l’anonymat affirme en effet qu’il « est temps de tirer les leçons de tous ces changements autour de nous ».

« Je crois sincèrement que le Président sait lire les signes du temps et est prêt pour anticiper ces changements. De toutes les façons, la majorité est prête pour les élections, nous sommes prêts pour aller aux urnes et l’emporter. C’est à nos amis de l’opposition qu’il faut poser la question de savoir s’ils sont prêts », dit-t-il.

 

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