En Afrique du Sud: le paradoxe de la colère contre Kabila

A son arrivée en Afrique du Sud, prévue ce dimanche, le président Joseph Kabila trouvera des compatriotes en colère. Mais aussi et surtout désespérés. Retour sur une immigration majoritairement clandestine à haut risque

Yeoville. Nous sommes samedi. Le quartier, le « suburb », est situé au coeur même de Johannesbourg. Jadis peuplé par des riches, dominés par des juifs dans les années 1970, il est désormais le sanctuaire de la communauté des étrangers vivant en Afrique du Sud, et pauvre. « On se croirait à Kinshasa« , commente Jules, 45 ans, propriétaire d’un salon de coiffure.

Il est Congolais. Comme la majorité des habitants de Yeoville.  Ici, s’entassent ceux de la République démocratique du Congo qui arrivent sans rien, où qui n’ont pas trouvé mieux. Certains d’entre-eux sont là depuis plus de vingt ans. Sans documents, sans emploi. Jules, est ici depuis 2005. « J’ai quitté le Congo parce qu’il n’y a plus d’avenir. Le pays est vendu aux rwandais, dirigés par les Rwandais« , explique-t-il.

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En effet, comme la plupart des Congolais de la diaspora, ceux de l’Afrique du sud portent peu le Pouvoir de Kinshasa dans leurs coeurs. Les raisons, sont néanmoins multiples. C’est ce que nous cherchons à comprendre à travers ce voyage.

La vague de l’immigration vers l’Afrique du Sud est la même que celle vers l’Europe. Des milliers des Congolais quittent alors le pays pour chercher « un endroit meilleur ». Certains, qui ont plus de moyens, migrent vers l’Europe. Alors que d’autres, choisissent le pays de Nelson Mandela. Car, outre le vol d’avion, trois jours de bus depuis Lubumbashi, deuxième ville de la République démocratique du Congo, sans aucun visa, aident à atterrir dans ce pays où est censé couler le miel.

La dangereuse route vers « le paradis »

Le poste frontalier de Beitbridge

Pour comprendre l’immigration congolaise en Afrique du Sud, nous nous sommes rendus à Musina, première ville après le poste frontalier entre le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. Ici, des congolais, qui n’ont aucun moyen de prendre le bus pour Johannesbourg, située à plus de 600 Km, passent la nuit à la belle étoile. John, originaire de Lubumbashi, se confie. Il parle d’abord des passeurs. On les appellent les « Tindiqueurs », tiré du mot « Tindika » – pousser en Lingala. Ces hommes ont des sociétés de transports, parfois même juste à titre personnel. Ils prennent des candidats à l’immigration tout au long de la route qui mène de la ville cuprifère à Johannesbourg.

Le voyage est au plus bas à 200 USD. Mais finit toujours  par coûter plus que ça. « Ils prennent de l’argent, ensuite, en cours de route, vous êtes obligés de payer pour corrompre les policiers, ou même pour acheter de l’eau« , raconte le jeune-homme d’une vingtaine d’années. En effet, la route, de plus de 2300km, mène à la Zambie, avant de traverser le Zimbabwe, pour atteindre finalement la nation arc-en-ciel. En Zambie, il faut payer un visa officiel. D’une valeur qui varie, mais reste officiellement autour de 50 USD. Ceux qui n’ont rien à payer, passent par la brousse. La route de Mukambo.

Des passagers d’un bus vers la Zambie

« Parfois, on traverse de rivières, et ça peut prendre plusieurs jours rien que pour quitter Kasumbalesa [frontière RDC – Zambie] et atteindre Lusaka [la capitale]« , ajoute-t-il. En réalité, d’autres feront deux semaines pour parcourir les 1100 kilomètres qui séparent Lubumbashi et Harare, capitale du Zimbabwe, comme le rapporte Bijou, 36 ans. Elle est arrivée il y a une semaine. « Nous avons eu de la chance, moi j’avais un passeport et on a eu le visa de la Zambie. A partir de Lusaka, le Tindiqueur a disparu. J’ai rencontré d’autres congolais qui m’ont aidé à atteindre Harare [Zimbabwe]« , racconte-elle.

Le Zimbabwe est l’un des rares pays où les citoyens congolais n’ont pas besoin de visa pour s’y rendre. Ce qui rend les choses moins compliquées pour les migrants. C’est à la frontière avec l’Afrique du Sud que la situation se corse. Beitbridge est la ville commune entre le pays de Mugabe et celui de Zuma. C’est là que les migrants tentent le tout pour les tous. Ceux qui ont entre 1000 rands (environ 80 USD) et plus, y compris beaucoup de chances, arrivent à se faufiler pour se retrouver de l’autre côté.

Les coûts, non fixés peuvent atteindre les centaines de dollars américains « Tout dépend du Tindiqueur et de l’équipe en garde à la frontière » raconte Bijou. Car, ici, rien n’est officiel. Moyennant la petite somme, les gardiens font passer les migrants, depuis leurs bus, comme des Zimbambweens. Ces derniers n’ont pas besoin de visa pour fouler le sol Sud-africain, pour tout séjour de moins de 90 jours.

Une traversée des migrants. PH. DR.

Pour ceux qui n’auront pas ce qu’il faut, il y a un autre canal. La traversée de la rivière « à crocodiles ». En fait, le tracé de la frontière suit le cours du fleuve Limpopo depuis son confluent avec la rivière Shashe (souvent à sec), qui constitue le tripoint entre les deux pays et le Botswana,  situé au niveau du point de confluence avec la rivière Luvuvhu. Shashe et Luvuvhu sont donc les deux rivières réputées contenir de crocodiles. Bijou, qui n’a pas pu rejoindre l’Afrique du sud par le poste frontalier officiel, s’y est faufilée, en compagnie d’une vingtaine d’autres personnes dont des Congolais et des Zambiens.

« C‘était vers 10h, l’eau arrivait jusqu’aux genoux. Nous avions très peur. Le passeur, un Zimbambwéen, nous avez prévenu que l’armée sud africaine pouvait surgir et tirer sans sommation« , ranconte-t-elle. « Ca nous a pris environ 15 minutes« , ajoute-t-elle.

De l’autre côté, l’armée Sud-africaine n’est pas du tout menaçante. En réalité, les passeurs et les grades de l’armée, installés dans des guérites, sur quasiment tous les 500 mettres, renseignent plusieurs témoins, « travaillent » ensemble.  « Un bus vient vous prendre pour vous déposer à Musina. Et là, vous êtes en Afrique du sud. A vous de jouer« , lance John, en ricanant.

PH. DR.

Officiellement, l’armée sud-africaine arrête bien des migrants clandestins sur ses eaux. Ceux qui sont déjà arrivés sur le sol sud-africain, et sans identité, sont alors arrêtés et envoyés vers un centre de détention, en attendant de passer devant le Home Affairs (Service d’immigration), pour plaider leurs cas. Ceux du côté du Zimbabwe ou ayant gagné l’Afrique du Sud avec un passeport sont automatiquement refoulés vers leurs pays d’origine.

Devant le service d’immigration, où la police, le consigne est donné aux migrants de clamer venir demander l’asile. C’est à ce niveau que tout devient encore plus intéressant pour les Congolais. Car, il faut prétendre fouir le pouvoir de Joseph Kabila…une suite à lire demain sur Politico.cd.

Un récit de Litsani Choukran.

6 comments
  1. C’est malheureux quand on fuit son pays pour aller vivre le bonheur construit par les autres. Ces congolais doivent comprendre qu’il n’y a pas de paradis sur terre. Restons au pays se battre afin que les choses changent

  2. comme ça’ ? il faut me voir les larmes coulés avec cette lecture, svp, arretez, ne publiez plus, le monde entier sést reuni contre nos, mais certains nous reçoivent quand meme dant notre misÈre , nous qui sommes les plus riches du monde. Kabila et ses complices nous ont completement manqué de respect, nous leur tenons à lòeiil , d´ici peu ils vontpayer le pot cassé .
    merci

  3. Quand je pense qu’il y a des incrédules qui croient jusqu’aujourd’hui que l’AFDL était venu en libérateur?
    Kabila et ses amis en font que bâtir leurs propre malheur.

  4. Très beau documentaire pour les amoureux du texte. Par les lignes que j’ai parcouru, j’ai l’impression d’avoir été sur la route de misère vers le pays de l’arc-en-ciel.

    C’est vrai, on peut bien jeter des pierres sur nos frères et soeurs, nos compatriotes, qui prennent le risque d’emprunter cette route aux réalités mortelles. Nous sommes tous sans ignorer que notre passeport est le plus cher au monde, difficile de l’acquérir, il prend trop de temps, il y a trop de mafias dedans, alors qu’en réalité notre pays est classé troisième du bas vers le haut de la liste des pays pauvres. Comment voulez-vous que ce Congolais malmené de son Président jusqu’au Policier, pire encore aux agents de certaines Mairies, en passant par les ministres, députés, colonels, puisse vouloir rester au pays ?

    Une chose est certaine, le Congo, notre patrie, ne sera jamais construit par les étrangers ou nous-mêmes qui fuyons ce pays. Mais que faisons-nous ??? Nous qui restons au pays. Ne participons nous pas à cet état de choses par notre passivité ??? Car il est dit « Ceux qui font plus mal, c’est sont ceux qui regardent le mal sans rien faire» . Je me permets de dire nous sommes responsables de notre propre sort…

    Je hâte lire la suite…

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