Yuma, too big to fall?

Coincé au milieu d’un combat de pouvoir entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, Albert Yuma voit une étrange affaire à 200 millions resurgir de ses placards, au risque de le couler. Mais cet homme est sans doute trop grand pour tomber.

Trop gros pour tomber. Même si le terme originel est exactement : Too big to fail (trop gros pour faire faillite). Le cas prend son essence à la  crise des subprimes aux Etats-Unis où, entre 2007 et 2008, l’assureur AIG a été renfloué par le gouvernement américain pour éviter que sa faillite ne cause des pertes de l’ordre de 3 200 milliards de dollars au sein du système financier international. Sa faillite aurait entraîné celle de nombreux établissements bancaires avec lesquels il était lié. Dès lors, le « too big to fail » est un concept économique qui décrit la situation d’une banque ou toute autre institution financière dont la faillite aurait des conséquences systémiques désastreuses sur l’économie et qui par conséquent se retrouve renflouée par les pouvoirs publics dès lors que ce risque de faillite est avéré. Une réforme du système financier, initiée par Barack Obama en avril 2010 et concrétisée en particulier par le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, vise notamment à limiter la taille des banques.  Mais ces efforts n’arrivent cependant pas au Congo, encore moins lorsqu’il s’agit des hommes. En l’occurrence, ici nous parlons d’un des plus puissants du pays : Albert Yuma Mulimbi.

Le nationaliste minier

L’extérieur le voit comme un « anti-occidental », mais au Congo, c’est plutôt un nationaliste ; du moins, pour les gens de Kabila.  Né en 1955 à Kongolo, dans la province du Tanganyika, Albert Yuma est titulaire d’une maîtrise en administration et gestion financière de l’Université catholique de Louvain, il est aussi diplômé de l’Université libre de Bruxelles en gestion des entreprises. Il est à la fois président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), de la Conférence permanente des chambres consulaires africaines et francophones (CPCAF) et administrateur et président du comité d’audit de la Banque centrale du Congo. Et depuis 2011, il est aussi à la tête du conseil d’administration de la Gécamines.

Dans le Congo même populaire, c’est un homme à la calvitie légendaire, assez hautain, qui se sape toujours bien, et qui est très riche à jalouser crésus. Le Congo reste encore sonné de fêtes grandioses de mariages de ses filles qu’il a organisé au milieu de l’année. Les mauvaises langues affirment qu’elles auraient couté 200 millions de dollars. Une blague en référence au scandale qui nous amène à ce long papier.

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Mais ce technocrate commence sa carrière à Kinshasa, en 1983, au sein du groupe textile belge UTEXAfrica. Aujourd’hui, il reste administrateur et actionnaire de Texaf, l’héritier d’UTEX, largement reconverti dans l’immobilier. Il a par ailleurs des projets dans le textile et l’agroalimentaire. D’abord l’ami des occidentaux, avant de virer Sinophile, tenant un discours souverainiste et critique les investisseurs occidentaux, qui, selon lui, « ne versent pas une part suffisante de leurs revenus et bénéfices aux Congolais. »  Mais c’est surtout parce qu’entre-temps, en 2017, l’ONG Global Witness accuse la Gécamines de mauvaise gestion et de détournement de fonds. Elle signale en particulier la disparition de plusieurs centaines de millions de dollars de recettes publiques sous le mandat de Yuma. L’intéressé, lui, défend son bilan.

A l’opposée, Yuma a une place de choix dans le coeur de Joseph Kabila. Le Président de la Gécamines est alors logiquement grand ami à l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, actif dans le secteur minier et visé par des sanctions du Trésor des États-Unis.  En 2018, lorsque Joseph Kabila décidé de réviser le code minier, provoquant la colère des multinationales qui préféraient le code de 2001, qui leur été plus favorable, l’ancien président a trouvé en Yuma un des farouches défenseurs de son nouveau code, plus nationaliste et qui finira par être adopté.

Objet d’une bataille entre Tshisekedi et Kabila

Mais Yuma symbolise également une pomme de discorde entre Joseph Kabila, l’ancien président, et Félix Tshisekedi, le nouveau Chef d’Etat. Les dessous de cette bataille trouvent leurs motivations dans l’importance même de la Gécamines dans l’exercice du pouvoir au Congo. En effet, la Gécamines, ou Société générale des carrières et des mines, forme les mamelles sur lesquelles toute la République démocratique du Congo tète. Pour comprendre l’importance cruciale de ce groupe minier, sachez que les Belges, qui l’ont créé, ont été obligés de soutenir activement, et à prix d’or, la sécession du Katanga tout entier, dans le but de continuer à en garder le contrôle à l’issue de l’Indépendance. Sans être aussi riche que la firme américaine AIG, cette structure est la colonne vertébrale du pouvoir public en RDC.

Et donc, quand Félix Tshisekedi arrive au pouvoir en janvier dernier, c’est là-bas que le nouveau Chef de l’Etat tente de récupérer pleins pouvoirs. Conseillé dans l’ombre par Dany Banza, à la fois proche de Moïse Katumbi, mais plus proche du nouveau pouvoir issu des élections, Tshisekedi, n’arrivant pas à faire sauter Yuma, sur qui Kabila tient, au point de le proposer comme Premier ministre, signe des nouvelles ordonnances restructurant les pouvoirs au sein de la Gécamines. Les pouvoir de Yuma y sont amoindris. On lui colle un Directeur général, Sama Lukonde Kyenge, lui aussi jugé proche de Katumbi, mais surtout proche de Banza.  Mais ces ordonnances-là ne sauront jamais appliquées.

D’abord parce qu’elles sont illégales, car en effet, Félix Tshisekedi n’aurait pas consulté Bruno Tshibala, Premier ministre et membre de la coalition de Kabila, pour soutirer les pouvoirs à Yuma.  Ensuite, simplement parce que Tshibala étant démissionnaire, il n’aurait jamais pu contresigner une telle décision, surtout après qu’elles soient déjà annoncées. Mais la plus grande raison est simplement politique. Joseph Kabila a dit niet. Il tient donc à son Yuma.  Un nouveau round de discussions doit avoir lieu, et un « partage » plus équitable des responsabilités doit se faire entre Kabilistes et Tshisekedistes, qui se distribuent le pays.

Mais Yuma n’a pas le côté aux Etats-Unis. Sa proximité avec l’israélien Dan Gertler, lui-même sanctionné par Washington, gène énormément. De plus, l’Amérique ne veut plus entendre parler de Kabila, alors qu’elle prend Tshisekedi sous son épaule, au point de l’obliger à renoncer à un contrat avec des russes qui voulaient mettre pieds au Congo.  Dès lors, une bataille a lieu tant au niveau des coalitions au pouvoir, qu’au sein de la Gécamines elle-même.

Tenez, un bon matin, Geoges Kapiamba, défenseur attitré des Droits de l’homme, vocifère dans un document à couper le souffle. En somme, un scandale financier. « Un autre », s’exclame-t-on au Congo. Oui ! 200 millions de dollars américains sont situés entre un détournement et un blanchiment. Le tâtonnement n’a d’égale que le floue autour de cette affaire, pourtant sérieuse.

En octobre 2017, la Gécamines encaisse un prêt de 128 millions d’euros provenant de la société Fleurette Mumi, qui appartient à l’homme d’affaires Dan Gertler. Fin 2017, Dan Gertler et ses sociétés sont sanctionnés par le Trésor américain. Quand la créance arrive à échéance, la Gécamines refuse de la payer. Car par magie, c’est la société Ventora qui la réclame. Ventora qui se présente comme appartenant à Dan Gertler, en remplacement de la société… Fleurette Mumi.

200 millions de confusion

Louche ? Oui, mais tout serait légal. Alors pourquoi accuse-t-on Yuma ?  Les apparences semblent épargner le patron des patrons Congolais. Mais le fond est sombre. Dans un communiqué parvenu à POLITICO.CD, la Gécamines affirme que cet emprunt a servi à payer des impôts. Or, en juin, quand Félix Tshisekedi avait lancé son offensive sur la Gécamines, Kasongo Mwema Yamba Y’amba, un porte-parole présidentiel d’un autre genre, s’était lancé dans une diatribe dont lui seul le secret de fabrication. Il a notamment révélé que la Gécamines ne paie que 20 millions de dollars d’impôts chaque année. Dans le même temps, elle reçoit la redevance de contrats d’une vingtaine de multinationales. Kasongo Mwema Yamba Y’amba est allé jusqu’à mettre nommément en cause, Albert Yuma. « On comprend pourquoi l’ordonnance “dépouillant” Yuma de ses pouvoirs exorbitant dérange », a ajouté Kasongo Mwema Yamba Y’amba sur Twitter. Mais alors, pourquoi la Gécamines irait emprunter pour payer 20 ans d’impôts en avance. D’autant plus qu’en remboursant cet argent, la société étatique doit aujourd’hui plus de 28 millions de dollars d’intérêts à la société de Dan Gertler !

Toutefois, il n’y aurait pas preuve de détournement, renseignent plusieurs sources gouvernetales à POLITICO.CD. « Il y a bel et bien des preuves de l’encaissement de cette somme auprès de l’Etat comme paiement de fiscalité », affirme un membre du cabinet de l’ancien ministre des Finances à l’époque du dossier, Henri Yav  – Ce nom revient encore, après le scandale de 15 millions. Et donc si l’Etat congolais reconnaît avoir encaissé l’argent de l’emprunt de la Gécamines, Yuma serait donc abusivement accusé.

 «Too big to fail ». Yuma est néanmoins fortement secoué par ce scandale millimétré. D’autant plus qu’étrangement, le président Félix Tshisekedi, qui affirmait pourtant maintenir Yuma, envoie tout à coup son fameux porte-parole à la télévision nationale pour réaffirmer son soutien aux enquêtes en cours. Car, entre-temps, Yuma ne peut plus voyager. Lui et deux de ses administrateurs ont été débarqués d’un avion à N’djili, la justice est saisie. Dans la foulée du Communiqué du président Félix Tshisekedi, c’est l’Ambassadeur américain en poste à Kinshasa, Mike Hammer, encore lui, qui saute surtout l’occasion, rappelant le soutien de Washington à « la détermination d président Tshisekedi de lutter contre la corruption et de mettre fin à l’impunité ».

Pendant ce temps, si l’Etat congolais pourrait toujours confirmer officiellement avoir reçu ce paiement de la Gécamines, sans doute une simple histoire de documents, la faute morale n’est pas loin. Et donc, trop grand pour tomber, Yuma pourrait échapper sans doute à Makala, mais il confirmerait notre thèse en restant à la tête de la Gécamines.

Litsani Choukran.

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