A Yangambi, l’incroyable combat pour réanimer un géant

Lieu mythique, passage obligé des souverains belges, Jérusalem des Scientifiques de l’Environnement et des Forêts, la cité Yangambi, perchée le long du majestueux fleuve Congo, au cœur même de la RDC, symbolise aujourd’hui le paradoxe congolais : emblème d’un passé glorieux et d’un présent laborieux, mais surtout, théâtre d’une résilience désormais légendaire des populations courageuses et déterminées du Congo. Il reste également un levier pour l’avenir. Pour le monde, justement, il représente un des remparts contre le réchauffement climatique, mais également, un nid à solutions planétaires dans le domaine de l’agriculture. Durant une semaine, nous plongeons notre plume dans cette plaie que même l’Union Européenne tente de soigner.
Production d'huile de palme près de Yangambi, RDC. Photo par Axel Fassio / CIFOR

INTRODUCTION. « Laver un visage avec un doigt », l’expression prend tout son sens à Yangambi. Tel un Phoenix qui ne meurt, la contrée voit le monde, avec des moyens de bord, venir à sa rescousse, reconnaissant sa valeur inéluctable. Le Congo, qui l’a hérité de la Belgique, tente, depuis plus de 60 ans, de limiter le casse.  Mais jamais un territoire n’aura incarné à la fois une bonne mauvaise idée, mais également une leçon du passé et une route pour l’avenir.

Pourtant, le choix de Yangambi ne tombe pas du ciel comme le Coran de Mohamed depuis sa grotte de l’hégire. Non. Durant une enfance à la fois tendre et mouvementée, le Docteur Pierre Makambo Lisika n’aura cessé de magnifier ces lieux. Les décrivant comme un paradis. L’Eden des temps modernes. Professeur de Chimie, puis Docteur es Chimie organique du Pétrole, ce natif de Bumba, dans la Mongala, notre père, a pourtant tout connu : des laboratoires ultramodernes de l’Université de Poitiers au doux climat du Plateau des professeurs à l’Université de Kinshasa, en passant par Alger, Rabat et même le Caire en Egypte. Au pays, il grimpe tous les échelons jusqu’à tenir, pendant un moment, la main de Mobutu, avant de lui préférer à la cravate des années 1991.

« Father » qui a dirigé « l’Institut Facultaire Agronomique de Yangambi » durant seulement un an, affirme y avoir vécu la vie des dieux. Des telles proclamations te marquent à vie. D’autant plus que toute une grande partie d’une famille regroupée l’atteste, ayant été surplace avec lui. Trois ans après sa disparition inoubliable – il est mort dans mes bras à Pretoria, j’ai rapatrié sa dépouille le jour où je lançais POLITICO.CD – l’occasion m’est donnée de démentir sa prétention.

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Site de production d’huile de palme abandonné à Yangambi, RDC. Photo par Axel Fassio/CIFOR cifor.org forestsnews.cifor.org

Il avait certes raison !

  Quand on arrive à Kisangani, dès le moment où on place ses pointes de pieds dans un hors-bord en direction de cette cité pendue sur une des rives du majestueux fleuve Congo, tel un point d’observation, un arrêt obligé, regardant les eaux qu’elle défie non sans orgueil des dieux, on se sent vite dans la peau d’Adam, le premier homme. Eden est là. Le paradis. Le calme toise le silence.

On y respire l’air des déités. Et y vit sans soucis. La nature est d’une beauté de nymphe. On rêve de se pendre à ses lèvres et de monter plus haut, Dieu est surement dans les parages.  Du moins en apparence. Car revenir dans ces lieux fondés en 1933, qui ont connu des années de décadences avant même l’indépendance, en plus de deux guerres dont une mondiale, et l’autre incarnée par les fameux ravageurs rwandais… n’augurait de réalité romantique.

L’INERA a abandonné des structures le long du fleuve Congo, Yangambi, RDC. Photo par Axel Fassio / CIFOR cifor.org

Dès le port de Yangambi, du moins ce qui s’en approche le plus, le cadavre d’un passé glorieux s’étale, figé, face à un fleuve toujours aussi tranquille que coupable. Le passé est partout et ne rappelle rien de bon. Au contraire. Il pourrait vous faire plonger dans une amertume machinale. Un peu plus loin, des Bâtiment de l’INERA, l’institut phare. Cette cité n’était donc une bonne idée. Elle est construite autour d’une réserve naturelle, avec des terres qui ne pourront jamais appartenir à ses habitants. Ajoutez à cela, le fait que tout ici vit de perfusion permanente de Kinshasa, du monde entier, et bien souvent, sur tous les plans, des voisins. Yangambi ne produit rien, importe tout. Et quand elle tente de faire quelque chose, elle s’apprend à une forêt cruciale pour l’avenir de l’humanité

Mais le Congo restera une magie divine. Yangambi tient. Ses autochtones forment désormais une population qui se suffit. Leurs visages restent largement  plus épanouis que ceux des Kinshasa qui doivent crouler sous la pression constante et rouspéter à la moindre coupure d’électricité. Yangambi, sans eau potable ni électricité, voit, depuis trois ans, ses ressortissants, des congolais venus de partout, d’étranges blancs, et même des Camerounais, venir à sa rescousse. Tous, regroupés au sein d’un ambitieux projet dénommé FORETS « Formation, Recherche, Environnement dans la TShopo » , tentent de réanimer le géant, dans l’idée d’en faire un Phoenix capable de resurgir de ses cendres. « Le projet offre aux décideurs politiques, aux bailleurs de fonds et aux communautés des opportunités pour mieux comprendre la contribution des forêts à l’économie, la santé et le bien-être des communautés locales, et à la biodiversité régionale », explique-t-on.

Photo par Axel Fassio/CIFOR cifor.org forestsnews.cifor.org

A Yangambi, les habitants l’ont souvent regardé de loin. « Bomengo obèlè bino moko eh! [la richesse à vous seuls]», nous lance un petit garçon qui voit le 4×4 de l’Union Européenne – qui finance ce projet géré par le Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR) – passé. Comme partout, ces « blancs » qui ressemblent à des colons ont connu de la méfiance locale. Mais ce projet-ci est différent, il avance et se lie de plus en plus à l’avenir de Yangambi et de ses habitants, voire celui du Congo. Parce qu’ils lient la science au développement durable, la préservation de la nature à l’émergence d’un tissu économique local solide, la coopération momentanée à la pérennité, mais constituant aussi une porte d’entrée pour tous sortes d’interventions futures, l’Union Européenne et les congolais tracent, en ce projet, peut-être un modèle d’avenir.

Le temps de poser nos valises dans le seul hôtel du coin, le couvent des prêtes du Sacré – Cœur de Jésus, notre immersion commencera alors, nous amenant à explorer cette société dans toute sa profondeur. Tenez-vous bien.

Litsani Choukran,
Le Fondé

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