Denis Mukwege: le paradoxal Nobel de la RDC

C’est un sacre qui ne ferait pas sourire du côté pouvoir en République démocratique du Congo. Pour la première fois, un Congolais obtient le Prix Nobel de la paix. Le Docteur Denis Mukwege, qui est consacré pour son combat contre les violences sexuelles dans l’Est de la RDC, est néanmoins dans le collimateur du président Joseph Kabila. 

Le Docteur Denis Mukagwe  n’a « jamais changé d’un iota » sa position par rapport à la situation politique de la République Démocratique du Congo.  « Le Dr Mukwege invite le peuple congolais à s’inscrire dans la démarche d’une transition citoyenne pour construire ensemble les fondements d’une nouvelle société de paix, de justice sociale et de démocratie« . Cette sortie date du 24 septembre 2018. Elle témoigne la réalité paradoxale que vit le célèbre docteur congolais Denis Mukwege.

Une semaine plus tard, « l’homme qui répare les femmes » rafle le Prix Nobel de la paix. La plus haut distinction qu’un citoyen du monde puisse recevoir, enviée même par le président américain Donald Trump cette année. Pour autant, si le monde salue le Docteur congolais, dans son pays, nul n’oublie que ce dernier est devenu l’homme à abattre du côté du pouvoir.

Tentatives d’assassinat et bras de fer

Octobre 2012, le docteur Denis Mukwege est attaqué à son domicile de Bukavu, capitale du Sud-Kivu. L’un de ses employés est tué. Ce gynécologue, fondateur de l’hôpital Panzi qui vient en aide aux femmes victimes de viols, affirme alors ne pas  ne comprendre qui peut lui en vouloir.

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Fin décembre 2014, toujours à Bukavu, au sein de l’hôpital Panzi, on se prépare au passage à l’année 2015 en espérant qu’elle soit meilleure que la précédente. Le 29 décembre, le Docteur et son équipe apprennent une nouvelle incroyable. « Nous avons été surpris d’apprendre, le mardi 29 décembre, que la Direction générale des impôts (DGI) avait viré 43 millions de francs congolais du compte de l’hôpital de Panzi vers celui du Trésor public« , racontera le docteur Grâce Muhima, présidente de l’assemblée générale de Panzi à Jeune Afrique.

C’est le résultat d’un étrange contentieux entre le fisc congolais et les responsables de l’hôpital. L’administration lui réclame en effet plusieurs centaines de milliers de dollars en vertu de l’impôt professionnel sur la rémunération. La direction de l’hôpital crie quant à elle à l’injustice.

En 2015, les autorités congolaises interdisent étrangement la diffusion du film «L’homme qui répare les femmes – La colère d’Hippocrate» », consacré à l’œuvre du célèbre chirurgien congolais,  qui a pourtant reçu plusieurs prix internationaux, mais il était jusque-là interdit de diffusion en RDC. Kinshasa fait alors savoir que ce documentaire témoignait d’une « volonté manifeste de nuire » à l’armée congolaise et de « salir » son image. Le porte-parole du gouvernement, le ministre Lambert Mende, avait alors accusé le cinéaste belge Thierry Michel, auteur de plusieurs films sur le Congo, de faire mentir dans son commentaire, les témoignages de personnes apparaissant à l’écran.

Mukwege et une transition sans Kabila

Cet épisode témoigne en réalité un long bras de fer entre ce Docteur devenu trop gênant et le pouvoir, dont les officiers de l’armée sont systématiquement accusés d’être à la base de certaines attaques contre les populations civiles dans l’Est. Dans l’Est justement, le Docteur Mukwege échappera également à plusieurs attentats contre sa vie.

Dans cette configuration, tout en parcourant le monde et surtout en étant reconnu pour sa lutte notamment en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, le Docteur congolais se radicalise  le 28 mai dernier à Bruxelles, où il appelle, dans une conférence de presse, à instauration une transition sans le président Kabila à la tête du pays.

« La République démocratique du Congo est à la croisée de chemins de son histoire sociopolitique et humanitaire ainsi que des mandats autorisés par la Constitution. Après avoir passé dix-sept ans au pouvoir, épuisé les deux mandats autorisés par la Constitution, glissé pour la deuxième fois, le régime en place cherche les voies et moyens de rester au pouvoir au mépris de notre Constitution», a-t-il dénoncé.

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Tout logiquement, ce matin, le ministre Lambert Mende, obligé de reconnaître cette consécration du Docteur congolais, lance néanmoins des félicitations teintées de justification et mises en garde.  Le porte-parole du gouvernement affirme qu’il « n’a pas toujours été d’accord et continuera à ne pas l’être…, parce que l’humanitaire est sacré et ne doit pas être mêlé à des choses politiques »

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A Top Congo, Lambert Mende confie: « Nous avons des problèmes avec lui (Dr. Mukwege) lorsqu’il veut mélanger la chèvre et le chou en rendant le gouvernement coupable de ces violences » et prévient que « chaque fois qu’il fera cette confusion, nous le rappellerons à l’ordre ».

Cependant, l’espace d’une journée, les victimes des violences sexuelles ont été consacrées. A Bukavu, les activistes des droits de l’homme et des mouvements citoyens ont exulté de joie aux côtés de la population à l’annonce du prix du Docteur Mukwege, lui témoignant une reconnaissance que les autorités lui confisquent. Cette reconnaissance, l’homme la dédie néanmoins aux seules courageuses congolaises meurtries de ce coin du pays.

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