Rencontre avec Félix Tshisekedi : l’héritier du Sphinx

 Il est rond, joufflu et peu charismatique. C’est la description que me fait un cadre de la majorité au pouvoir lorsqu’il s’agit de Félix Tshisekedi. A 55 ans, le fils d’Etienne Tshisekedi a l’image d’un « enfant parvenu », celui dont l’avenir est tout tracé. « Il n’a rien de son père que le monière qu’il porte à longueur de jours. Tshisekedi lui a légué une boutique, facile à faire tourner. Mais il n’a de lui que le nom et il lui faudra bien plus », dit ce député qui cache son nom.

Pour tâter la réalité, j’ai été à Limete, au Saint-Sanctuaire Tshisekediste, pour rencontrer l’homme. Nous sommes en début mars. Une forte pluie envahie soudain le ciel peu après-midi. Je suis accueilli par Michée Mulumba, son ombre. Une centaine de personnes peuplent le lieu. La parcelle est envahie de proches et courtisans, aux allures d’une église. « Certains sont ici pour rencontrer Fatshi, d’autres viennent juste comme ça », me dit-il.

Il n’est pas Tshisekedi

Deux heures après, je suis nez à nez avec l’homme : simple, et souvent souriant. Loin du père donc. Félix-Antoine Tshilombo n’est pas Tshisekedi. Il le sait. Il parle ouvertement, et semble plus « souffle ». Mais a le même engagement, du moins l’affirme. Il rêve d’un Congo « libéré de Kabila », un Congo démocratique. Démocratie, richesses, cobalt, Moïse Katumbi. Félix, qui ne tutoie jamais, est vraiment ouvert.

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En filigrane de cette rencontre, il est donné depuis plusieurs semaines sur le point de rejoindre Kabila dans un « deal » autour du prochain gouvernement. Lui et son allié Moïse Katumbi, dit-on dans les rues, seraient en froid. « Il en est pas question », clame-t-il, sans toutefois être catégorique. En fait, lui ne voit pas les choses comme son père. Félix Tshisekedi voit Katumbi comme « un ami ». « C’est un homme réglo, et il est engagé dans notre lutte ». La fameuse lutte, propre aux Tshisekedi,  il ira jusqu’à me demander si j’y suis.

Durant 45 minutes, c’est un autre homme que je découvre. Pas très posé certes, qui a souvent envie d’exploser lorsqu’il tient tant à se faire comprendre. Mais loin de l’image publique. Félix est en réalité à la place de son père. Ici, il est déjà, et depuis longtemps, considéré comme le père : il trône haut dans cette cour où tous sont presque courbés rien qu’en évoquant son nom. C’est aussi et surtout cela être Tshisekedi.

Mais c’est un Tshisekedi

Pour le côté politique, Étienne Tshisekedi ne s’est pas du tout réincarné. Lui, Docteur, aux multiples diplômes, a un successeur dont le CV est moqué sur les réseaux sociaux, et qui pense avoir comme profession : homme politique. Cependant, le Félix Tshisekedi que j’ai rencontré en cette fin de journée-là, ne démérite pas. Il reste, de par sa cohérence de pensée, sa fougue et sa volonté affichée, un des hommes éclairés de cette génération qui se recherche. Il veut des médias indépendants, la liberté pour tous, un Congo développé, que les ressources minières profitent réellement aux Congolais, la fin de la corruption, la paix… que des bonnes intentions qu’il atténue par la réalité. Qu’il n’oublie certes.

A la tête de l’UDPS, candidat Président, Félix devrait continuer à incarner l’esprit Tshisekedi. Lui qui le montre si bien depuis un moment : coincé entre les velléités de Moïse Katumbi, qui tient tant à devenir Président, et un Joseph Kabila qui ne jure que par son pouvoir, il a su rester indépendant, tenant semble-t-il tête aux offres des part et d’autre. Un homme qui a toutes les cartes entre ses mains : s’isoler comme père et devenir ainsi le nouveau Sphinx, ou tenter la Realpolitik et obtenir quelque chose de cet héritage et sa lutte qui s’effritent dans ce Congo toujours aussi tourmenté qu’imprévisible.

Au centre du jeu politique

Son bilan à la tête du Rassemblement, principale coalition de l’opposition en RDC, est en demi-teinte. Il a notamment été décrié pour des maladresses et une incapacité visible à diriger ce mammouth de l’opposition. Cependant, à l’UDPS, il l’est peut-être là où il devrait être. Ici, c’est sa maison. Et même Joseph Kabila le sait. La décision du Conseil de suivi de l’accord, qui accorde la paternité de ce parti historique au fils de Tshisekedi, n’est pas un hasard. Fruit sans doute d’un calcul politique qui fait de Félix Tshisekedi un acteur majeur des prochaines échéances politiques. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder la ruée d’hommes politiques de l’opposition le vendredi dernier à l’ouverture de ce Congrès qui l’a consacré.

Avec la reconnaissance officielle, Kabila enterre également sa stratégie de dédoublement et les débauchés comme Bruno Tshibala : une accalmie qui devrait bientôt réactiver le dossier des funérailles du Sphinx coincé dans une morgue Bruxelloise depuis plus d’un an ; histoire de relancer des discussions entre Joseph et Félix.

En embuscade, Moïse Katumbi lorgne. Frappé par le scandale de double nationalité, l’ancien gouverneur du Katanga verrait Félix Tshisekedi à la fois comme un « rival », et une alternative à son impossible candidature à la Présidentielle. Un puzzle qui fait du fils de Tshisekedi une nymphe bientôt tant convoitée ; ce qui rappelle un certain Étienne Tshisekedi-wa-Mulumba.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

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