Kinshasa, une capitale qui se prépare à l’imprévisible

Samedi 30 décembre 2017, nous sommes à 48 heures de 2018, mais surtout à 24 heures d’un 31 décembre qui revêt désormais une coloration toute particulière.  Au Boulevard du 30 juin, colonne vertébrale de la circulation routière qui donne accès aux nombreux magasins et centre d’affaires qui jalonnent ce centre-ville, d’une mégalopole de plus de 12 millions d’habitants, la fièvre qui entoure habituellement cette période de fin d’année est atypique.

Si des dizaines de milliers de kinois se ruent vers le Grand marché de Zando, ils y vont avec une attention autre que celle de se préparer à célébrer le nouvel an à venir. Comme l’explique Jean, enseignant, trentaine révolue. « On se prépare au pire, on ne sait pas ce qui va se passer demain, alors je préfère acheter de la provision plutôt que des habits« .

Entre réveillon et révolution

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Jean fait sans doute allusion à la marche des chrétiens programmée pour demain, le 31 décembre. Soutenus par les opposants et les plateformes de la société civile, ces Laïcs annoncent une grande mobilisation pour réclamer l’application de l’accord signé le 31 décembre 2016, et qui n’aurait jamais été respecté par le pouvoir du président Joseph Kabila.

Comme ce Kinois, tant d’autres sillonnent les rues fortement délabrées de ce marché central de Zando, qui porte encore les stigmates d’un pays de plus en plus en décadence. Thérèse, une commerçante, se plaint, elle, du manque d’engouement, celui de clients. « C’est le pire 31 décembre de toute ma vie, ça ne s’est jamais fait. On a jamais vu autant de désintérêt, il n’y a personne pour acheter quoi que ce soit, c’est incroyable« , exagère-t-elle un peu.

En réalité, Thérèse vend de vêtements de friperie, dit ici « Tombola ». A Kinshasa, les fêtes de nouvel an ont pour coutume de voir des parents acheter de nouveaux vêtements à leurs familles. Ceux qui ne peuvent acheter du prêt-à-porter, se faufilent le long des tunnels du célèbre quartier « Kato », pour dénicher de la bonne friperie.  Il ne sont pas là aujourd’hui, c’est le marché des vivres frais et de la provision de première nécessité qui bat le plein.

Les photos sont interdites, interrompt brusquement un agent de l’ordre, prêt à l’arrestation. « Je vous ai repéré depuis votre arrivée« , nous dit-il. Selon son code pénal à lui, il est interdit de prendre des images de ces lieux en putréfaction. « Vous allez vendre ça à l’étranger pour montrer à quel point notre pays est sale« , explique-t-il. Il nous laisse partir contre la suppression des images.

« Demain c’est la fin du monde »

En quittant le marché, en direction du Boulevard du 30 juin, on s’engouffre de nouveau dans ces embouteillages monstres de Kinshasa, occasionnés la plupart du temps par une conduite au volant à défier le célèbre Fast and Furious.  A chaque borne, la conversation est presque pareille, très politisée, et très alarmante.

« Demain c’est la fin du monde« , lance un passant avec sourire. « Il n’y aura rien, les Kinois sont des peureux« , répond un autre en riant. Ils ne perdent pourtant pas leur gaieté, ces fantastiques kinois, qui croulent pourtant sous une situation économique sans précédent.

En effet, la crise politique qui ravage le pays laisse une situation économique volatile et catastrophique. Aux salariés longtemps impayés, on retrouve également une majorité de la population adulte qui chôme, et qui vit à moins d’un dollar par jour.

« Kabila, demain on va en finir à toi« , s’écrit tout à coup un Shegue, les célèbres enfants de rue de Kinshasa. Comme lui, plusieurs ici ressentent une volonté ferme de descendre dans la rue demain, dans cette ville où le président Kabila, dont le mandat a expiré depuis l’année dernière, incarne toutes les frustrations.

Le réveillon attendra, le duel qui se peaufine dans les coulisses, entre révolution et contre-révolution, prend le dessus sur la volonté pourtant inébranlable des Congolais à célébrer la vie. Si certains préfèrent juste « mourir » verre à la main durant la nuit de la Saint-Sylvestre, beaucoup craignent des débordements, alors que les plus mobilisés ont hâte de descendre dans l’arène, où les attendent les forces de l’ordre qui devraient une fois de plus trouver le juste ton.

Depuis Kinshasa,
Litsani Choukran.

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