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L’Angola: vers l’Eltsinisation de l’alternance au pouvoir et l’impact sur la RDC? (Part 1)

« Les Grandes Idées », c’est une tribune accordée aux intelligences congolaises pour apporter un regard prospectif sur les grands enjeux politiques de la RDC et de l’Afrique médiane. Jean-Jacques Wondo ouvre cette rubrique avec une tribune tout aussi profonde que riche en enseignement. Wondo est un scientifique de terrain dont l’oeuvre touche la sécurité, la diplomatie et la politique dans sa globalité. Ce regard prospectif sur le futur Angola et les conséquences sur la RDC est présenté en trois temps sur politico.cd. Sur cette première partie, JJ Wondo y va avec maestria, mais avec un langage étonnamment accessible. Alors politiquons!

wondoLa déclaration du retrait de la vie politique en 2018 du président angolais Edouardo Dos Santos a fait l’objet d’une onde de choc politique dans la région de l’Afrique médiane et pourrait donner des insomnies à ses pairs régionaux.

Quelle lecture transversale faire de cette déclaration? 

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L’analyse des questions politiques et sécuritaires, Jean-Jacques Wondo, co-auteur d’une analyse stratégique sur l’Angola : « La posture régionale de l’Angola : entre politique d’influence et affirmation de puissance »[1] avec le think tank belge GRIP livre quelques points de repères politiques et stratégiques.

Tout d’abord, le facteur le plus important qui pourrait expliquer ou qui contraint Eduardo Dos Santos au retrait politique est son état de santé jugé fragile et son âge avancé, 73 ans dont près de 40 ans passés au pouvoir. La preuve en est que depuis le samedi 12 mars 2016 vers 14 heures, une folle rumeur lancée sur le site de microblogging et qui a fait le tour des réseaux sociaux, annonçait la mort du président angolais José Eduardo Dos Santos. Mais l’entourage présidentiel a laconiquement « démenti formellement » le décès de Dos Santos. Cependant, ce n’est pas la première fois que Dos Santos est annoncé pour mort. Il s’agit là d’un indice sérieux de la fragilité de l’état de santé de Dos Santos qui incite à spéculer sur son décès. Il n’est donc pas exclu que son retrait politique soit effectivement lié par son état de santé chancelant.

Mieux vaut prévenir que guérir

Par sa décision de prendre congé de la vie politique, le président angolais, quoi qu’incertain de rester en vie jusqu’aux élections de 2017, veut s’assurer d’une transition démocratique à la Boris Eltsine et non pas à la « Poutine – Medvedev ». Cette dernière formule veut que Poutine se retire stratégiquement du pouvoir, sans en perdre le contrôle, au profit d’un dauphin qui lui est totalement inféodé, pour y revenir par la suite ; question de se conformer à la constitution qui lui interdit de briguer trois mandats successivement.

Au contraire, par la formule du type « Eltsine », le parrain Dos Santos compte encadrer sa succession en choisissant un dauphin-filleul à imposer à tout le monde. Dans sa déclaration, il précise bien vouloir se retirer en 2018. En d’autres mots, après qu’il se soit assuré que les élections de 2017 se soient bien déroulées, d’une part et que l’alternance au pouvoir s’effectue progressivement après une période de transition comprise entre 2017 et 2018, placée sous son encadrement politique, d’autre part. Il est ici surtout question pour Dos Santos d’aider son successeur à bénéficier non pas seulement de la légalité du pouvoir conférée par la régularité de son élection, puisque le président angolais est élu sur la base d’un scrutin indirect, donc difficile à évaluer son degré de légitimité populaire, mais surtout de bénéficier d’une légitimité morale du fait du fait de son parrainage politique du nouveau président. La figure politique, historique, patriotique et charismatique d’Eduardo Dos Santos, incontestée, malgré sa gouvernance de plus en plus décriée ces derniers temps, peut servir de couverture ou d’assurance morale pour légitimer le futur président angolais.

Toutefois, l’attention des analystes sera principalement tournée vers les répercussions politiques internes en termes de guerre de succession. Sauf imprévu, il s’agira plus que probablement d’une succession de palais, c’est-à-dire interne au sein du MPLA, le parti présidentiel exerçant un pouvoir quasi monopolistique dans toutes les institutions du pays depuis la fin des 27 ans de guerre civile, croit-on comprendre au regard  de la constitution du pays. Et pour cause, en 2010, le président angolais a fait réviser la Constitution pour supprimer la présidentielle directe et instaurer des législatives à l’issue desquelles le chef du principal parti, le MPLA de surcroît, était censé remporter la présidence, sans avoir besoin de majorité absolue, se réservant ainsi la possibilité de faire encore deux mandats de cinq ans.

Des paramètres qui peuvent entrer en considération pour le profil du futur successeur de Dos Santos

Le facteur continuité idéologique et politico-militaire qui veut que le futur président fasse preuve d’une bonne maîtrise de la vision politique et géopolitique incarnée par Dos Santos durant son long parcours politique marqué par une certaine fermeté et rigidité dans la lutte populaire contre la rébellion de l’UNITA, privilégierait plutôt l’arrière-garde militaire de Santos.

Dans ce registre, le général d’armée Hélder Vieira Dias dit Kopelipa, le chef de la maison militaire du président Eduardo Dos Santos et le général d’armée Gerald Sachipengo Nunda, l’ex-commandant de l’UNITA et actuel chef d’état-major général des FAA (Forças Armadas Angolanas), qui a réussi une excellente intégration politique et militaire au sein de l’armée angolaise après le brassage de 2002, partent favoris. Ces généraux pourraient incarner la stabilité du pays et défendre son statut régional actuel de puissance militaire de la région. Le général Kopelipa, de par son poids militaire sur le terrain et son emprise financière, partirait favori à la régulière ou en cas de révolution de palais. Kopelipa est le chef des affaires militaires auprès de la présidence et homme fort du régime, depuis la chute de l’ancien chef du service du renseignement extérieur, le général Fernando Garcia Miala. Kopelipa dirige aussi le cabinet de reconstruction nationale, l’organe créé pour gérer et investir les sept milliards de dollars US prêtés par la Chine[1]. Le passé rebelle de Nunda jouerait en sa défaveur.

Malgré sa mise à l’écart précipité en janvier 2006, victime de sa popularité après avoir créé une fondation en faveur des orphelins, le général Fernando Miala limogé, rétrogradé et mis à la retraite précoce, reste un outsider dont il ne faudrait surtout pas sous-estimer son potentiel politique dans la course officielle ou irrégulière à la succession de Dos Santos.

Mais avec un Angola de plus en plus tourné vers la modernité et ouvert au monde grâce à ses ressources pétrolières, un président rompu au management moderne et issu du monde économique et financier pourrait aussi faire l’affaire. Or, les militaires angolais du cercle de Dos Santos sont plutôt réputés pour leur kleptomanie. C’est le cas du général oligarque Kopelipa qui traîne des casseroles sales derrière lui.

Dans ce profil « gouvernance et modernité », la fille aînée de Dos Santos, la métisse née d’un premier mariage avec une Russe, Isabel Dos Santos part favorite. Agée de 41 ans, épouse du richissime collectionneur d’arts et homme d’affaires congolais qui détient la plus importante collection d’art africain, Sindika Dokolo, Isabel Dos Santos présente un profil qui lui permet de jouer aux avant-postes en 2017. Elle a été plébiscitée en 2011 par le magazine Forbes comme la femme la plus riche et la plus puissante d’Afrique. A ce statut, elle est considérée à la fois comme l’argentier du régime et en même temps sa figure de modernité. Isabel est à la tête d’un empire industriel bien implantée au Portugal, l’ancienne puissance coloniale. Elle est très active dans les secteurs bancaire, des médias et communications, de la cimenterie et la construction, de la grande distribution, l’énergie et les diamants, sans toutefois s’identifier à la bourgeoisie qui gravite autour du pouvoir[2]. Un régime en quête de rayonnement international[3] et de séduction de l’univers financier mondial peut miser sur l’immense réseautage qu’Isabel a tissé en plus du carnet d’adresses diplomatiques et politiques de son père qui pourra aussi être parrain et son premier coach qui l’accompagnera dans ses premiers pas politiques. En effet, au cours des deux dernières années, la présidence angolaise est devenue plus ambitieuse internationalement, ce qui peut signifier que le président Dos Santos cherche à léguer un héritage après trois décennies de pouvoir »[4]. L’Angola se profile comme une puissance régionale dont l’avis et le soutien comptent dans la résolution des problèmes géopolitiques[5].

Cependant, la réussite d’Isabel dans le monde des affaires ne lui garantit pas a priori un succès dans l’arène politique remplie de requins de tous bords. Surtout que cette succession risque d’avoir lieu dans une période agitée d’extrême crise économique sans précédent aux conséquences sociales imprévisibles. En effet, depuis septembre 2011, l’Angola est confronté à des manifestations populaires récurrentes de contestation du régime par des mouvements citoyens des jeunes[6] dont le régime arrive difficilement à étouffer.

Un autre prétendant sérieux à la présidence et dauphin de Dos Santos est un nouveau baron du régime, Manuel Vicente, l’actuel ministre de la Coordination économique et ancien patron de la Sonangol, la très puissante compagnie pétrolière nationale. Ce n’est pas pour rien qu’aux élections de 2012, le comité central du parti au pouvoir, le MPLA, l’a désigné comme colistier et tête de liste aux côtés président Dos Santos. Interrogé par l’AFP, l’analyste politique Victor Ales a estimé que « la désignation par le comité central du MPLA de Dos Santos et Vicente n’est pas une surprise car le leader du parti au pouvoir avait déjà choisi M. Vicente comme son dauphin, en dépit de critiques de la vieille garde du parti dues au manque d’expérience politique et au peu de militance au sein du MPLA de son protégé[7] ». Âgé de 60 ans, Manuel Vicente, ce pur produit e de la classe moyenne luandaise est un ingénieur diplômé de l’université Agostinho-Neto, puis à l’Imperial College de Londres et aux États-Unis. Rentré au pays en 1987, il intègre la Sonangol où il gravit progressivement les échelons pour en être nommé au poste de directeur général en 1999. Il y est resté douze ans et a transformé une entreprise vieillissante en un puissant groupe multinational, assurant de confortables revenus à l’État avec une production de près de 2 millions de barils par jour et investissant dans de multiples secteurs et sociétés étrangères[8]. Parrain de la fille d’Isabel dos Santos, Manuel Vicente fait partie de la famille. Lui transmettre le pouvoir permettrait au président angolais de s’assurer une retraite tranquille à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires pour corruption, loin des conflits avec les mécontents du MPLA. Toutefois, le choix de Manuel Vicente ne fait pas l’unanimité. Il provoque même des remous au sein du parti au pouvoir. Son ascension ne passe pas auprès de la vieille garde du MPLA, celle qui s’est battue pour l’indépendance du pays. « Manuel Vicente n’a jamais combattu, il n’a jamais été un homme fort du MPLA [il en a rejoint le bureau politique en 2009, N]. Il n’a donc pas les prérequis habituels pour être soutenu par le parti », rappelle Markus Weimer, de l’institut Chatham House à Londres, spécialiste de l’Angola. Il ne dispose pas non plus d’appuis au sein de l’armée, à l’opposé de José Eduardo dos Santos, le « libérateur » et « pacificateur » du pays[9].  Son image d’homme d’affaires mêlant intérêts publics et privés, décriés par tous, constituent son point faible[10].

Rendez-vous ce samedi pour la suite de ce N° de Grandes Idées sur politico.cd. Notre expert s’étalera sur les enjeux économiques et militaires.

[1]POLITIQUE AFRICAINE N-110 – L’Angola dans la paix. Autoritarisme et reconversions.

[2] http://www.slateafrique.com/93705/angola-dos-santos-le-machiavel-de-afrique.

[3] C’est ce qu’a affirmé à l’AFP Alex Vines du think tank britannique Chatham House.

[4] http://www.france24.com/fr/20140429-angola-france-diplomatie-dos-santos-hollande-elysee-petrole-total-centrafrique/, 29 avril 2014.

[5] Alex Zaka , Angola : La voie de la reconnaissance internationale, http://news.abidjan.net/h/510896.html, 18 septembre 2014.

[6] Samedi 03 Septembre 2011, centaines de jeunes de Luanda, capitale de l’Angola sont descendus dans les rues pour manifester contre la dictature de plus de 32 ans de misère et de la pauvreté extrême et sans la liberté. Les voix soulevées par les jeunes manifestants, alléguées la démission de José Eduardo dos Santos à la présidence de la République de l’Angola et de son gouvernement dit de mafieux corrompus. http://plus.lefigaro.fr/note/la-constitution-angolaise-violee-par-son-auteur-20110917-550025.

[7] http://www.slateafrique.com/89197/angola-le-president-dos-santos-et-son-dauphin-vicente-la-tete-du-mpla.

[8] http://www.jeuneafrique.com/140197/politique/angola-manuel-vicente-dans-l-ombre-de-dos-santos/.

[9] http://www.jeuneafrique.com/140197/politique/angola-manuel-vicente-dans-l-ombre-de-dos-santos/.

[10] http://www.jeuneafrique.com/140197/politique/angola-manuel-vicente-dans-l-ombre-de-dos-santos/.

[1] http://www.grip.org/fr/node/1760#sthash.QrI9Usk6.dpuf.

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