RDC: les manifestations de l’opposition à l’ère de l’état de droit

Tout commence à Lubumbashi, chef-lieu de la province du Haut-Katanga.

Un certain vendredi du mois d’avril, quatre leaders de l’opposition, dont Moïse Katumbi d’Ensemble pour la République, Martin Fayulu de l’Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECiDé), Delly Sesanga d’Envol et de l’ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo, aussi président du parti politique Leadership et gouvernance pour le développement (LGD), tous candidats déclarés à la présidentielle de décembre prochain en République démocratique du Congo, donnent le signal de départ d’actions communes contre le pouvoir du président Félix Tshisekedi.

A la fin de leur réunion loin des caméras, le quatuor de l’opposition annonce que l’objectif de cette coalition n’est pas de la candidature commune de l’Opposition mais plutôt de conjuguer les efforts, mutualiser les forces et mettre ensemble les énergies pour empêcher la « fraude électorale et le chaos » que planifierait, la commission électorale nationale indépendante, dirigée par son président Dénis Kadima.

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Devant la presse, Martin Fayulu, Matata Ponyo, Moïse Katumbi, Delly Sesanga dénoncent que « l’injustice, l’impunité, le népotisme et le tribalisme » sont devenus un mode de gestion par excellence du pouvoir actuel sur fond de « dégradation dramatique de la situation sécuritaire, économique, sociale et politique ».

D’après eux, l’insécurité généralisée règne sur tout le territoire national. Les violences et les tueries règnent dans le grand Kivu et l’Ituri qui s’étendent maintenant sur d’autres parties du pays, notamment dans le Haut-Katanga, Maï-Ndombe, Kwilu et la partie Est de Kinshasa. A les en croire, cette situation est due à la défaillance de l’État et la volonté de certains pays voisins.

Avant l’état de droit égal après l’état de droit

Dans la foulée de leur réunion, les 4 personnalités annoncent à grande pompe une grande marche le 13 mai à Kinshasa pour dire non à la vie chère, l’insécurité, un nouveau hold-up électoral manigancé par la CENI en faveur d’un deuxième mandat pour l’actuel président Félix Tshisekedi. Seulement cette marche n’aura plus lieu à la date prévue.

En effet, après échange avec Gentiny Ngobila, gouverneur de la ville de Kinshasa, Moïse Katumbi qui a fait le déplacement de Lubumbashi et ses compères décident finalement de décaler la marche d’une semaine soit le 20 mai.

A 48 heures de la marche, le gouverneur reçoit une fois de plus les caciques de l’opposition pour harmoniser les vues. Lors de cette rencontre, les deux parties se séparent en queu de poisson après que le gouverneur a décidé d’autoriser à la même date, trois manifestations dont celles de l’opposition ( Rond point sakombi-via Avenue Kasa Vubu-via Victoire pour chuter à la place YMCA), de la jeunesse de l’UDPS/Union sacrée (Rond point Ngaba jusqu’à saint Raphaël) ainsi que de son propre parti politique, ACP, au terrain municipal de Masina.

Dans le rang de l’opposition, cette pratique autrefois dénoncée par l’actuel Chef de l’Etat qui consiste à programmer plusieurs manifestations le même jour, visait tout simplement à limiter sa marche.

L’itinéraire puisque c’est de ça qu’il s’agit, l’opposition et l’exécutif provincial se livrent alors à un bras de fer. Pendant que l’opposition décide de passer outre la décision de l’autorité urbaine de ne marcher que sur le seul itinéraire en commençant par la Place Sakombi pour s’arrêter à YMCA en passant l’avenue Kasavubu, l’hôtel de ville de Kinshasa intime l’ordre à la police nationale congolaise d’empêcher les manifestations qui devraient se tenir de la Place Super/Lemba au siège du parti de Martin Fayulu [ECiDé] en passant par le boulevard Lumumba.

« Celui qui ne va pas respecter les itinéraires, qu’il soit de l’Opposition ou de la Majorité, va trouver la Police sur son chemin », prévient le commandant de la PNC/Kinshasa à la veille de la manifestation.

Chose promise, chose due. Tôt le matin de ce samedi 20 mai, la police se déploie sur terrain avec un dispositif musclé. Peu avant même la manifestation de l’opposition, c’est le reporter de POLITICO.DC qui est arrêté et placé en garde à vue dans un fourgon blindé de la
PNC à Lemba où il s’était installé pour avoir filmé les policiers selon la commandante du sousciat.

Quelques heures plus tard, une foule de manifestants a été violemment réprimée par les éléments des forces de l’ordre à coups de gaz lacrymogènes et de balles réelles.

Moïse Katumbi, co-organisateur de cette manifestation à la base pacifique, dénonce les méthodes rétrogrades combattues sous Kabila et charge Tshisekedi, son ancien partenaire d’abord au sein de la coalition Lamuka, ensuite dans l’Union sacrée de la nation d’en être responsable.

« Les policiers sont en train de tirer avec des gaz lacrymogènes, au début c’était des balles réelles et tout ça c’est monsieur Tshisekedi. Nous étions avec lui dans l’opposition et si on ne doit même pas respecter la population congolaise qui veut marcher parce qu’il y a la vie et rien qui ne marche dans le pays. Il y a de la corruption… c’est triste. Il doit revoir ce qu’on se disait dans le temps qu’on doit sauver le peuple congolais et non lui faire du mal. Si ça venait de quelqu’un d’autre, je serais d’accord mais pas Félix Tshisekedi. C’est vraiment triste », a regretté le président national du parti politique Ensemble pour la République.

Selon lui, Félix Tshisekedi reproduit ce qu’il a combattu pendant qu’il était dans l’opposition.

« Si je me rappelle de notre combat dans le temps c’était pour libérer les congolais de la misère mais c’est vraiment très triste aujourd’hui. Je crois que le président Félix Tshisekedi doit réfléchir deux fois. Il n’y a plus de police, les gens qui marchaient librement ont été réprimés », a déploré Katumbi.

Sur la toile, des images de cette répression ne laissent personne indifférent. Les réactions fusent de partout.

Le député national Claudel Lubaya a dénoncé un recul démocratique et d’une dérive autoritaire alarmante qui affecte le processus électoral et éloigne toute perspective de construction d’un État de droit.

https://twitter.com/lubayaclaudel/status/1659934697466605572?s=46&t=55l64MmooXGX3QIveBAWRw

Choqué, le prix Nobel de la paix le docteur Denis Mukwege a pour sa part, indiqué qu’un État qui dénie à ses citoyens ses libertés fondamentales à la veille des élections générales risque de s’enfoncer dans une dérive dictatoriale.

« Choqué par les images de violences policières, y compris sur des enfants sans défense, et le climat de répression qui a entouré la marche de l’opposition ce 20 mai à Kinshasa. Un État qui dénie à ses citoyens ses libertés fondamentales à la veille d’élections générales risque de s’enfoncer dans une dérive dictatoriale », a réagi le fondateur de PANZI.

La police ou l’attitude ponce Pilate?

La police accuse l’opposition de violer son itinéraire. Son commandant à Kinshasa a évoqué dans une vidéo partagée par le porte-parole du gouvernement, les « stratagèmes » des opposants pour « nuire ». Comme qui dirait : « je ne suis pour rien ».

Dans un communiqué officiel, la PNC dit avoir saisi 6 machettes entre les mains de certains manifestants qui seraient drogués pour semer le chaos.

En termes de bilan, le commandant de la PNC/Kinshasa indique que 27 policiers ont été blessés dont 1 dans un état comateux et 3 grièvement par les projectiles lancés par les manifestants, 3 autres blessés dans un affrontement entre deux gangs. Dans ce même registre, 1 journaliste a été agressé et blessé par une bande de manifestants, selon la police.

En outre, la police renseigne que 20 individus auteurs des actes de vandalisme contre le sous commissariat de Kianza qu’ils ont voulu incendier ont été arrêtés alors que 2 véhicules de la police ont été caillassés.

Par ailleurs, Sylvano Kasongo a soutenu que 3 policiers auteurs de brutalités contre les manifestants et sur un mineur ont été arrêtés.

Carmel NDEO

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