Conflits dans l’Est de la RDC : Le soutien du Rwanda au mouvement rebelle M23 n’est que la face visible de l’iceberg (Filimbi)

Depuis novembre 2021, la RDC est de nouveau agressée par le Rwanda à travers la rébellion du M23 qui a violemment refait surface. Ce mouvement avait été précédemment vaincu et démilitarisé en 2013 par l’armée congolaise avec le soutien de la Brigade d’Intervention de la Force des Nations Unies (FIB) ainsi qu’une forte pression internationale sur le Rwanda portée par les États-Unis. Sa récente résurgence, qui a déjà causé la mort de centaines de civils et le déplacement de dizaines de milliers d’autres, exacerbe le chaos dans lequel l’Est de la RDC est plongé depuis près de trois décennies.

Jusqu’à lors, le gouvernement congolais semblait ne pas comprendre la dynamique de ces conflits et les causes complexes qui les sous-tendent. Il a simplement supposé qu’il suffisait de maintenir des relations fraternelles et de conclure des accords commerciaux. Cependant, pour le Rwanda, les enjeux sont d’une ampleur bien plus grande. Afin de comprendre pourquoi le Rwanda a permis au M23 de réapparaître et de saper l’amélioration de ses relations avec la RDC depuis l’arrivée au pouvoir du Président Tshisekedi, il faut examiner de plus près les fondements du régime et l’histoire récente du Rwanda :

Politique & Sécurité : Paul Kagame est arrivé au pouvoir en 1994 avec le Front Patriotique Rwandais (FPR), un mouvement rebelle créé et organisé à partir de l’Ouganda voisin où il était exilé depuis 1961 à la suite de conflits entre les Hutus, et sa communauté, les Tutsis. Depuis son accession à la tête du Rwanda, il a installé un régime autoritaire dans lequel le contrôle de l’Est de la RDC est une question existentielle et de survie pour lui et son régime.

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D’un point de vue sécuritaire, le Rwanda considère l’Est de la RDC comme la principale base arrière de de son opposition armée dont une partie provient historiquement des éléments des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), composés principalement d’anciens militaires qui se sont exilés en grande partie en RDC à la suite du génocide à l’issu duquel le FPR avait pris le pouvoir. A ce jour, cette opposition de très faible intensité est quasi inoffensive. Néanmoins, au vu de la faible superficie du Rwanda ainsi que de sa forte proximité avec des pays tels que la RDC, sa stratégie est celle d’étouffer toute tentative d’organisation, de planification et d’attaque au départ de l’un de ces pays car il n’aurait pas la capacité d’y faire face. Ainsi, craignant que l’Est de la RDC ne permette de rééditer la stratégie qui l’a emmené au pouvoir, le régime rwandais organise militairement des groupes armés parmi lesquels le M23. In fine, l’un des objectifs politique et sécuritaire consiste à réintégrer systématiquement les rebelles dans l’armée, permettant au Rwanda d’accroître le nombre de ses alliés dans le système congolais.

Intérêts Économiques: Le soutien de Kagame aux groupes armés actifs en RDC est également fortement motivé par des intérêts économiques. Malgré divers indicateurs de bonne gouvernance qui placent souvent le Rwanda parmi les pays africains les plus performants, le pays reste très pauvre, l’un des plus densément peuplé au monde (plus de 500 habitants au km²), et il est doté de peu de ressources naturelles. Plus de 40% de son budget provient de l’aide extérieure. Néanmoins, d’une part, la stratégie du Rwanda consiste à se présenter comme un pays stable et bien gouverné qui peut servir de plaque tournante de la transformation et de l’exportation de ressources naturelles fortement demandées telles que l’or et le coltan, qu’il ne produit pas, vers les principaux pays industrialisés consommateurs de produits finis (smartphones, etc.). Et d’autre part, le Rwanda a besoin de ressources alternatives et non traçables pour financer sa stratégie de contrôle de l’Est de la RDC, d’où l’exploitation illégale dont les groupes armés sont les principaux acteurs de terrain. Et cela, tout en apparaissant comme un gestionnaire modèle. En outre, plusieurs responsables politiques et sécuritaires rwandais bénéficient de ces trafics, souvent avec la complicité de certains de leurs homologues congolais.

L’Etat congolais : En plus d’accuser la RDC de s’être alliée aux FDLR, le Rwanda soutient régulièrement que la faiblesse de l’autorité de l’État en RDC est due à un leadership inapproprié. Toutefois, ce que le Rwanda ne dit pas, c’est qu’il bénéficie et contribue à cette situation parce que sa stratégie nécessite également à disposer d’un État congolais relativement faible dont les dirigeants sont malléables.

En outre, pour justifier certaines décisions non démocratiques, le régime rwandais utilise régulièrement le génocide incontestable de 1994 en culpabilisant les partenaires internationaux dont il accuse une partie d’avoir été complice. La même rhétorique est également utilisée vis-à-vis de la RDC à travers une propagande qui consiste à laisser penser qu’il y aurait un plan congolais d’extermination des populations tutsis installées en RDC. Aujourd’hui encore, le Rwanda et le M23 tentent d’utiliser la même rhétorique sans trop y parvenir.

Afin de mettre fin à ce cycle de violence qui dure depuis plus de 25 ans :

  • Le leadership congolais devrait avoir une compréhension suffisante des questions liées à ces conflits, mais aussi disposer d’une Vision claire sur la façon de restaurer l’autorité de l’État sur tout le territoire. Cela implique la reconstruction d’une armée suffisamment forte et coercitive.
  • Il est primordial que la RDC se dote d’institutions légitimes et qu’il y ait une stabilité politique. Ainsi, les prochaines élections sont une opportunité pour résoudre la crise récurrente de légitimé induite par le mode d’accession au pouvoir en RDC.
  • La fin de l’impunité devrait être une priorité pour le gouvernement congolais, notamment par la mise en place de la justice transitionnelle en vue d’établir les responsabilités des crimes, de rendre justice et de permettre une réconciliation. Cela implique également l’application stricte du principe selon lequel aucun élément issu des mouvements rebelles ne devrait systématiquement être (ré)intégré dans l’armée.
  • Les partenaires internationaux qui détiennent une influence sur le Rwanda devraient tout mettre en œuvre pour faire comprendre au Président Kagame qu’il serait dans son intérêt, et celui de son pays, de renoncer à sa stratégie actuelle qui déstabilise non seulement la RDC mais toute la région des Grands Lacs, et pourrait à terme faciliter l’incursion de groupes radicaux qui font le lit du terrorisme international. Cela implique que la RDC ainsi que toutes les parties prenantes internes et externes s’accordent sincèrement sur les enjeux et intérêts liés à ces conflits, et imaginent des alternatives viables qui devraient préserver les intérêts vitaux de la RDC et de sa population, au premier plan desquels l’intégrité et l’intangibilité du territoire.
  • Le régime rwandais devrait être fortement encouragé à démocratiser son système et à promouvoir le dialogue dans le règlement des conflits internes avec ses opposants.
  • Des mécanismes appropriés (sanctions ciblées, traçabilité, etc.) doivent être renforcés et mis en place afin de neutraliser les réseaux bénéficiaires de l’économie des conflits, qui vont des mouvements rebelles aux bénéficiaires finaux, parmi lesquels des entreprises multinationales.

Tribune de Floribert Anzuluni

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