Les conflits entre la République démocratique du Congo et le Rwanda ne font que s’intensifier. Alors que Kinshasa ne cesse de dénoncer l’implication du Rwanda dans la crise de la partie orientale de son territoire, avec notamment son soutien aux terroristes du M23 dans la province du Nord-Kivu, Kigali, de son côté, nie toute connivence avec cette milice et fustige la gestion de l’État du côté congolais.
En effet, démilitarisé il y a dix ans, ce groupe armé a resurgi depuis novembre 2021 et ses exactions dans le Nord-Kivu ont coûté la vie à des centaines des Congolais et suscité les déplacements de près d’un million d’habitants qui tous vivent dans des conditions humainement déplorables.
Le M23, une partie visible de l’iceberg
La passivité du gouvernement congolais face à cette situation inquiète plusieurs mouvements citoyens du pays tel que Filimbi, un mouvement de la société civile pro-démocratie qui déplore la mauvaise gouvernance et les violations des droits humains et qui appelle au respect de la constitution de la RDC.
Cette structure citoyenne souligne que le soutien du Rwanda dans ce conflit avec le M23 « n’est qu’une partie visible de l’iceberg », soit un élément superficiel qui empêche de deviner un ensemble plus important qui le constitue.
En effet, Filimbi évoque le soutien implicite des multinationales qui se cacheraient derrière le Rwanda car profitant de cette crise pour faire des transactions illégales des minerais que regorgent cette zone congolaise très riche en matière première tel que le coltan. Il reproche Kinshasa de « ne pas comprendre la dynamique de ces conflits et les causes complexes qui les sous-tendent. Par contre, il a simplement supposé qu’il suffisait de maintenir des relations fraternelles et de conclure des accords commerciaux ». Or, pour le Rwanda, les enjeux paraissent d’une ampleur bien plus grande.
Pourquoi la réapparition du M23 ?
Filimbi soutient que pour mieux s’imprégner de toutes ces dynamiques, il prévaut de tâcher de comprendre « pourquoi le Rwanda a permis au M23 de réapparaître et de saper l’amélioration de ses relations avec la RDC depuis l’arrivée au pouvoir du Président Tshisekedi ? » D’après Filimbi, « il faut examiner de plus près les fondements du régime et l’histoire récente du Rwanda ». C’est une problématique qu’elle explique à trois volets : politique et sécuritaire et économique et l’État congolais lui-même.
Politiquement, Filimbi note d’abord comme première dynamique : l’accession au pouvoir du Président Paul Kagame et son contexte. Ce dernier, rappelle-t-il, est arrivé au pouvoir en 1994 avec le Front Patriotique Rwandais (FPR), un mouvement rebelle créé et organisé à partir de l’Ouganda voisin où il était exilé depuis 1961 à la suite de conflits entre les Hutus, et sa communauté, les Tutsis. Depuis, il règne au Rwanda un régime autoritaire dans lequel le contrôle de l’Est de la RDC est une question existentielle et de survie pour lui et son régime.
Sur le plan sécuritaire, le mouvement humanitaire indique qu’il faudrait tenir compte du fait que le Rwanda considère l’Est de la RDC comme la principale base arrière de son opposition armée dont une partie provient historiquement des éléments des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), composés principalement d’anciens militaires qui se sont exilés en grande partie en RDC à la suite du génocide à l’issu duquel le FPR avait pris le pouvoir.
« A ce jour, cette opposition de très faible intensité est quasi inoffensive », peut-on lire dans un rapport que Filimbi a rendu mardi 9 mai. « Néanmoins, renchérit-elle, au vu de la faible superficie du Rwanda ainsi que de sa forte proximité avec des pays tels que la RDC, sa stratégie est celle d’étouffer toute tentative d’organisation, de planification et d’attaque au départ de l’un de ces pays car il n’aurait pas la capacité d’y faire face ». Pour ce faire, le Rwanda organise militairement des groupes armés, parmi lesquels le M23, craignant que l’Est de la RDC ne permette de rééditer la stratégie qui l’a emmené au pouvoir. Finalement, l’un des objectifs politique et sécuritaire consiste à réintégrer systématiquement les rebelles dans l’armée, permettant au Rwanda d’accroître le nombre de ses alliés dans le système congolais.
Filimbi élucide que le soutien de Kagame aux groupes armés actifs en RDC est également fortement motivé par des intérêts économiques. Malgré divers indicateurs de bonne gouvernance, mentionne ce groupe de pression, qui placent souvent le Rwanda parmi les pays africains les plus performants, le pays reste très pauvre, l’un des plus densément peuplé au monde (plus de 500 habitants au km²), et il est doté de peu de ressources naturelles. Plus de 40% de son budget provient de l’aide extérieure.
En quelque sorte, d’après le mouvement Filimbi, la stratégie du Rwanda, d’une part, consiste à se présenter comme un pays stable et bien gouverné qui peut servir de plaque tournante de la transformation et de l’exportation de ressources naturelles fortement demandées telles que l’or et le coltan, qu’il ne produit pas, vers les principaux pays industrialisés consommateurs de produits finis (smartphones, etc.). Et d’autre part, il a besoin de ressources alternatives et non traçables pour financer sa stratégie de contrôle de l’Est de la RDC, d’où l’exploitation illégale dont les groupes armés sont les principaux acteurs de terrain. En outre, plusieurs responsables politiques et sécuritaires rwandais bénéficient de ces trafics, souvent avec la complicité de certains de leurs homologues congolais.
En plus d’accuser la RDC de s’être alliée aux FDLR, le Rwanda soutient régulièrement que la faiblesse de l’autorité de l’État en RDC est due à un leadership inapproprié. Toutefois, ce que le Rwanda ne dit pas, c’est qu’il bénéficie et contribue à cette situation parce que sa stratégie nécessite également à disposer d’un État congolais relativement faible dont les dirigeants sont malléables.
Culpabiliser les partenaires internationaux
Aussi, pour justifier certaines décisions non démocratiques, Kigali utilise régulièrement le génocide incontestable de 1994 en culpabilisant les partenaires internationaux dont il accuse une partie d’avoir été complice. La même rhétorique est également utilisée vis-à-vis de la RDC à travers une propagande qui consiste à laisser penser qu’il y aurait un plan congolais d’extermination des populations tutsis installées en RDC. Aujourd’hui encore, le Rwanda et le M23 tentent d’utiliser la même rhétorique sans trop y parvenir.
Par conséquent, afin de mettre fin à ce cycle de violence qui dure depuis plus de 25 ans, le mouvement de la société civile insiste que « le leadership congolais devrait tout d’abord avoir une compréhension suffisante des questions liées à ces conflits, mais aussi disposer d’une vision claire sur la façon de restaurer l’autorité de l’État sur tout le territoire ».
« Cela implique la reconstruction d’une armée suffisamment forte et coercitive. Il est primordial que la RDC se dote d’institutions légitimes et qu’il y ait une stabilité politique. Ainsi, les prochaines élections sont une opportunité pour résoudre la crise récurrente de légitimé induite par le mode d’accession au pouvoir en RDC », recommande-t-il.
De plus, les mécanismes appropriés (sanctions ciblées, traçabilité, etc.) doivent être renforcés et mis en place afin de neutraliser les réseaux bénéficiaires de l’économie des conflits, qui vont des mouvements rebelles aux bénéficiaires finaux, parmi lesquels des entreprises multinationales.