Dialogue de Nairobi III : La délégation de la RDC n’a pas obtenu gain de cause, affirme un analyste

 
Le troisième dialogue intercongolais de Nairobi sous l’égide de la Communauté d’Afrique de l’Est a tiré ses rideaux mercredi 06 décembre 2022 dans le cadre du processus de Nairobi. Sur base des avancées qui seront constatées dans la mise en œuvre des termes du communiqué notamment le cessez-le-feu et la prise en compte des desiderata des groupes armés, commenceront, en janvier 2023 à Goma, «les engagements pour la paix». Une semaine aura été perdue dans la capitale kényane sans un résultat concret pour la paix et la sécurité dans l’Est du pays en proie à l’activisme des groupes armés locaux repartis après une aventure de mauvais goût liée au rabattement sans raison de leurs per diem.

En clair, en scrutant minutieusement le communiqué final de ces assises de Nairobi III, il va sans dire que plusieurs points dudit communiqué chargent directement le Président de la République, pourtant le sommet de l’Etat. Il s’agit, entre autres, de la revision de l’ordonnance du chef de l’État portant nomination du coordonnateur et des coordonnateurs adjoints du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRC-S) ainsi que de l’organisation des consultations avec les groupes des 145 territoires pour offrir des opportunités aux peuples de l’Est de la RDC.

Quant au dernier point de ce communiqué, il annonce la tenue de la prochaine réunion en janvier à Goma et Bunia pour évaluer le progrès réalisés et pour « commencer les engagements sur la paix à moyen et long terme ». Donc, clair comme l’eau de roche, il n’y a eu aucun engagement des groupes armés qui attendent des signaux du Président de la République comme évoqués ci-haut en perspective d’une conférence de paix à Goma. Preuve, si besoin est, que les délégués de la RDC à ces discussions n’ont pas arraché une conclusion heureuse pour la République.
 
Tout un Etat, tout un peuple, celui de la République démocratique du Congo, avait pourtant retenu son souffle, plus d’une semaine durant, dans l’attente de la conclusion de la troisième édition du dialogue intercongolais clôturée le mardi 06 décembre à Nairobi, capitale du Kenya. La cérémonie de clôture, que la RDC tant d’en haut que d’en bas espérait voir haut en couleurs, à cause de son succès d’un nouvel ère pour la paix, a été gâchée la veille. Pour cause, quelques deux cents participants issus des groupes armés et des communautés locales des provinces de l’Est du pays ont boycotté, le 05 décembre, la cérémonie de fin des travaux à cause d’une prétendue affaire de non perception des per diem. Une situation à la base de l’ire de l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, facilitateur mandaté par la Communauté d’Afrique de l’Est dont la RDC est membre depuis juillet 2022.
 
Devant les caméras des médias qui ont couvert les travaux de Nairobi, Uhuru Kenyatta a affirmé sans ambages en swahili : « (traduction française) Nos frères qui étaient censés préparer cette rencontre, nous savons que nous avons des moyens suffisants car moi-même, je suis parmi ceux qui ont toqué par-ci par-là pour mobiliser les moyens financiers pour la réussite de ces assises. Cet argent n’est pas pour eux . C’est pour amener la paix en RDC. Je vous rassure personnellement que, demain, vous viendrez.» Et de poursuivre : « D’abord mettons fin aux conflits interpersonnels qui existent pour que nous entrions dans le vif de ce qui nous a amenés ici pour ainsi clôturer les assises dans la voie normale. On ne peut pas badiner avec la paix . Aux accusés dans le détournement, être ici ou ailleurs, je suis prêt de dire à ceux qui financent ces travaux d’arrêter le financement si les accusés ne planifient pas ces rencontres et nous aident par la voie méritée. On se comprend, et on est d’accord mes chers! Retrouvons-nous demain à 10 heures. Donnez moi le temps. Je vais les accuser auprès de leur chef car je parle avec leur chef à l’oreille. Qu’ils passent nuit là bas mais qu’ils nous rapportent l’argent qui est un droit de ceux qui sont ici».
 

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De l’opprobre à sanctionner sévèrement
 

Ces affirmations de l’ancien Président Uhuru Kenyatta sont d’une gravité telle qu’elles ne méritent pas de passer comme un coup de vent. S’il est avéré que cette personnalité qui, alors président en fonction au Kenya, fut le seul chef d’Etat présent à l’investiture du Président Félix Tshisekedi, a menti et, de la sorte, osé jeter du discredit sur l’émissaire spécial du chef de l’État, Serge Tshibangu, ceci devrait être suivi d’une sanction sevère. Car toute la région, et au-delà, avait les yeux rivés sur ce troisième round de Nairobi devant ouvrir un nouveau et positif chapitre des efforts de pacification de l’Est du pays. Il suffirait, par exemple, que la diplomatie congolaise exige du facilitateur de l’EAC de présenter, en langage diplomatique, ses excuses à la délégation de la Présidence de la République congolaise suite à des propos outrageants. La RDC peut, pour marquer sa respectabilité, exiger le retrait du mandat de facilitateur à Uhuru Kenyatta.
 
Par contre, s’il est avéré que le délégué en chef du Président Félix Tshisekedi à ces travaux a trempé dans une tentative de détournement des fonds alloués au bénéfice des participants à ce dialogue, comme d’aucuns le soupçonnent, ceci ne devrait rester impuni. Car cet agissement décrédibilise le pouvoir congolais qui a pourtant redynamisé l’Inspection Générale des Finances pour lutter contre les honteuses pratiques de détournement, de corruption et tant d’antivaleurs dans la gestion des Finances publiques. Il serait ainsi logique que l’IGF, en sa qualité d’institution d’audit, soit mise à contribution pour faire toute la lumière sur cette affaire qui pourrait, à terme, constituer un argument à la portée de l’opposition politique en quête de discours de campagne électorale.
 

Silence chargé de culpabilité ?

 
Par ailleurs, l’attitude observée par Serge Tshibangu intrigue plus qu’elle ne dispose à prêter attention au « démenti » que la cellule de communication de la Présidence de la République a fait circuler hier « sous le menteau » dans la presse. En effet, pour une fausse accusation gravissime, le silence est une expression d’aveu tacite. D’autant plus que Serge Tshibangu est réputé amoureux de caméras, affiché aux côtés d’Uhuru Kenyatta apparu plutôt seul avant-hier, sans doute jaloux de sa dignité à préserver. Où était Serge Tshibangu pendant que le facilitateur de l’EAC était devant la presse? Les initiés de médias savent mieux que quiconque que la sortie médiatique d’une personnalité politique est toujours préparée, y compris lorsque tout est fait pour constituer une surprise. Pourquoi Uhuru Kenyatta n’a-t-il pas associé son coéquipier Serge Tshibangu à cette activité au cours de laquelle il a semblé parler de l’émissaire spécial du chef de l’Etat sans le citer nommément ?
 
Somme toute, la fin du troisième round de Nairobi sera fini comme il avait commencé par des « attitudes désobligeantes », attenuées par le savoir-faire et la courtoisie de l’ancien président kényan. En effet, Serge Tshibangu se serait distingué par une condescendance qui contraste avec l’ignominie de la fin des travaux suite à des propos des participants faisant état d’une tentative de détournement des fonds corroborée par les propos de Uhuru Kenyatta.
 
La négociation pour le rétablissement de la paix est si exigeante que l’absence, dans le chef des négociateurs principaux, de certaines qualités humaines telles que la courtoisie langagière, l’humilité, la patience peuvent compromettre le résultat à escompter. En même temps, le manque d’expertise sur la matière des discussions ainsi que la méconnaissance des interlocuteurs sur le tapis vert peuvent coûter cher au mandant dans l’attente du bon fruit.
La fin des travaux du troisième dialogue intercongolais à Nairobi ne rassure pas les observateurs avertis quant à l’avenir de ce processus sans trajectoire précise. Mettre sur une même table de négociation tous les groupes armés et milices, aux agendas différents, ne constitue pas une stratégie rassurante.
Entre-temps, toute la lumière devrait être faite sur l’opprobre du jour initial de la fin des travaux des Congolais à Nairobi …
Wait and see.

                                               Tribune de Jean Kamona          

Analyste politique

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