Mon cœur saigne (Tribune de JM Senga, mise en lumière par Sharufa)

Mon âme est triste. Laissez-moi vous raconter ce que j’ai vécu ce soir à Limete-Résidentiel, à Kinshasa. Avenue de la révolution. Il est presque 21h lorsque j’ouvre le portail pour laisser sortir la voiture qui doit me ramener à mon lieu de résidence, après une soirée animée avec des camarades. Devant le portail, une femme est étendue au sol, face contre terre. Sur son dos, un enfant attaché par un pagne. Immobiles. Deux jeunes femmes essaient de lui parler. Elle est silencieuse. Immobile. Je retourne dans l’enclos pour prévenir mes deux camarades qui étaient déjà dans la voiture que la sortie est bloquée.

Nous sortons tous les trois. Nous sommes rejoints par deux de nos hôtes. En plus de nous cinq et de deux femmes qui passaient par là, un jeune conducteur de moto s’est aussi arrêté et a garé son engin. Il essaie de soulever l’infortunée.

Parmi nous, personne ne comprend ce qui se passe. Sur le moment, je me dis que la pauvre femme a dû faire une crise d’épilepsie. Je demande alors au motard de me laisser d’abord prendre l’enfant, et de laisser la dame couchée au sol tout en s’assurant simplement que ses voies respiratoires soient dégagées. Pendant ce temps, les deux jeunes femmes nous expliquent qu’elles l’ont vue s’effondrer alors qu’elles passaient. Elle leur aurait dit qu’elle a eu des vertiges. Rien de plus. En l’examinant de près, nous constatons qu’elle n’a aucun signe d’épilepsie. L’enfant, une fillette de je dirais deux ans, est étrangement toujours endormie. Je la berce dans mes bras. Une résidente a apporté de l’eau à boire, et, avec l’aide insistante du motard, la femme s’est assise. Visage pâle. Épuisée. La quarantaine. Après une ou deux gorgées d’eau, elle parle doucement, en Lingala. Je m’approche et tends l’oreille. Essoufflée, elle me chuchota : « J’étais allée chercher de quoi manger pour mes enfants et moi, mais je n’ai rien trouvé. En arrivant ici, j’ai juste ressenti un vertige et je me suis évanouie ». Je lui demande si elle a mangé elle-même. Elle me répondit : « non ». Elle n’a rien mangé depuis hier. Nous comprenons alors le drame. Rien avoir avec l’épilepsie. Si ça se trouve, même son enfant, chétive, ne dort pas de fatigue, mais de faim. Vite, un ami sort un billet de 10.000 FC de sa poche. Une résidente court acheter des bananes au petit marché du coin. À la maison, ces résidentes ont prévu de manger des pizzas et ce n’est pas le genre de truc que tu donnes à quelqu’un qui n’a rien mangé depuis deux jours.

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À moi, la dame confie qu’elle habite à Bon Marché (c’est assez loin de là) et qu’elle a quatre autres enfants qui attendent qu’elle leur apporte à manger. Pire, elle y retourne à pied (des pieds nus, en plus!). Mais surtout, elle n’a rien trouvé. Je n’ose pas poser d’autres questions. Je regarde dans mon porte-monnaie, je trouve un peu d’argent. Peut-être 25.000Fc. Je les lui remets. « Prenez, s’il vous plaît. Vous pourrez acheter de quoi manger pour ce soir. Payez aussi un taxi, il se fait tard. ». Alors je sens la colère et la rage exploser au fond de moi. Il est 21h15. Les résidentes lui trouvent une paire de chaussures. Elle avale quelques bananes et un demi-litre d’eau. Elle semble reprendre des forces. Elle remet son enfant sur son dos, et marche doucement pour aller à l’arrêt de bus. Une des résidentes l’accompagne. Et pendant ce temps, nous croisons de grosses « Palissades noires » (remis aux députés nationaux) et sans plaque roulant à toute allure sur le boulevard Lumumba. Aux infos, Top Congo relate le voyage des délégations Congolaises parties faire le « nouveau narratif » à New York. J’étouffe un cri. J’efface une larme.

En partageant cette histoire, ce soir, je repense à tous ces millions volés, fraudés, détournés, gaspillés par les dirigeants. Je pense au un tiers d’enfants Congolais qui souffrent de faim. Cette femme et son enfant vont peut-être manger ce soir. Mais demain?

Tribune de Jean-Mobert Senga mise en lumière par Mélissa Sharufa.

Mise en lumière par Sharufa, #MELsharufa en acronyme, est une marque de fabrique initiée par l’influenceuse et experte en communication Mélissa AMISI SHARUFA, dédiée à la publication à travers les médias, des pensées jugées profondes et pertinentes, par elle, des réalités partagées, bref, des vécus journaliers des congolais qui sont souvent relayés par des internautes notamment par le biais de Twitter ou d’autres réseaux sociaux.

http://Www.Twitter.com/Sharufa

À l’en croire, mettre en lumière et investir dans le capital humain est le binôme auquel se fonde cette rubrique considérée véritablement comme une Tribune libre du peuple pour le peuple et par le peuple.

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