Débâcle de Bukanga Lonzo : déni de justice au Sénat

Le 10 mai 2021, Augustin Matata Ponyo Mappon regagne précipitamment Kinshasa en provenance de Conakry où il est embauché comme expert par le Président Alpha Condé. Dans un abattage médiatique, l’ancien Premier Ministre annonce qu’il a hâte de se présenter devant la justice concernant le scandale financier du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo. Il fustige les accusations contre lui.

Dans un tweet, il annonçait écourter son séjour à Conakry pour venir faire face à la justice congolaise qui a lancé une procédure contre lui. « De Conakry où je me trouve au service de l’Afrique, j’ai décidé d’écourter mon séjour de travail et de rentrer à Kinshasa pour faire face à une justice politiquement instrumentalisée », avait-t-il écrit sur son compte Twitter. « Je suis fier d’avoir servi mon pays dans la transparence et crois en la force de la vérité », se vantait-t-il avant de rentrer effectivement en RDC le 9 mai 2021.

De retour dans la capitale congolaise, le 12 mai 2021, Matata Ponyo réunit la presse. Devant les cchevaliers de la plume et du micro, il se dit prêt à affronter la justice qu’il qualifie même de « politiquement instrumentalisée.»

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L’ancien Premier Ministre clame n’avoir peur de rien. Pour preuve, il évoque son retour : « si j’avais peur, je ne serais pas venu (…) Je ne crains rien. Si je craignait quelque chose, je ne serais pas rentré (…) Je pense à mon avis, qu’à un certain moment de la vie on doit savoir pourquoi on est venu sur terre. On n’est pas venu sur terre pour la jouissance. On est venu pour offrir à l’humanité le progrès, le bien être.»

Ce que l’on reproche à Matata

Le rapport de l’Inspection Générale des Finances est accablant. Ce dernier relève plusieurs griefs à charge du Sénateur et ancien Premier Ministre, dans la débâcle du Parc agro-industriel de Bukanga Lonzo. Au terme de ce rapport, Augustin Matata Ponyo est reconnu comme l’auteur intellectuel de la débâcle de ce parc. Et cela à travers la conception, la planification et les engagements pour paiement de plus de 83% de fonds décaissés directement au profit des comptes du partenaire sud-africain et de ses filiales logés en Afrique du Sud, ainsi qu’au profit de la société MIC Industries.

Ce même rapport pointe également le Docteur Matata Ponyo dans le choix du partenaire sud-africain Africom qui n’avait que trois ans d’existence au moment de la signature du contrat de gestion et de ses filiales. Et ce, en violation des procédures de passation des marchés publics, spécialement les articles 17 de la loi n10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics.

Les conclusions de l’IFG imputent au Premier Ministre honoraire le détournement constaté de 7.392.162.577 CDF, l’équivalent de 7.989.408,08 USD pour l’achat de Ultimate Building Machine pour le compte du parc alors que ce paiement n’a pas été reconnu par Africom, qui passait toutes les commandes des équipements, matériels et intrants agricoles. Cet équipement n’a jamais été livré au Parc en considérant le compte-rendu de la réunion de service du 4 mai 2017, présidée par le DG de Parcagri Ida Naserwa.

Il est aussi reproché au sénateur Matata d’avoir initié et payé à la société Desticlox une somme de 510.883,84 USD au titre des frais de gestion, sans titre ni qualité dans le chef de ce dernier, car le prestataire qui avait signé le contrat de gestion avec l’État congolais est Africom. Un cas de détournement des fonds conclut le rapport.

Un autre grief, c’est la complicité de détournement à travers les engagements et paiements des sommes au titre de libération du capital social au-delà du montant de la quotité due par l’État congolais dans les sociétés Parcagri SA, Separgri SA et Marikin SA.
L’IGF accuse Augustin Matata de négligence coupable pour ne s’être pas rassuré de mécanismes prudentiels de garantie de bonne gestion par le partenaire. Ce qui a entraîné l’opacité dans la gestion par le partenaire sud-africain et la surfacturation des biens et services au point qu’Africom était le seul à déterminer les besoins en investissements, passait les commandes, fixait les prix et achetait les équipements, matériels et intrants, sans être mis en concurrence avec d’autres fournisseurs. Africom devenait ainsi juge et partie durant tout le cycle de vie du projet.

Enfin, le dernier reproche concerne aussi l’abstention coupable. Mais cette fois, c’est pour n’avoir pas mis en place des mécanismes minima pour garantir la surveillance dans l’utilisation des fonds décaissés par le Trésor public. Pour l’IFG, il aurait fallu mettre en place un service d’audit interne ou comité de suivi et de tenir la comptabilité sur place en RDC. Cette négligence a facilité la surfacturation.
Dans sa réponse insérée dans le rapport de l’IGF, le Premier Ministre honoraire insiste sur le fait que la Primature et le Chef du Gouvernement n’étaient nullement impliqués dans la gestion des fonds du projet. C’est l’entreprise Africom qui, d’après Matata Ponyo, était seul responsable de l’exécution technique et financière du projet sur base du contrat dûment signé entre elle et les quatre membres du Gouvernement. La Primature n’en était pas signataire, précise le Sénateur Matata.

En réaction à cette argumentation de l’ancien Premier Ministre, l’IGF estime que la débâcle de ce parc ne se réduit ni à la simple signature du contrat de gestion entre l’État congolais et Africom, ni à la gestion quotidienne par ce dernier. Il se situe aussi bien à la conception, à la planification, au choix du partenaire et aux actes de gestion. Par ailleurs, le Premier Ministre honoraire intervenait, selon l’IGF, tout au long du cycle de vie du projet tout au moins à travers le fait que son Bureau était le centre d’engagement de toutes les dépenses du projet. C’est à ce titre que le paiement en faveur de MIC Industries pour l’achat constitue un acte de gestion courante.

Le rapport de l’IGF n’épingle pas que Matata Ponyo. Plusieurs autres noms sont cités, avec des détails sur la responsabilité de chacun d’eux dans ce document confidentiel auquel POLITICO.CD a eu accès. L’on y retrouve par exemple l’actuelle Députée Nationale Louise Munga, Ministre du Portefeuille à l’époque des faits ; l’actuelle Sénatrice Ida Kamonji, Directrice Générale de Parc Agri à l’époque des faits; Matondo Mbungu, Directeur Général du Bureau Central de Coordination (BCECO); et biens d’autres noms qui seront dévoilés prochainement.

Ce que dit le réquisitoire du Procureur Général

Entre-temps, le Procureur Général près la Cour constitutionnelle Mukolo Nkokesha, a saisi le sénat pour demander la lévée des immunités de l’ancien premier ministre, désormais Sénateur. Dans sa correspondance du 15 mai, le Procureur évoque les articles 164 et 166 de la constitution qui attribuent la compétence pénale à la Cour constitutionnelle pour les infractions commises par le Président de la République et le Premier Ministre dans l’exercice de leurs fonctions.

« Après l’exercice de leurs fonctions, leur juge pénal reste la Cour constitutionnelle pour les actes commis pendant l’exercice de leurs fonctions », insiste le Procureur qui soutient que « votre saisine se justifie dans le cas du sénateur Matata Ponyo, non pas parce qu’il était Premier ministre, mais parce qu’il est sénateur.»

Dans le même document, le Procureur Général près la Cour constitutionnelle précise que les deux Sénateurs ne sont pas poursuivis pour des actes commis en leur qualité actuelle, mais plutôt pour les actes commis en qualité de Premier Ministre pour l’un et de Directeur Général du Parc agro-industriel de Bukanga Lonzo pour l’autre. Il a martelé sur le fait que méconnaître une telle compétence pénale clairement établie par la constitution « serait une violation flagrante de celle-ci en son article 19, alinéa 1 qui stipule, nul ne peut être soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne.»

Et le déni de justice

Le Sénat a décidé de rejeter la demande de levée des immunités du Sénateur Augustin Matata Ponyo, à la suite du réquisitoire du Procureur Général près la Cour Constitutionnelle, qui met en cause l’ancien Premier Ministre d’être à la base de la débâcle du projet Bukanga Lonzo. 

En effet, 46 sénateurs ont voté Oui, 49 sénateurs ont voté CONTRE et un bulletin nul. Ce vote intervient après les travaux de la commission spéciale mise en place pour auditionner chaque Sénateur concerné, afin de présenter ses moyens de défense.

Mais au lieu de voir Matata être mis à disposition de la Cour, c’est plutôt une bataille politique qui s’engage au Sénat congolais. Car en effet, cette chambre du Parlement est issue d’une majorité des proches de l’ancien Président Joseph Kabila, dont faisait partie Matata Ponyo, avant l’annonce de son départ le 12 mars dernier et ce, pour raison de « convenances personnelles». Le refus pour le Sénat de livrer l’ancien Premier Ministre, n’est rien d’autre qu’un déni de justice.

 Stéphie MUKINZI

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