La poudrière de Bakuakenge, qui risque d’embraser à nouveau la région du Kasai

Des milliers de personnes sont mortes au Kasaï dans ce qui s’apparente à un conflit intercommunautaire à Bakuakenge, une localité disputée par les provinces du Kasaï et du Kasaï central. Entre 2016 et 2017, les conflits dans cette zone avaient entraîné des milliers des morts et des déplacés. Pour comprendre ce regain de tensions, le Groupe d’Études sur le Congo (GEC), de l’université de New York, tente d’éclairer l’actualité, au sujet de la nouvelle crise qui menace la paix et la stabilité des populations dans cette partie de la RDC où des conflits ont été aggravés, suite notamment au découpage territorial de 2015.

Le mardi 06 avril, les ressortissants du territoire de Mweka à Kinshasa écrivent un mémorandum à Félix Tshisekedi. Ils attirent l’attention du Chef de l’Etat congolais sur les tueries des 13 personnes, qui ont eu lieu la nuit du 28 au 29 mars à Bakwakenge, localité située à la frontière du territoire de Mweka au Kasaï et Demba au Kasaï Central.

Ces violences, selon un podcast du Groupe d’Études sur le Congo (GEC) auraient découlé d’une mésentente entre une femme lubaphone et un homme Kuba, autour d’une assistance humanitaire du Programme Alimentaire Mondiale (PAM). Les victimes de l’attaque seraient de la communauté Kuba. Hormis les morts, il y aurait des milliers des déplacés. Et la maison du Sénateur Evariste Boshab, notable Kuba, dont le village d’origine se situe à quelques kilomètres de Bakwakenge, a été incendiée.

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Selon GEC, des sources diplomatiques parlent de l’usage, pendant l’attaque, des pratiques jadis associées aux miliciens Kamwena Nsapu, comme la décapitation.

Les violences et tensions intercommunautaires ne sont malheureusement pas étrangères à Bakwakenge. En août 2020, les affrontements y ont fait 11 morts, dont des Lubaphones et les Kubas. Ces tensions persistantes concernent donc la communauté Kuba d’un côté, et celle des Lubaphones de l’autre. Au cœur du conflit, l’appartenance ou non de la localité de Bakuakenge et de ses habitants au territoire de Mweka au Kasaï ou de Demba au Kasaï Central.

« La dimension communautaire relève aussi d’une question qui chevauche l’identité et les limites territoriales. Des Lubaphones à Bakuakenge, connu sous le nom de Bena-milombe, habite-t-il un territoire à majorité Lubaphone, en l’occurrence celui de Demba ? Ou du territoire de Mweka, dont les limites sont identiques à celles de la chefferie de Bakuba ? », s’interroge GEC.

Rappelons ici que les réorganisations administratives successives depuis l’époque coloniale ont fait déplacer la frontière dans cette zone à plusieurs reprises. Les limites du territoire et surtout des groupes au Kasaï sont à la base de nombreux conflits dans la région. En plus de la dimension administrative et communautaire, la gare de Bakuakenge est parmi les plus rentables de la zone. Et comme dans beaucoup des conflits locaux ailleurs en RDC, les disputes autour des droits fonciers ne manquent pas. L’appartenance de Bakuakenge à l’une ou l’autre province est donc aussi un enjeu économique majeur.

L’appartenance des électeurs de Bakuakenge, soit à la circonscription électorale de Demba ou de Mweka est aussi un enjeu électoral.

Ce conflit à multiples dimensions avait pourtant été traité lors de la conférence pour la paix et la réconciliation, entre les communautés locales de Mweka et Demba, en octobre 2020 à Kananga. Le rapport final de ces assises avait souligné entre autre que la gare de Bakuakenge se trouve dans le territoire de Mweka, suivant le rapport présenté par un expert de l’Institut Géographique du Congo, consulté par GEC.

Si, du côté des ressortissants de Mweka, c’est-à-dire des Kuba, on revendique la non politisation des conclusions de la conférence sur la paix, en privé, les hommes politiques originaires du Kasaï Central seraient toujours contre l’application de cette conclusion.

Bakuakenge renseigne comment les conflits fonciers et identitaires peuvent vite devenir violents, parfois à cause de leur politisation. Dans le cas d’espèce, la montée des tensions est en partie la conséquence inattendue du découpage de l’ancienne province du Kasaï occidentale. De surcroît, ce conflit qui a eu lieu dans une zone qui a connue des fortes violences dans le conflit dit « Kamuena Nsapu », en 2016 et 2017, rappelle que le débat sur les dynamiques sécuritaires et la stabilisation ne doivent pas se limiter aux provinces de l’Est.

Adrien AMBANENGO

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