Le voyou de la République

Aucune insulte ne donne droit à une autre. Aucune injustice ne donne droit à une autre. Aucun journaliste, aucun éditorialiste, aucun patron de média que je suis n’a le droit de rendre justice, encore moins celui de répondre à l’insulte. Il ne sera donc question de traiter qui se ce soit de voyou, mais vous raconter l’histoire d’un mauvais sujet, aux moyens d’existence peu recommandables.

Juin 2017. De passage à Bruxelles, Alexis Thambwe Mwamba se retrouve au cœur d’une fâcheuse affaire. Son passé le rettrape. Les autorités belges ont décidé d’ouvrir une enquête contre le ministre congolais de la Justice, à la suite d’une plainte pour crime contre l’humanité. Dans le monde réel, une telle situation ferait trembler n’importe quel être normalement constitué. Non. Le super ministre de Kabila s’affiche en public, en famille, arborant sourire. Au cours d’interventions publiques qui s’en suivront, on découvre alors un homme calme, qui se suffit, prêt à défier son monde.

Dans l’affaire, il lui est pourtant reproché d’avoir revendiqué l’abattage d’un avion civil durant ses années de rébellion dans l’Est de la RDC. Lui, Thambwe, clamant son innocence, ne va toutefois pas regretter l’acte. En réalité, à sonder son âme sombre, il aurait, au besoin, tiré une deuxième roquette lui-même. « Nous étions en situation de guerre », argumentera-t-il.  Mais d’où vient donc cette arrogance à ressusciter les dinosaures ?

Le coltan, Kindu et la justice Belge

L’homme est un véritable globe-trotter de la politique congolaise. Sous l’ère Mobutu, il était déjà  Administrateur général de la Société minière et industrielle du Kivu (SOMINKI), à l’époque troisième société minière du pays, puis ambassadeur du Zaïre en Italie, et enfin président délégué général de l’OFIDA (Office des douanes et accises). En mai 1997, Alexis Thambwe Mwamba s’exile à Bruxelles, d’où il rejoint la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), qui débute en août 1998, devenant le chef de file des mobutistes ralliés à ce mouvement soutenu par… le Rwanda!  Au mois d’octobre, la guerre entre deux mouvements rebelles se déroule aux abords de Kindu, ville située à 1200 kilomètres à l’est de Kinshasa. Le 18 octobre, un Boeing 727 de la compagnie Congo Airlines est abattu avec 50 personnes à bord (43 civils, essentiellement des femmes et des enfants, et 7 membres d’équipage).

Publicité

Le lendemain, une information est diffusée en boucle sur les ondes de RFI. On y entend un des leaders du RCD, Alexis Thambwe Mwamba, revendiquer l’attaque contre cet avion. Il justifie alors le tir du missile (un Sam 7) par le fait que l’avion était sur le point d’atterrir à Kindu avec des militaires pro-Kabila à son bord. Une version immédiatement démentie par les responsables de la compagnie aérienne et de nombreux témoins. L’avion n’était, en réalité, pas en approche de Kindu, mais venait de décoller avec, à son bord, selon plusieurs témoignages, des civils qui cherchaient à fuir un front militaire qui ne cessait de se rapprocher de la ville. Chose qu’Alexis Thambwe niera bien évidemment, n’étant pas des opérations militaires.

Toutefois, Alexis Thambwe et la justice belge se connaissent très bien, une longue relation d’amour qui commence depuis novembre 2003. Comme l’explique une brève de l’Agence France Presse, une enquête est alors ouverte sur un vaste réseau de blanchiment d’argent au départ du Sud-Kivu. A cette époque, les zones d’extraction du coltan sont aux mains de la rébellion rwandaise du RCD. Selon les informations recueillies par la justice belge et figurant dans un rapport de l’ONU, l’argent issu de la vente du minerai transite par la Belgique et retourne ensuite au Rwanda afin de financer la rébellion, à qui l’on attribue alors trois millions de morts. A la tête des sociétés d’extraction, des fonds très importants sont versés à un membre de la rébellion… Alexis Thambwe Mwamba.  Au sortir de la rébellion, il s’aligne malignement aux côtés de Jean-Pierre Bemba avec qui il arrive à Kinshasa après les négociations de Sun City. En vertu des Accords de Pretoria, il est ministre du Plan du gouvernement de transition du 30 juin 2003 au 16 mars 2006.  Commence alors son rapprochement avec Kabila.

Il tient Kabila

C’est donc d’un homme fortement riche, raffiné, et surtout, un as des relations internationales qu’il est question ici. Fort de ce bagage, il n’allait pas passer inaperçu du côté Kabila, où le talent et l’argent se font rares, au point de s’appuyer sur des calibres aussi légers que Justin Bitakwira.  Au sein de la majorité, Alexis Thambwe prend de l’épaisseur, de la place, s’imposant comme une pièce maîtresse du président Kabila. N’est-il pas issu du Maniema, une province surnommée : « la chambre à coucher de Kabila » ? L’ancien Mobutiste, s’illustre dans des faits d’armes, allant jusqu’à d’adjuger une autre plainte aux Etats-Unis. Celle d’un certain ressortissant américain, Daryl Lewis, suite aux accusations de tentative de coup d’Etat orchestrée par Moïse Katumbi.

A l’époque, cet avocat de talent est rappelé aux affaires dans le gouvernement Badibanga, où on lui confie le ministère de la Justice. Thambwe a ainsi la tâche de neutraliser un certain Moïse Katumbi. Une tâche à laquelle il s’attèlera avec rigueur. Plaintes à gauche, mercenaires à droite. Il détère le passeport italien de Moïse Katumbi. L’homme monte, se sent pousser des ailes, sans RedBull en plus. A Samy Badibanga, il lui octroie une nationalité congolaise 24 heures après sa nomination comme Premier ministre, tout en étant Belge. Des tels services express seront offerts à tant d’autres. Il les tient donc, il a tous les dossiers.

Alors, lorsqu’un plein jour, le 17 mai 2017, les adeptes de Ne Muanda Nsemi décident de lui jouer un vilain tour à la prison centrale de Kinshasa, le Ministre de la justice n’en a que cure. Sa position chez Kabila lui montant à la tête, il ira jusqu’à qualifier « ceux qui croient à la machination », d’idiots.  C’est fait ! Pour une fois, un homme à la fois proche du président, riche et raffiné, pouvait s’offrir un petit écart. Que va-t-il lui arriver ? Très vite, Thambwe prend plaisir, s’offre une indépendance au sein même de la Kabilie.

« L’arrestation et la détention sont devenues un instrument d’intimidation !» La phrase n’est pas celle d’un opposant politique. Elle est prononcée par le ministre de la Justice le 18 octobre 2017. Kabila en prend en plein cœur. Lui qui a désormais les mains liées avec Thambwe, le puissant. Le super ministre ne s’arrêtera pas là. Ni les évasions en cascades et des scandales n’auront raison de lui. Contredire la voie du pouvoir non plus. Il est là, bien assis, à la droite Kabila, en défiance.

Et puis, ce qui devait arriver arriva. L’ivresse du pouvoir : un homme qui ne boit que trop ne peut que s’étourdir. Ça monte à la tête, ça tourmente, ça pousse à l’excès. Le pouvoir est ainsi fait. Il transforme un homme si instruit en un individu de mœurs crapuleuses, en un mauvais sujet, aux moyens d’existence peu recommandables.  L’enfer, c’est les autres.  Lui Thambwe, se sent haut, si haut qu’il revient de nouveau sur des petites insultes, qui ne lui couteront guère rien. Car en ce moment, ce ministre qui a emmagasiné tant de dossiers sur les anti et les pro-Kabila, qui a tant bien fait son boulot, ne saurait être déchu. Il en va de la survie du système. Les victimes ?  Nous autres, n’aurons qu’à ne pas lui adresser la parole durant six mois, en attendant la prochaine insulte.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

Recevez l'actualité directement dans votre email

En appuyant sur le bouton S'abonner, vous confirmez que vous avez lu et accepté notre Politique de confidentialité et notre Conditions d'utilisation
Publicité

En savoir plus sur Politico.cd

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading