La roulette russe de Muzito

Dans la salle à manger de Joseph Kabila, un allié se pointe avec un revolver, place une balle dans la chambre, tourne et défie le président congolais à un jeu de hasard, entre dauphinat et mort politique.

La plus grande bataille électorale en République démocratique du Congo aura peut-être lieu du côté de la majorité au pouvoir où, l’alliance fragile, bâtit sur la fortune et la raison, est soumise à une forte pression, alors que le président Joseph Kabila doit officiellement passer la main.

Si Augustin Matata Ponyo et Aubin Minaku, respectivement ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, ont assuré le spectacle depuis la fin de l’année dernière, dans leur froide guerre pour le dauphinat, autrement dit être désigné comme candidat du pouvoir à la prochaine Présidentielle, ils ont été rejoint par Bahati Lukwebo, qui vitupérait alors, cachant à peine ses ambitions. Néanmoins, le week-end dernier, à Kingakati, temple privé du Kabilisme, les velléités ont été quelque peu éteintes. Lukwobo, dit-on, a remué la queue pour Kabila, retrouvant sa docilité au Guide éclairé.

« Le petit comptable » des galeries LaFleur

Toutefois, dans un monde où l’opportunisme est souvent qualité, les têtes de mules ne manquent pas. Pas plus loin d’ailleurs, qu’au Parti Lumumbiste Unifié (PALU), un allié de poids de Joseph Kabila depuis 2006, celui-là même à qui le jadis jeune Président a tout donné, on voit naître une nouvelle rébellion, la plus dure dit-on, incarnée par un homme : l’ancien Premier ministre Adophe Muzito.

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Muzito au Palu, pour la petite histoire, c’est une marche en dents de scie, tant opportuniste qu’étrange. « Petit comptable » des galeries d’art LaFleure à Kinshasa, l’homme âgé de 61 ans aujourd’hui, n’aura, tout au long de sa moelleuse carrière, eu que la finasserie comme qualité. Jamais militant, il se retrouve étrangement dans la dernière ceinture d’un Antoine Gizenga agonisant dans les années 2005.

Le renouveau politique au pays et l’avènement de la démocratie replacent le Patriarche et son cinquantenaire Palu au cœur des enjeux. Après des années de galère, Muzito est aux premières loges de l’accord entre le PALU et Joseph Kabila en 2006. L’Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP) est signée. Lui, Mozito, est fort gratifié du juteux poste du ministre du Budget.

Il comble alors son retard face à la nature. A Kinshasa, dans des coins huppés, pas un seul espace parcellaire n’échappe au nouveau riche. Quand, deux ans après, l’âge a raison de Gizenga, qui démissionne et fait de Muzito le Premier ministre de l’âge d’or de l’alliance, le Congo assiste alors une varappe sociale d’un homme qui n’en demandait pas plus. En février 2012, peu avant qu’il passe la main à un certain Augustin Matata Ponyo, il est accusé d’enrichissement personnel, par le député… Gérard Mulumba. Une liste lui prêtant plus de 30 propriétés immobilières, rien que dans la capitale congolaise, est diffusée.

« Highlander » du Palu

Et le 11 mai de la même année, quelques semaines après sa sortie de fonction, l’inspecteur général de la police des parquets, Christophe Dongo, annonce un rapport relatif à des allégations de détournement de fonds publics et d’acquisition illicite de nombreux immeubles par le Premier ministre sortant. En 2015, le PALU prend ses distances avec l’homme. Antoine Gizenga, encore lucide, l’exclut pour « faute lourde ».

Cependant, Muzito au Palu, c’est un peu comme le Highlander, — le célèbre film de Russell Mulcahy, sorti en 1986 et suavement incarné par Christophe Lambert — qu’on l’expulse, qu’on le vire…aussi longtemps qu’on ne lui coupe pas la tête, il revient toujours. Il est vite réintégré l’année suivante. De toutes les façons, les choses ne sont plus les mêmes au Palu où Antoine Gizenga ressemble de plus en plus au Sphinx de Gizeh. Inactif, terrassé par l’âge, le Patriarche devient alors un mausolée vivant. Muzito s’allie avec son fils, Luigi Gezanga, pour le trimbaler et échanger tout avantage.

Le temps a changé aussi du côté de Kabila. Son départ est acté par la Constitution. Le glissement, qui sévit depuis deux ans, plonge le pays en crise. Muzito réactive ses ambitions. Il faudra dès lors se rappeler que durant son hégire, l’homme s’est taillé un costume de semi-opposant : ceux qui critiquent Kabila tout en étant de son côté. Tel cupidon, il souffle à l’oreille de Lugi, quelques cadres les suivent : le Palu réclame un accord secret avec la majorité. Celui-ci stipulerait qu’aux prochaines élections, le parti de Gizenga présente son propre candidat : qui d’autre que Muzito ?

Roulette présidentielle

Pirouette au Palu ! Gizenga et Lugi évincés. Nous sommes déjà en mars 2018. Cependant, le « Highlander » va revenir. Il est là, vivant, au cœur du Palu. Adophe Muzito harangue dans la cour même de Kabila, il se pointe, pistolet à la main, défiant la majorité pour un jeu de roulette russe, potentiellement mortel.

Les phrases et les rhétoriques changent. Il n’est ni opposant, ni du centre mais tance soigneusement Kabila. Il est prêt à  accepter un soutien du PPRD, parti présidentiel: « Si le PPRD me demande de le rejoindre pour me soutenir d’être son candidat, en ce moment-là c’est lui qui me rejoint. Je serai d’accord, je ne suis ni centriste ni de l’opposition », clame-t-il ;  mais soutient également une « alliance » avec … l’opposition : « moi je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut maintenir une alliance pour appliquer des politiques publiques qui ont échoué. Donc si vous faites à l’Ouest des alliances avec des partis comme le MLC, à l’Est avec l’UNC et l’UDPS au centre, vous avez la victoire. Donc c’est ça le sens de l’ouverture que nous faisons », et soutient l’opposant… Moïse Katumbi : « Concernant Moïse Katumbi, l’objectif c’est de l’écarter de la course au pouvoir. Moi je vois plus de l’acharnement qu’autre chose »

Clairement, Muzito a désormais de l’ambition présidentielle, sait qu’il ne sera jamais le dauphin, et veut être un candidat derrière qui des opposants ou ceux du pouvoir devraient s’aligner. Voyez-vous, c’est un jeu de hasard, qui consiste à faire peur, car il est potentiellement mortel : à chaque fois que Muzito appuiera sur la détente, à chaque qu’il remettra en cause Kabila, le barillet de son revolver sera de moins en moins vide. Les coups sont donc comptés. S’il ne peut être opposant, s’il n’a ni les convictions d’un Félix Tshisekedi, encore moins le plébiscite d’un Moïse Katumbi, il vise clairement Kabila, ou le pouvoir. Et alors que le dauphinat laisse de plus en plus place à des rumeurs de candidature de dernière minute à la majorité, Muzito pourrait être refroidi par la réaction de Kabila, ou la balle politique réelle qu’il a lui-même placé dans son blason : les Highlanders ne meurent-ils pas que lorsqu’on leur coupe la tête ?

Litsani Choukran,
Le Fondé

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