RDC: comment Kabila drague l’administration Trump autour du Cobalt

Derrière la crise politique en République démocratique du Congo, Joseph Kabila orchestre des grandes manoeuvres pour courtiser des contrats miniers avec des géants américains. Révélations.

La République démocratique du Congo abrite, rien que dans la région du Katanga,  50 à 60% des réserves mondiales de cobalt, ce qui représente la plus grande offre mondiale de minerais, ainsi que d’importantes quantités de cuivre. Le Pentagone, expliquaient des analystes américains l’année dernière,  a identifié le cobalt et le cuivre comme des «minerais stratégiques et critiques» pour la production d’avions militaires, de systèmes de guidage de missiles et d’autres matériels.

L’Amérique a besoin des minerais congolais

Selon le Département de la Défense des États-Unis, le cobalt est un matériau essentiel car il est utilisé comme superalliage dans les réacteurs militaires et commerciaux et il est très difficile de le remplacer à cause de sa très grande résistance à la chaleur. « En 2014, 16% du cobalt dans le monde était utilisé dans les superalliages, 5% dans les aimants et 42% dans les batteries, ce qui est essentiel dans le matériel militaire, les voitures hybrides et électriques, les avions commerciaux, et l’électronique grand public« , affirmait un rapport rédigé en octobre 2017 par  John Prendergast and Sasha Lezhnev, respectivement Fondateur et Directeur de l’organisation américaine Enough Project.

La demande commerciale mondiale de cobalt augmente également de manière significative, en particulier pour la construction de batteries dans des voitures hybrides et électriques ainsi que dans les produits électroniques. De même, le cuivre, qui selon le National Mining Association (l’Association minière nationale des Etats-Unis, ndlr) est le deuxième minerai le plus utilisé par le ministère américain de la Défense en termes de poids, est également exploité au Congo. « Il peut être trouvé dans les navires de la marine, les navires de la Garde côtière, et les avions de la Force aérienne aussi bien dans les moteurs militaires et commerciaux et les moteurs de toutes tailles« , explique-t-on.

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A Kinshasa, c’est la Chine qui tire grandement profit de ses minerais. Une situation qui risque rapidement de changer. En effet, le pouvoir congolais est sur une mauvaise pente. La pression interne, exercée notamment par un mouvement d’opposition qui ne cesse de grossir, a été accentuée par l’apport de la Communauté internationale qui n’hésite plus à afficher son opposition au maintien du président Joseph Kabila. La France notamment, qui a souvent adopté des positions plus souples en faveur de Kinshasa, est montée au créneau, alors que des pays voisins, comme le Rwanda ou l’Angola suivent le mouvement.

Cependant, dans cette perspective, Joseph Kabila compte une fois de plus se défaire de la pression. Dans la capitale congolaise, les regards semblent être tournés vers une stratégie essentielle: utiliser les ressources naturelles, notamment le cobalt qui est en boom, pour faire fléchir certaines positions, notamment celle de Washington, qui dirige la dans l’ombre, la fondre contre Kabila, alors même que le président Donald Trump est désireux de garantir des stocks de ces métaux stratégiques à son pays.

Le roadshow d’Albert Yuma

Fin mai, explique notamment le média payant en ligne Africa Intelligent Mining, Albert Yuma Mulimbi, président de la société d’Etat congolaise Gécamines, s’est rendu aux Etats-Unis afin d’y présenter le potentiel du sous-sol de la RDC. « Albert Yuma, qui avait déjà fait un voyage à Washington avec le même objectif en avril, se serait alors entretenu avec l’US Geological Survey, l’organisation défendant les intérêts des compagnies minières National Mining Association, mais aussi des bailleurs de fonds d’Etat pour les projets à l’étranger, l’OPIC (Overseas Private Investment Corp) et l’EximBank (Export-Import Bank of the United States)« , renseigne-t-on dans un article consulté par POLITICO.CD.

Dans sa tournée, poursuit-on, Albert Yuma aurait été en contact avec le géant de l’électronique Apple et le constructeur de véhicules électriques Tesla. « Des contrats avec ces deux poids lourds des nouvelles technologies s’intégraient dans la stratégie de la Gécamines, en pleine réflexion sur ses partenariats, qu’elle envisage de renforcer avec les industriels et non plus uniquement des opérateurs miniers« , ajoute-t-on.

Par ailleurs, loin d’être une simple manoeuvre d’affaires, Kinshasa tente visiblement de lier sa politique minière à la survie du régime du président Kabila. Ainsi, un nouveau code minier a été adopté au pays en pleine période de crise et surtout, farouchement combattu par des opérateurs miniers opérant en RDC. A ce tire, alors que les Etats-Unis ont pris des sanctions contre des proches du président, Kinshasa tente le tout pour faire pencher la balance.

Contrats de Lobbying de la Gécamines aux USA par Litsani Choukran


Ainsi, depuis le mois de mars, explique toujours Africa Intelligent Mining, la Gécamines s’est offert les services du cabinet de lobbying établi à Washington Scribe Strategies & Advisors. « A la suite de l’ordre intimé le 20 décembre par Donald Trump à ses équipes d’identifier les minerais stratégiques pour les Etats-Unis ainsi que les obstacles à leur exploitation sur le territoire américain, le gouvernement congolais a mandaté Scribe, que dirige Joseph Szlavik, longtemps lobbyiste de l’ancien président gabonais Omar Bongo, pour approcher les autorités américaines afin de les convaincre que le Congo-K est un partenaire capable d’assurer leurs ressources en minerais« , explique-t-on.

Maigres résultats

La même société Scribe a été chargé de traduire le nouveau code minier congolais en anglais en vue de rassurer les investisseurs sur ce texte très décrié, notamment du fait de la hausse de la fiscalité. « Cette démarche est importante pour Joseph Kabila, alors que ses principaux opposants, Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga, et Félix Tshisekedi multiplient les contacts aux Etats-Unis en s’appuyant eux aussi sur une armada de lobbyistes. »

Comme résultat de cette opération séduction congolaise, on sous-entend alors entendre que Washington n’entend pas laisser les groupes chinois s’emparer de tous les gisements du pays. En 2016, China Molybdenum Co (CMOC) avait racheté la part de l’américain Freeport McMoran dans la mine katangaise de Tenke Fungurume. En amont de potentiels investissements de sociétés privées américaines, l’administration Trump prend les devants et lance des programmes de coopération stratégiques : le 24 mai, le Department of Labor a validé un financement de 2,5 millions de dollars pour lutter contre le travail des enfants dans les mines de cobalt en RDC.

Mais dans la réalité, Washington ne semble visiblement pas convaincu de marchander avec Kinshasa. Derrière la campagne minière de Kabila, les Etats-Unis continuent de faire pression pour la tenue des élections cette année. Vendredi 22 juin, le Département d’Etat américain annonce dans un communiqué des nouvelles sanctions contre des autorités congolaises. Pour les États-Unis, ces personnalités sont responsables des violations « flagrantes » des droits de l’homme ou coupages des faits de corruption.

« Le Département annonce la désignation de plusieurs hauts responsables de la RDC, en vertu de l’article 7031 (c) de la Loi de 2018 sur les affectations à l’étranger et les programmes connexes du Département d’État, en raison de l’implication de ces fonctionnaires dans le processus électoral« , affirme le communiqué consulté par POLITICO.CD, mais qui ne divulgue pas la liste des officiels congolais concernés par cette décision.

Au contraire, un nouveau projet résolution visant à soutenir des élections libres et équitables en République démocratique du Congo a été approuvé jeudi par la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis, apprend POLITICO.CD. Coprésidé par les représentants Ed Royce (R-CA), Chris Smith (R-NJ), Eliot Engel (D-NY) et Karen Bass (D-CA), « la résolution sur la démocratie et la responsabilité de la République démocratique du Congo de 2018 (HR 6207) » cite les préoccupations de sécurité des États-Unis concernant «l’instabilité politique liée aux élections, la corruption endémique, les conflits armés, les violations flagrantes des droits humains et les crises humanitaires qui déstabilisent la région et causent des souffrances humaines massives».

Le projet oblige également l’Administration Trump à « envoyer au Congrès une liste de personnalités politiques congolaises qui sous le coup des sanctions, ainsi que des actions américaines pour soutenir des élections crédibles et transparentes, la liberté de presse, l’expression et le droit de rassemblement afin de assurer des élections présidentielles libres et équitables conformément à la Constitution de la République démocratique du Congo  »

Mercredi, Jennifer Haskell, chargée d’affaires à l’ambassade des États-Unis à Kinshasa, a appelé ouvertement le président Joseph Kabila à quitter le pouvoir à l’issue des élections démocratiques qui doivent se tenir  à la fin de cette année. « Le Président Kabila peut devenir un héros dans l’histoire congolaise, s’il façonne, en décembre de cette année, le premier transfert pacifique, crédible et démocratique du pouvoir de son pays » a-t-elle déclaré.

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