L’Angola: vers l’Eltsinisation de l’alternance au pouvoir et l’impact sur la RDC? (Part 2)

« Les Grandes Idées », c’est une tribune accordée aux intelligences congolaises pour apporter un regard prospectif sur les grands enjeux politiques de la RDC et de l’Afrique médiane. Jean-Jacques Wondo ouvre cette rubrique avec une tribune tout aussi profonde que riche en enseignement. Wondo est un scientifique de terrain dont l’oeuvre touche la sécurité, la diplomatie et la politique dans sa globalité. Ce regard prospectif sur le futur Angola et les conséquences sur la RDC est présenté en trois temps sur politico.cd. Sur cette 2e partie, JJ Wondo y va toujours avec maestria, mais avec un langage étonnamment accessible. Alors politiquons!

Un autre prétendant sérieux à la présidence et dauphin de Dos Santos est un nouveau baron du régime, Manuel Vicente, l’actuel ministre de la Coordination économique et ancien patron de la Sonangol, la très puissante compagnie pétrolière nationale. Ce n’est pas pour rien qu’aux élections de 2012, le comité central du parti au pouvoir, le MPLA, l’a désigné comme colistier et tête de liste aux côtés président Dos Santos. Interrogé par l’AFP, l’analyste politique Victor Ales a estimé que « la désignation par le comité central du MPLA de Dos Santos et Vicente n’est pas une surprise car le leader du parti au pouvoir avait déjà choisi M. Vicente comme son dauphin, en dépit de critiques de la vieille garde du parti dues au manque d’expérience politique et au peu de militance au sein du MPLA de son protégé[1] ». Âgé de 60 ans, Manuel Vicente, ce pur produit e de la classe moyenne luandaise est un ingénieur diplômé de l’université Agostinho-Neto, puis à l’Imperial College de Londres et aux États-Unis. wondoRentré au pays en 1987, il intègre la Sonangol où il gravit progressivement les échelons pour en être nommé au poste de directeur général en 1999. Il y est resté douze ans et a transformé une entreprise vieillissante en un puissant groupe multinational, assurant de confortables revenus à l’État avec une production de près de 2 millions de barils par jour et investissant dans de multiples secteurs et sociétés étrangères[2]. Parrain de la fille d’Isabel dos Santos, Manuel Vicente fait partie de la famille. Lui transmettre le pouvoir permettrait au président angolais de s’assurer une retraite tranquille à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires pour corruption, loin des conflits avec les mécontents du MPLA. Toutefois, le choix de Manuel Vicente ne fait pas l’unanimité. Il provoque même des remous au sein du parti au pouvoir. Son ascension ne passe pas auprès de la vieille garde du MPLA, celle qui s’est battue pour l’indépendance du pays. « Manuel Vicente n’a jamais combattu, il n’a jamais été un homme fort du MPLA [il en a rejoint le bureau politique en 2009, N]. Il n’a donc pas les prérequis habituels pour être soutenu par le parti », rappelle Markus Weimer, de l’institut Chatham House à Londres, spécialiste de l’Angola. Il ne dispose pas non plus d’appuis au sein de l’armée, à l’opposé de José Eduardo dos Santos, le « libérateur » et « pacificateur » du pays[3].  Son image d’homme d’affaires mêlant intérêts publics et privés, décriés par tous, constituent son point faible[4].

Un pays quasi ruiné et en sursis, au bord de l’implosion sociale ?

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Selon l’Agence Ecofin, le budget 2015 de l’Angola, adopté par le Parlement, est de 6400 milliards de kwanzas, soit 48 milliards de dollars. Le pays table sur un taux de croissance au rabais de de 3,3 % du PIB en 2016 contre 3,8 % en 2015 et  4,5 % en 2014.  Ce budget se basait sur un prix moyen du pétrole de 45 dollars le baril et une production quotidienne moyenne de 1,8 million de barils, selon l’agence de presse officielle ANGOP. Le texte prévoit un déficit budgétaire de 5,5 % et un taux d’inflation situé entre 11 et 13%, a-t-on ajouté de même source. Deuxième producteur de pétrole d’Afrique derrière le Nigeria, l’Angola a affiché une croissance économique moyenne d’environ 10% par an entre 2004 et 2013, avant de voir ce taux ralentir à 4,5% en 2014 puis à 3,8 % en 2015, en raison de  la forte baisse des cours de brut.

De plus, les Angolais ont vu rapidement augmenter les prix de leurs biens et la circulation de la monnaie nationale, le kwanza, ralentir. Sur le plan social, les conséquences sont aussi importantes. Certaines entreprises n’ont eu d’autre choix que de licencier plusieurs de leurs salariés. Selon le journal Jeune Afrique : « Il risque d’y avoir des problèmes pour payer les salaires des fonctionnaires et pour assurer les services sociaux de base, dont la quantité et la qualité va diminuer […] ».

La situation sociale reste très précaire à cause de la mauvaise redistribution de la manne pétrolière. Environ 54 % de la population vit actuellement avec moins de deux dollars par jour. Ce sera sans aucun doute la classe la plus pauvre qui sera la plus touchée par cette crise[5]. Malgré tout, le gouvernement reste optimiste et rassurant et déclare que la situation n’est pas catastrophique. L’économie angolaise serait beaucoup mieux préparée à un choc pétrolier, contrairement à la crise majeure de 2008[6].

La crise économique contrait l’Angola à revoir son ambition militaire à la baisse

Le pétrole représente 48 % du PIB, 98 % des exportations et 75 % des recettes fiscales de l’Etat angolais. La chute drastique du prix du baril de pétrole, passant de 110 à 40 dollars entre juin 2014 et janvier 2016, affecte l’économie florissante de l’Angola[7] et d’autres secteurs prioritaires d’activités du pays, comme la défense nationale. En effet, le gouvernement prévoyait investir des sommes plus importantes dans les politiques sociales et les programmes de lutte contre la pauvreté. Cependant, l’ampleur de la crise du pétrole va contraindre le gouvernement angolais à réajuster son budget annuel et à revoir les choix de sa politique économique.  Selon Expresso, Dos Santos aurait demandé au ministère des Finances de suspendre, temporairement, les remboursements de la dette extérieure et de revoir en urgence à la baisse le budget de l’Etat pour 2015 de près de 17 %.

Cela devrait à notre avis également impacter son système militaire. En effet, selon les données de SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), les dernières estimations du SIPRI relatives aux dépenses militaires, les dépenses de la défense angolaise ont augmenté de 6,7 % en 2014, pour atteindre un montant de 6,8 milliards de dollars. Ce qui représente le budget militaire le plus élevé d’Afrique subsaharienne et le deuxième du continent derrière l’Algérie, lequel a encore progressé de 12 % en 2014 pour atteindre un montant de 11,9 milliards de dollars. L’Angola ambitionnait en outre de doubler quasiment son budget à l’horizon 2019 avec quelques 13 milliards de dollars[8]. Selon

Avec 107.000 militaires, l’Angola est la cinquième plus grande armée d’Afrique subsaharienne (après l’Egypte : 438.500, l’Algérie : 167.000, la RDC : 145.000 et l’Ethiopie : 138.000).  Le pays est en passe de devenir un interlocuteur clé sur un éventail de questions africaines touchant aux enjeux de sécurité. L’Angola est surtout l’un des modèles des pays africains qui a pu réussir la réforme de ses services de sécurité (RSS) en période de guerre ou dans une situation fragile de post-conflit en mettant en place un système de défense efficace et performant[9].

Contrairement à certaines allégations fallacieuses faisant croire qu’il est impossible de réformer une armée d’un pays en conflit, l’Angola reste un modèle car étant parvenu à réformer efficacement son armée en période de guerre ou dans une situation fragile de post-conflit en mettant en place un des systèmes de défense du continent africain des plus efficaces et des plus performants[10]. Comme le pays revoit ses prévisions budgétaires à la baisse, il devra surtout penser à moduler son ambition géopolitique de future puissance militaire incontournable de l’Afrique subsaharienne[11]. Toutefois, lorsque l’on pense que cette crise des matières premières touche aussi ses concurrents directs ou potentiels  (Afrique du Sud où plus de 155.000 emplois ont été supprimés depuis février 2915 dans le secteur minier; le Nigeria et la RDC notamment), la vision de la suprématie militaire continentale du pays ne devrait pas vraiment souffrir outre mesure de cette crise car tous ses concurrents directs et potentiels sont aussi frappés de plein fouet par la crise et contraints à revoir leurs budgets nationaux et militaires à la baisse.

[1] http://www.slateafrique.com/89197/angola-le-president-dos-santos-et-son-dauphin-vicente-la-tete-du-mpla.

[2] http://www.jeuneafrique.com/140197/politique/angola-manuel-vicente-dans-l-ombre-de-dos-santos/.

[3] http://www.jeuneafrique.com/140197/politique/angola-manuel-vicente-dans-l-ombre-de-dos-santos/.

[4] http://www.jeuneafrique.com/140197/politique/angola-manuel-vicente-dans-l-ombre-de-dos-santos/.

[5] perspective.usherbrooke.ca.

[6] perspective.usherbrooke.ca

[7] perspective.usherbrooke.ca.

[8] Luntumbue & Wondo, « La posture régionale de l’Angola : entre politique d’influence et affirmation de puissance », GRIP, Bruxelles, 3 juin 2015 http://www.grip.org/fr/node/1760#sthash.QrI9Usk6.dpuf.

[9] Un accord historique est signé à Luanda, le 4 avril 2002, entre l’armée gouvernementale et les forces rebelles de l’UNITA, lequel met fin à 27 années de guerre civile ayant occasionné la mort d’un demi-million de personnes. L’accord prévoit le cantonnement et le désarmement d’environ 50 000 combattants, l’intégration de 5 000 d’entre eux dans les Forces armées angolaises (FAA), le retour à la vie civile des autres et, enfin, la transformation de l’UNITA en un parti politique légal.

[10] Luntumbue & Wondo, « La posture régionale de l’Angola : entre politique d’influence et affirmation de puissance », GRIP, Bruxelles, 3 juin 2015 http://www.grip.org/fr/node/1760#sthash.QrI9Usk6.dpuf.

[11] Ibid.

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